La plus grande bibliothèque économique du monde
Gernot U. Gabel
Depuis le mois de janvier 2007, l’Allemagne s’honore de posséder la plus grande bibliothèque économique du monde. Installée à Kiel et à Hambourg, la Bibliothèque nationale allemande d’économie 1 est riche de plus de quatre millions de volumes.
Une collection nationale
Voilà maintenant plus d’un demi-siècle que l’Allemagne a entrepris de constituer une collection nationale spécialisée en économie. Le système qu’elle a adopté à cette fin, un programme d’acquisitions financé par le gouvernement fédéral, fut mis en place au début des années 1950, à une époque où les universités, les centres de recherche et les bibliothèques du pays se débattaient pour retrouver leur niveau d’avant-guerre. Nombre de bibliothèques avaient vu leurs fonds détruits par les bombardements alliés des grands centres urbains et elles avaient le plus grand mal à les reconstituer. Les sévères restrictions des dépenses imposées dans les premières années de la reconstruction ne leur permettaient pas d’acheter suffisamment de monographies et de revues universitaires. Les publications étrangères, en particulier, leur étaient quasiment inaccessibles. Au vu de cette situation, en 1951, les universités et les institutions de recherche allemande fondèrent la Deutsche Forschungsgemeinschaft (DFG), organisme chargé de mettre en place un programme d’aide financière d’envergure pour soutenir la recherche universitaire. Si l’allocation de crédits aux centres de recherche fut considérée comme prioritaire (la DFG finançait les besoins en personnel et en équipement), les bibliothèques en bénéficièrent néanmoins dès le départ. Le Conseil des bibliothèques très tôt institué au sein de la structure administrative de la DFG élabora un projet de financement pour les collections spécialisées, le Sondersammelgebietsplan, avec pour objectif principal de coordonner un programme d’aides pour l’acquisition de monographies et de périodiques publiés à l’étranger. Les institutions qui y participaient étaient tenues de pratiquer le prêt entre bibliothèques afin de mettre leurs « nouveautés » à la disposition de l’ensemble des lecteurs du pays.
La bibliothèque de Cologne
Avant toute chose, le Conseil des bibliothèques dut se prononcer sur les bibliothèques universitaires qui seraient associées au nouveau projet et, pour ce faire, il s’appuya essentiellement sur deux grands critères de sélection : les lignes de force des collections spécialisées existantes et l’évaluation du soutien accordé à tel ou tel domaine de spécialité par le corps enseignant et l’administration des universités de tutelle. La bibliothèque de Kiel remplissait ces critères, mais dans un premier temps elle ne fut pas retenue. À l’époque, en effet, la collection de littérature économique la plus complète du pays se trouvait à la bibliothèque de l’université et de la ville de Cologne (USBK), fondée en 1920 et relativement épargnée par la guerre car ses fonds d’ouvrages avaient été évacués à temps. Aussi le Conseil de la DFG se prononça-t-il pour confier à Cologne l’ensemble du domaine de l’économie. Il prit par ailleurs très tôt la décision de lancer un ambitieux programme d’achats rétrospectifs de périodiques étrangers, d’autant plus nécessaire que, dès le début des années 1930, quantité d’abonnements de bibliothèque avaient dû être résiliés à cause des répercussions de la crise économique mondiale et des restrictions budgétaires décrétées par le gouvernement national-socialiste.
À la faveur du Wirtschaftswunder (le « miracle économique ») que connut alors l’Allemagne, l’USBK hérita avec l’économie d’une des disciplines les mieux financées du programme de restauration des collections spécialisées instauré par la DFG. L’augmentation de son budget lui permit d’étoffer le poste des abonnements aux périodiques et d’acheter chaque année un nombre considérable de monographies étrangères. Selon les dispositions réglementaires de ce programme, toutes les bibliothèques participantes étaient tenues d’acheter sur leur budget annuel propre les monographies et les revues publiées par les éditeurs allemands. Comme il s’agissait majoritairement de bibliothèques universitaires, au bout de quelques années il apparut que les disciplines bénéficiant des subventions de la DFG constituaient la plus grosse partie des collections. Leur prédominance était parfois si accusée que plusieurs critiques y virent une atteinte au financement équilibré de l’ensemble des matières dans lesquelles les bibliothèques universitaires se devaient de fournir une littérature de recherche à leur public.
La bibliothèque de Kiel
Entre la fin des années 1950 et le début de la décennie suivante, le Conseil des bibliothèques de la DFG s’employa en conséquence à repenser son programme d’aide financière. Afin d’éviter les recoupements et de mieux cibler les ressources, décision fut prise d’instituer quatre grandes bibliothèques spécialisées, dont une pour la science économique. C’est celle de Kiel, dans le Nord de l’Allemagne, qui, à l’issue d’un vote du Conseil, se vit assigner cette fonction. Fondée en 1914 pour assurer les besoins documentaires d’un institut de recherche économique rattaché à l’université de Kiel, elle avait constitué des collections de monographies, de périodiques et autres publications consacrées à l’économie mondiale sous ses différents aspects, et en 1939 possédait déjà près de 350 000 volumes. Dans les fonds en langue étrangère, l’anglais se taillait la part du lion, suivi par le français, l’espagnol et les langues scandinaves. Au début des années 1960, la bibliothèque avait ainsi rassemblé près de 750 000 volumes, dont environ 70 % publiés hors d’Allemagne. L’institution née sur les rivages de la mer Baltique apparaissait à l’évidence comme l’une des plus qualifiées dans les domaines de l’économie internationale et de l’économie politique, d’autant que Kiel accueillait par ailleurs un projet de documentation économique internationale jugé très novateur. En 1966, la bibliothèque de Kiel fut donc promue Bibliothèque centrale de science économique (Zentralbibliothek für Wirtschaftswissenschaften, ZBW), avec une spécialisation en économie politique et en économie internationale. L’USBK accepta pour sa part de se charger du domaine alors en pleine expansion des études administratives et commerciales.
Partage des responsabilités
Ce partage des responsabilités entre les bibliothèques de Kiel et de Cologne dans les cursus nationaux d’économie et de gestion commerciale les a amenées à coopérer sur plusieurs plans. Toutes les deux bénéficient de financements généreux et, depuis les années 1990, elles s’emploient plus activement que par le passé à compléter leurs collections. Pour satisfaire la demande de ce type de services, elles ont développé conjointement une bibliothèque virtuelle de science économique et commerciale, l’EconBiz 2, et mis sur pied un système payant de consultation de documents électroniques (EconDoc). De même, elles sont toutes deux partie prenante du projet allemand de numérisation des principales publications périodiques (DigiZeit).
Autrefois hébergée dans un édifice historique ayant appartenu aux aciéries Krupp, la bibliothèque de Kiel a fini par s’y trouver à l’étroit, du fait de son développement et, en 2002, elle a déménagé dans un immeuble neuf et fonctionnel, bâti en bord de mer et donnant sur le port. Jusqu’à la fin de 2006, elle fut rattachée à l’Institut d’économie mondiale de Kiel, organisme public financé par le gouvernement fédéral. Cette année-là, les négociations engagées avec l’institut homonyme de Hambourg ont abouti à un accord sur la fusion des collections de ces deux centres de recherche.
La bibliothèque nationale allemande d’économie
Depuis janvier 2007, la ZBW a le statut d’une fondation indépendante régie par le droit public allemand. Rebaptisée « Bibliothèque nationale allemande d’économie – Centre de documentation économique Leibniz », elle reçoit l’essentiel de ses financements de l’Association Leibniz, qui regroupe plusieurs grands instituts de recherche et des services scientifiques nationaux. En sus de son siège de Kiel, la ZBW a ouvert des bureaux dans le centre-ville de Hambourg.
À la tête de collections comprenant plus de 4 millions de livres et autres publications (avec, certes, beaucoup de recoupements), la nouvelle fondation est la plus grande bibliothèque mondiale dans le domaine de l’économie. Abonnée à quelque 24 500 périodiques, elle gère la base de données Econis 3 qui contient plus de 3,4 millions de notices, propose en ligne des liens avec plus de 100 000 documents internet et sert de bibliothèque de dépôt légal à l’Organisation mondiale du commerce. Chaque année, plus de 52 000 livres, brochures, revues et documents de travail viennent enrichir ses fonds. Cette bibliothèque qui emploie 230 employés répartis entre les bureaux de Kiel et de Hambourg est en passe de devenir un fournisseur mondial de littérature économique.