Colloque Wikipédia

Développer, valider, ouvrir

David Liziard

Malgré une grève des transports en commun, environ 200 personnes ont assisté au colloque * organisé par Wikimédia France les 19 et 20 octobre 2007 à la Cité des sciences et de l’industrie à Paris : aussi bien des contributeurs réguliers de Wikipédia que des enseignants, journalistes ou documentalistes désirant simplement en savoir plus. Cette diversité du public a rendu nécessaires de nombreux rappels sur le fonctionnement de Wikipédia, mais elle a aussi permis des échanges éclairant l’originalité et les risques du projet.

Wikipédia, comment ça marche ?

Wikipédia est rédigée en continu par des contributeurs anonymes et régulée sous le mode de l’autogestion. Les administrateurs, élus parmi les contributeurs les plus actifs, ont simplement la responsabilité de modérer l’ensemble des interactions entre participants. Le but de Wikipédia n’est pas de produire des informations originales, mais de présenter une cartographie neutre des différents savoirs et courants de pensée.

Philippe Lequesne (conseiller en développement  TIC) a présenté une synthèse des études concernant le fonctionnement de Wikipédia. Il en ressort que le contenu de l’encyclopédie viendrait majoritairement de contributeurs occasionnels – bons samaritains venant parler d’un sujet qu’ils connaissent – alors que les habitués effectueraient plutôt le travail de régulation et de mise en forme – des zélotes intransigeants sur les règles formelles de Wikipédia. La qualité des articles de Wikipédia serait très variable selon les disciplines : elle serait meilleure dans les sciences dures, et en général dans tous les domaines réunissant un nombre important de contributeurs.

À la recherche de la validation perdue

Pour Sébastien Hache (enseignant), Wikipédia étant modifiable en temps réel, il ne peut y avoir de validation des contenus mais uniquement une validation des processus de rédaction et de correction. Des membres du public ont remarqué que la fiabilité de Wikipédia avait un sens statistique et communautaire, et pas le sens traditionnel de responsabilité intellectuelle et morale d’auteurs et d’éditeurs. Ce qui, outre les problèmes d’exactitude factuelle, pose aussi des questions d’unité rédactionnelle : comment assurer une cohérence de style et de méthode au niveau d’un, voire de plusieurs articles ? Différentes pistes ont été proposées pour répondre à ces interrogations.

Publier des versions stables

Martin Walker (université de New York) a présenté le projet Wikipédia 1.0 : l’édition en 2008 d’un DVD redistribuable gratuitement (notamment par les réseaux d’aide au développement). Il comprendrait 30 000 articles en anglais, sélectionnés à la fois pour leur qualité et pour l’importance des sujets qu’ils recouvrent. Les acteurs de cette validation seront les contributeurs impliqués dans les wikiprojets (les portails par discipline) : ce projet les incitera à accélérer le processus de rédaction d’articles de qualité dans les principaux domaines du savoir.

Mieux coordonner les rédacteurs

Sébastien Hache a présenté un exemple de rédaction collaborative entre spécialistes, à travers le manuel libre de droits Sésamath qui, dans sa version papier, a déjà conquis 16 % des parts du marché. Il souligne qu’« il ne suffit pas de surajouter des éléments les uns aux autres pour qu’il y ait travail coopératif ». Dans le même esprit, plusieurs intervenants ont cherché comment mettre en valeur les compétences des spécialistes dans Wikipédia. Selon Emmanuel Engelhart (Wikimédia France), il faut trouver un compromis qui permette de mieux gérer la liberté d’écriture, sans pour autant aller jusqu’à interdire l’anonymat. Une option envisageable pourrait être de rendre possible une identification par signature électronique. Il faudrait aussi améliorer la visibilité des wikiprojets, où des interlocuteurs peuvent servir de référents – au moins temporaires – pour des articles.

Valérie Chansigaud (docteur en sciences de l’environnement) a abordé les problématiques concernant la participation des experts à Wikipédia. Quels critères d’expertise prendre en compte ? Comment inciter ces experts à participer tout en s’adaptant à une démarche de vulgarisation ? Pour évaluer leurs interventions – et leurs antagonismes – il faudra sans doute créer des modèles originaux, partant à la fois du haut (cooptation) et du bas (évaluation par les participants).

Former le grand public et les élèves

D’après l’expérience de Dominique Cardon (Centre d’étude des mouvements sociaux, EHESS), le grand public fait aveuglément confiance à Wikipédia et se la représente comme un grand organisme chargé de contrôler les modifications. Il faudrait donc mettre en évidence le fonctionnement réel du site, notamment à travers des outils montrant graphiquement la chronologie des modifications d’un article (WikipédiaViz). D’autres modules informatiques ont été présentés : certains permettant de mieux identifier les sources (Wikicite et Wikicat), d’autres permettant de mieux repérer les contributions d’un même auteur dans une page (EnWiki-trust).

Au-delà des outils, il s’agit surtout de former progressivement à la lecture critique. Michèle Dreschler (INRP) a insisté sur la situation d’apprentissage stimulante que peut constituer pour l’élève l’écriture dans des wikis péda-gogiques mis en place par des documentalistes ou enseignants. Le président de Wikimédia France, Pierre Beaudouin, indique pour sa part qu’il souhaite travailler avec des acteurs traditionnels de la culture pour proposer des formations à Wikipédia. Valérie Chansigaud suggère de mettre en place des formations par spécialités auprès d’étudiants et d’enseignants. En élargissant le débat, un membre du public a remarqué que Wikipédia essuyait quasiment seule les critiques de validation de l’information, alors que c’est au niveau de l’ensemble des médias et des relais d’informations qu’elles devraient se poser aujourd’hui.