La « Mémoire du futur » vue de Suisse : le lobbying en point d’orgue

Congrès de la BBS

Jean-Philippe Accart

Tous les deux ans, l’Association des bibliothécaires suisses (BBS) 1 tient son congrès, prenant soin de contenter les différentes composantes linguistiques du pays 2 : le choix de cette année, du 29 août au 1er septembre, s’est porté sur Sierre, dans le canton du Valais (bilingue français-allemand) et très proche du canton du Tessin, de langue italienne 3. Le thème central, « Mémoire du futur », avait pour objectif que les 200 participants puissent réfléchir aux défis actuels et futurs de la gestion des collections et des prestations des bibliothèques, des archives et de la documentation.

Convaincre les décideurs politiques

Cette question, à l’heure actuelle, se pose de manière aiguë à l’heure du numérique et les professionnels suisses tentent d’y répondre en envisageant un certain nombre d’aspects : l’aspect financier apparaissant comme primordial, il est nécessaire de convaincre les décideurs politiques de l’importance du rôle des bibliothèques dans la préservation de la mémoire documentaire. La BBS a fait de ce thème un des piliers de son programme d’action depuis quatre années, accordant au lobbying une place centrale : dans cette optique, les contacts, les prises de position, les adresses directes aux parlementaires pour obtenir des réponses à des questions telle que la place de la Suisse dans la société de l’information sont réguliers. Dans ce sens, une « Déclaration de principes et [un] plan d’action pour les bibliothèques suisses », vue comme un argumentaire pour le lobbying, a été élaborée en 2003 4 suite au Sommet mondial sur la société de l’information qui s’est tenu à Genève en décembre 2003 5. Puis, en 2004, la BBS a créé, en collaboration avec les associations d’auteurs, libraires et éditeurs, un Lobby suisse du livre 6, suivi par la parution du Manuel pour un lobby des bibliothèques suisses 7. En 2005, la BBS a pris position sur la future Loi sur l’encouragement à la culture 8. Enfin, en juin 2007, la BBS a mis sur pied une consultation des partis politiques suisses relative à la politique des bibliothèques : tous les partis (sauf le parti ultraconservateur UDC) se sont prononcés pour la numérisation des collections, la lutte contre l’illettrisme, l’apprentissage de la lecture. Une commission nationale des bibliothèques, idée soutenue par la BBS, ne remporte pas l’adhésion, ce qui s’explique par le fait que la Suisse est un pays fédéral où la culture et les bibliothèques relèvent des compétences des cantons et non de la Confédération : la Bibliothèque nationale suisse joue donc un rôle très différent de la Bibliothèque nationale de France, tout en étant considérée comme une des bibliothèques de référence en Suisse.

Points de vue nationaux et étrangers

Le congrès BBS 2007 a permis de faire le point sur les avancées de la politique du lobbying, faisant appel à des points de vue et des expériences nationaux et étrangers. Jean-Frédéric Jauslin, directeur de l’Office fédéral de la culture 9, Marie-Christine Doffey, directrice de la Bibliothèque nationale suisse 10, Andrew Cranfield, directeur d’Eblida, Marie-Claude Morand, présidente de l’International Council of Museums et Claudia Lux, présidente de l’Ifla, ont tenu une table ronde très suivie sur les rapports mémoire documentaire/conservation/numérisation/lobbying. Mme Lux, dont le lobbying est également un point fort de sa politique 11, insiste sur la plus grande accessiblité possible des documents en bibliothèque, sur la promotion des services et prestations documentaires. Elle donne quelques « règles » et conseils pour procéder à un lobbying performant :

  • rester positif avec l’interlocuteur dans tous les cas ;
  • savoir dire les bonnes choses au bon moment ;
  • aborder des sujets dont on est sûr ;
  • si l’on doit faire face à des refus, savoir en tirer profit, refaire sa requête de manière intelligente.

J.-F. Jauslin rappelle que pour les politiques, la culture n’est pas un sujet majeur, ce qui se traduit en terme budgétaire : l’Office fédéral de la culture ne dispose que de 2 milliards de francs suisses, ce qui est peu comparé à d’autres offices, alors que 100 000 personnes travaillent dans ce domaine. Concernant la conservation et la numérisation des documents, deux questions se posent : qui conserve(ra) l’information ? Que garderons-nous pour demain ? Les responsabilités doivent être partagées. Au niveau des bibliothèques, ce travail demande beaucoup d’efforts, ce dont les politiques ne sont pas toujours conscients.

Projets de numérisations et prestations novatrices

Hormis le lobbying, Sierre fut l’occasion de voir les avancées des différents projets de numérisation ou d’offres de prestations documentaires novatrices en Suisse :

  • le projet E-Archiving 12, sous la responsabilité du Consortium des bibliothèques universitaires suisses 13, qui prévoit un serveur pour l’archivage à long terme des périodiques scientifiques ;
  • la bibliothèque numérique du Rero (Réseau des bibliothèques de Suisse occidentale), Rero Doc 14, qui archive livres, journaux, thèses, preprints, rapports… ;
  • Archives Web Suisse 15, projet piloté par la Bibliothèque nationale en partenariat avec les cantons, pour la création d’une collection commune en ligne des documents patrimoniaux (appelés les « Helvetica ») ;
  • le projet Memoriav 16 pour la préservation du patrimoine audiovisuel ;
  • SwissPoster 17, collection d’affiches suisses ;
  • le projet Cosadoca, Consortium de sauvetage du patrimoine documentaire en cas de catastrophe 18 ;
  • SwissInfoDesk 19, le guichet virtuel de la Bibliothèque nationale et le Guichet virtuel sur la Suisse 20 qui rassemble une vingtaine de bibliothèques partenaires.

Durant l’assemblée générale, les membres de la BBS ont voté pour la fusion de la BBS avec l’Association suisse de documentation (ASD), fusion qui deviendra effective en 2008.

Congrès riche en informations, Sierre 2007 fut véritablement l’occasion d’envisager ce que peut être la « Mémoire du futur ».