Le livre et ses espaces
Nanterre : Presses universitaires de Paris-X, 2007. – 702 p. : ill. ; 26 cm.
ISBN 978-2-84016-004-5 : 35 €
Le livre et ses espaces, bel ouvrage publié aux presses de l’université Paris-X, fait suite à la journée d’étude « Le Livre comme espace » organisée en mars 2005 1 et s’inscrit ainsi dans le cadre que tente d’esquisser Alain Milon dans son introduction : « voir le livre autrement » que comme objet « industriel », « culturel », « historique », « littéraire » ou « artistique » afin de « savoir comment le livre devient un objet réel et métaphorique à la fois 2 ». 37 articles, épaulés par nombre d’annexes et d’outils (dont une copieuse bibliographie), se proposent ainsi d’explorer « l’espace du livre – ses dimensions –, l’espace dans le livre – la topologie de la page et de la ligne –, l’espace hors du livre – la collection en bibliothèque –, l’espace sans le livre lorsque le livre a disparu 3 » à travers une organisation en quatre parties (« Dispositif réflexif du livre », « Espace plastique du livre », « Autour d’espaces d’écriture », « Espaces anthropologiques dans et hors du livre »).
Le livre sur le mode de l’étendue
Se situer hors de tout cadre disciplinaire et au-delà de toute problématique trop restrictive afin de présenter le livre sur le mode de l’étendue : tel pourrait être résumé le but d’un ouvrage contenant des articles qui remplissent effectivement ce programme comme dans le cas du travail de Valérie Lelièvre, « La page : entre texte et livre », qui rend (sans doute, car la référence n’est pas précisée) hommage à l’exposition « La page » organisée en 1999 par Lucile Trunel et Anne Zali à la Bibliothèque nationale de France. « Le livre se dote d’artifices conçus pour mener le lecteur de la première à la dernière page, selon un double rapport d’horizontalité et de verticalité, prétendant guider l’œil le long des lignes 4 » : un espace plan, ne possédant aucune valeur en soi (« Un livre à une page n’a jamais été un livre, c’est seulement une feuille 5 », précise l’auteur qui aurait été bien inspiré de s’attaquer à ce sujet à la convention de Berne et à ses multiples révisions) se déploie donc au sein d’une troisième dimension dont les tenants et aboutissants restent à déterminer.
Tel est effectivement le mystère du livre que l’on aurait aimé voir clairement explicité : il constitue un espace fait de plans ne se réduisant pas au plan, un ensemble dont les deux dimensions en produisent une troisième (profondeur, épaisseur ?). Les divers contributeurs se confrontent, de façon parfois brillante (comme dans le cas de Kheira Benhamouda s’attaquant au dispositif du manuel scolaire) et parfois moins convaincante (comme dans le cas de Marc Perelman se réclamant de façon quelque peu « plaquée » des lois de la perspective pour définir le livre comme un « système de lignes 6 »), à un problème débouchant sur des réflexions originales et pertinentes : celles de Michel Truffet (montrant comment les notions de rythme et de forme nous invitent à repenser le livre sur le mode de la partition), d’Hélène Campaignolle-Catel (posant le strabisme comme une méthode de lecture) ou de Michel Porchet (proposant de considérer le livre de photographie, « multiple de multiples 7 », comme un moyen terme entre roman et film).
Le livre comme espace, le livre dans l’espace ?
Ailleurs, on peine toutefois à trouver trace d’une telle unité de pensée : Le livre et ses espaces semble souhaiter s’écarter du problème qu’il pose dans sa seconde partie et la poursuite de cet au-delà du plan, de cette dimension propre au livre, se fait tantôt sur le mode de l’expérience (de l’auteur et du lecteur comme le montre Alain Milon), de l’imaginaire (à travers la constitution d’un univers propre aux cycles en prose du XIIIe siècle, Arthur et Tristan en tête, qu’analyse Adeline Richard) ou encore de la conscience (nous invitant, selon Xavier Sense, à repenser le dispositif du livre comme un espace relationnel). À travers ces contributions de qualité, le thème fédérateur de l’ouvrage semble se déliter, l’espace (de la ville chère au polar qu’analyse Adeline Richard ou d’un métro se définissant comme « le plus grand salon de lecture du monde » dont traite Éloi Le Mouel dans un article surprenant) et le livre (qu’il ait trait à une « architectonique de l’espace littéraire » pour Anca Gâta ou à une « pratique dialogique du recueil » pour Catherine Morency) semblent ne plus coïncider.
Si la diversité des approches ne convainc pas toujours de la complémentarité entre livre et espace, elle instaure même une certaine confusion dont les dernières lignes de l’introduction d’Alain Milon donnent la teneur : « Disons simplement pour l’instant que le livre comme espace, ce n’est pas le livre dans l’espace même si le livre dans l’espace est une figure du livre comme espace 8 »… Se pose alors une question : pourquoi avoir tenu à réaliser un livre de cette taille (plus de 700 pages) et de ce prix (35 euros tout de même) autour de la volonté, qu’expose Marc Perelman dans sa conclusion, de « susciter un intérêt de connaissance sur une façon dialectique de construire une thématique scientifique et critique » cherchant « à produire et donc à reproduire l’unité de contraires – le livre et l’espace 9 » ? Sur ce plan, Le livre et ses espaces fait long feu : en restant par trop prisonnier d’œuvres maintes fois évoquées (Blanchot et Adorno notamment), il ne parvient pas à imposer un propos fédérateur susceptible de renouveler en profondeur la réflexion sur le livre et se contente de regrouper des textes qui, pour originaux qu’ils soient, ont du mal à dessiner une unité.