Éléments de psychologie cognitive pour les sciences de l'information

par Odile Riondet

Claire Denecker

Élisabeth Kolmayer

Préface de Jean-François Rouet.
Villeurbanne : Presses de l’Enssib, 2006. – 334 p. ; 24 cm. – (Les cahiers de l’Enssib ; 4)
ISBN 978-2-910227-65-4 : 38 €

Pourquoi faut-il expliquer à des étudiants en sciences de l’information les bases de la psychologie cognitive ? Pourquoi leur parler de la perception, de la mémoire, de l’apprentissage ou du langage ? Cet ouvrage a pour ambition de faire le lien entre cette discipline et les besoins concrets d’étudiants se préparant aux métiers des bibliothèques ou de la documentation. En effet, « apprendre, travailler, décider, lire, rechercher de l’information sont autant d’activités humaines que la psychologie observe et étudie » (p. 11) et qui constituent aussi l’activité en bibliothèque.

Perception, mémoire, connaissance

Prenons par exemple la perception. Les travaux de psychologie cognitive sur la reconnaissance des formes et des figures peuvent sembler lointains. Distinguer le niveau neurosensoriel, le niveau perceptif et le niveau cognitif de la perception peut sembler abstrait. Mais on peut appliquer ces analyses à la prise de notes ou à la perception d’un écran hypertexte.

Pour la psychologie cognitive, la mémoire peut être celle d’un « système naturel » ou d’un « système artificiel ». L’un et l’autre choisissent un format de stockage, codent l’information, la récupèrent pour l’utiliser. Mais plus précisément, comment la mémoire fonctionne-t-elle ? Concrètement, la distinction des formes de la mémoire permet de comprendre la difficulté à retenir une certaine quantité d’informations (par exemple une cote), les manières de récupérer les informations stockées en mémoire en jouant sur la catégorisation et l’association (retrouver un mot ou un nom d’auteur par association d’idées), les modifications du souvenir…

Que peut-on appeler exactement une connaissance, est-ce la même chose qu’une représentation inscrite dans nos neurones ? Les différentes écoles de la psychologie cognitive se séparent sur ces questions. Il est bon, pour préparer des formations d’utilisateurs, de connaître des distinctions comme celle qui sépare les connaissances déclaratives et les connaissances procédurales : emprunter un livre est une connaissance procédurale (comment on fait), expliquer ce qu’est un moteur de recherche par rapport à un métamoteur ou un annuaire est une connaissance déclarative. Un bibliothécaire peut aussi s’intéresser à l’organisation des connaissances : la capacité à créer des catégories, à les utiliser, les comprendre est utile pour utiliser des classifications ou interroger une base de données.

Quatre conceptions de l’apprentissage

Qu’est-ce qu’apprendre ? Et corrélativement, comment peut-on penser des formations en bibliothèque ? Quatre conceptions sont proposées ici, avec leur transposition en ingénierie de formation. La conception behavioriste considère qu’apprendre, c’est modifier son comportement. On apprend donc par répétition d’exercices : on va alors par exemple prévoir des exercices précis, selon une succession très réfléchie, avec une progression stricte. La conception cognitiviste considère qu’apprendre, c’est traiter de l’information et construire des représentations mentales, élaborer des structures de connaissance et les stocker en mémoire à long terme. Les hypertextes et les hypermédias sont des outils intéressants dans cette perspective, car ils impliquent des modèles de démarche et fournissent de l’information. Pour le constructivisme, apprendre c’est faire évoluer ses structures cognitives pour agir plus efficacement sur l’environnement. C’est réfléchir sur son expérience pour la verbaliser et la généraliser. L’apprentissage se fait majoritairement par l’action. Enfin, la conception interactionniste considère que le savoir est fondamentalement de groupe : apprendre, c’est toujours apprendre de quelqu’un. Donc, on travaille en groupe, autant pour confronter ses représentations que pour échanger des méthodes de travail, verbaliser ses manières de faire.

On pourrait s’étonner de trouver un chapitre sur la prise de décision. Mais ne faut-il pas décider devant un document s’il est utile ou pas pour l’objectif de travail ? Si l’on voit bien l’intention des auteurs, les ponts sont moins construits dans ce passage avec les préoccupations des professions

du livre et du document. Nos jugements peuvent être prédictifs, parier sur un lien de cause à conséquence. Ou ils peuvent être évaluatifs, aboutir à des choix. Le lecteur comprend bien que la question sous-jacente est celle de l’expert et du novice : qu’est-ce qui fait qu’un expert conserve certains types de documents et un novice d’autres ? Mais la décision n’est pas décrite ici précisément et la question reste sans réponse.

Chercher de l’information est une démarche de résolution de problème impliquant de la lecture compréhension et requérant des connaissances. Cette activité implique un niveau verbal, la capacité à manipuler des classes logiques, des capacités métacognitives pour raisonner sur ses erreurs de recherche. Et l’usage de plusieurs documents en même temps implique un apprentissage qui est souvent sous-estimé.

Les limites d’un modèle

Au final, on peut dire que le cognitivisme présente l’avantage d’analyser l’activité mentale et non plus le comportement. Il a le courage d’aborder la « boîte noire » de notre pensée, que les comportementalistes renonçaient à ouvrir. En même temps, c’est une école de pensée fortement marquée par la comparaison du cerveau et de l’ordinateur : l’activité mentale est considérée comme un calcul sur des représentations, un processus. Aujourd’hui, avouent les auteurs en conclusion, les limites des liens avec l’informatique commencent à se faire sentir et le cognitivisme emprunte de plus en plus à la sociologie, l’ethnométhodologie ou la pragmatique.

Il est dommage que ces remarques de la fin soient si brèves et si tardives. Toute l’activité est en effet décrite sur le modèle de l’informatique, un modèle très général qui ne favorise pas toujours l’application et omet la diversité des situations concrètes. Si l’on ne peut que se féliciter que la collection fasse une part aux exercices avec corrigés, on regrettera dans la même perspective que ces exercices restent parfois eux-mêmes de l’ordre du test psychologique et ne fassent pas toujours le pont avec des situations en bibliothèque. Mais sans doute faut-il prendre ce livre pour ce qu’il est : une tentative courageuse pour faire le lien entre des travaux théoriques et des situations professionnelles.