Archiver et après ?

par Yves Desrichard

Marie-Anne Chabin

Paris : Djakarta éditions, 2007. – 160 p. ; 18 cm.
ISBN 978-2-9528828-0-4 : 19 €

Le nom de Marie-Anne Chabin n’est pas inconnu de ceux qui s’intéressent au monde des archives : après avoir travaillé notamment à la Direction des archives de France et à l’Institut national de l’audiovisuel, elle est désormais consultante en « records management » et en archivage électronique. Elle est l’auteur, entre autres, du remarqué Je pense donc j’archive publié en 1999 aux éditions L’Harmattan.

Une réflexion légère et rigoureuse

Publié par les éditions Djakarta avec une maquette discrète et élégante, Archiver et après ? n’est pas un manuel technique sur les archives, pas plus qu’un pamphlet sur l’inflation archivistique (même si l’auteur consacre à ce sujet des pages plus que pertinentes). Il s’agit d’une réflexion légère mais rigoureuse sur les notions d’archives et d’archivage, les équilibres à trouver entre tout conserver et tout éliminer, sur les nouveaux enjeux liés au numérique. Ni ouvrage savant, ni libelle de circonstance, le livre de Marie-Anne Chabin se nourrit tout à la fois de la longue pratique de son auteur et de son souci de s’adresser à un lecteur parfois peu au fait des règles du monde archivistique.

Sept chapitres et une lumineuse introduction (« Les mots et les choses ») composent ce mouvement, car on a parfois l’impression d’avoir affaire à un rythme plus musical que textuel, un souci harmonieux d’amener, par petites touches, le lecteur dans les cheminements de la pensée de l’auteur. « Les archives sont aussi anciennes que les civilisations écrites, voire plus. » Pour autant, loin de paraître vieilli ou obsolète, « le mot archives a également bonne presse sur le web », et jamais notre civilisation, si gourmande d’éphémères, ne s’est autant soucié (au moins en paroles) de son propre archivage.

« Je pense, donc j’archive. » L’archivage est une activité naturellement humaine, même si tous ne la pratiquent pas. L’auteur montre judicieusement que l’archivage, loin d’être une activité destinée à figer le temps et les actes ainsi archivés, n’a de sens, de justification et d’utilité que dans l’action : « L’action n’exige pas d’archiver mais la poursuite de l’action s’appuie souvent sur les archives. » Archiver pour se défendre, pour s’enraciner, pour témoigner, sont des variantes de ce principe fondamental. L’archivage n’est plus réservé aux institutions, chacun peut archiver pour satisfaire ses propres besoins, « l’appétit d’archivage semble proportionnel au désir de reconnaissance, à la combativité, à l’enthousiasme ».

L’inforrhée galopante

Loin de démonétiser le souci d’archivage, l’« inforrhée galopante » numérique (joli néologisme !) lui a donné au contraire un relief nouveau : « Après l’euphorie de la création numérique sans contrainte, vient la crainte de la disparition de la mémoire. » C’est que « l’information est largement numérique et couvre toutes les formes de l’expression et de l’activité humaine », et que les volumes induits sont sans commune mesure avec ceux de la civilisation du papier. Au rebours de beaucoup d’idées reçues, Marie-Anne Chabin indique que « la permanence de l’existence d’un support pour toute information archivée s’avère plus importante que la modification de la matérialité de ce support ». Autrement dit, s’il faut stocker, il faut aussi pouvoir transmettre, mais aussi tracer l’origine : de ce point de vue, l’authenticité et la fiabilité d’une archive numérique posent des problèmes nouveaux – et cruciaux.

La résolution de ces problèmes est d’autant plus importante que « les archives sont une source de connaissances transmises de génération en génération ». À partir de ce postulat, l’auteur réfléchit au choix des archives à conserver tout comme aux moyens de les exploiter. Le souci de toujours replacer l’archive dans son contexte historique (tant d’exemples médiatiques nous prouvent le contraire) et la nécessité affirmée de ne pas tout conserver sont au centre de cette démonstration : « La sélection est nécessaire en raison de la redondance des archives produites, plus forte aujourd’hui que naguère. » Le tout résumé dans une sentence exemplaire et définitive : « Les archives ne parlent pas. Elles répondent à des questions. »

En conclusion de son ouvrage, et dans un double mouvement qui ne semble contradictoire qu’en apparence, l’auteur identifie tout à la fois la pratique du « désarchivage » avant de conclure : « Osez archiver ! » En effet, face à l’obésité archivale, il faut savoir, pour des raisons techniques, administratives, juridiques, intellectuelles, éliminer tout ou partie des archives constituées, problématique bien connue (mutatis mutandis) des bibliothécaires : car « l’excès de mémoire, la “surmnésie”, pourrait bien présenter des dysfonctionnements du même ordre que l’insuffisance de mémoire ou l’amnésie ».

Osez archiver !

Pour autant, « osez archiver ! ». Car « archiver, c’est anticiper. C’est voir aujourd’hui l’information qui aura du prix demain ». On voit bien que la problématique n’est pas si éloignée de celle des politiques documentaires en matière d’acquisition : « sélectionner, qualifier et protéger ». Marie-Anne Chabin invite chacun, entreprise, institution, association, à archiver mieux pour répondre « aux besoins d’information de [la] communauté », et cela au meilleur coût.

C’est une manière de conclusion, optimiste et dynamique, à cet excellent « petit » livre, au style souvent malicieux, mais d’une érudition sans faille. On sait (l’auteur l’évoque) que, à l’ère numérique, le monde des archives et celui des bibliothèques et de la documentation ont tendance à se rapprocher, à établir des passerelles permettant – enfin – une meilleure communication, voire un effort d’harmonisation, entre des pratiques et des habitudes jusqu’alors largement ignorantes les unes des autres. Nul doute que ce livre judicieux constitue un apport de choix dans cette progression, à recommander sans réserve.