Où le songe demeure
Lionel Bourg
ISBN 978-2-35428-002-4 : 15 €
Pour l’opération « Lire en fête » 2006, de nombreuses bibliothèques françaises ont réalisé des expositions sur le thème « Une ville, une œuvre ». La Fédération interrégionale du livre et de la lecture (Fill), en écho à ces manifestations, a invité l’écrivain Lionel Bourg à composer un texte autour de sept d’entre elles. Le livre qui en résulte, et qui aurait pu n’être qu’un produit mémoriel et semi-institutionnel d’une grande banalité, doit au contraire être salué comme une réussite, pour de nombreuses raisons – toutes bonnes. Car l’objet est à la fois singulier et séduisant.
D’abord, c’est un bel objet, un joli livre, de ceux qu’on touche avec plaisir et qui attirent la main comme une jeune peau. Le choix de la police et du papier (crème, avec une couverture légèrement gaufrée, à rabat), la mise en page, la finesse de reproduction des illustrations (quarante-quatre, en couleurs), dénotent à la fois un goût sûr, un savoir-faire d’artisan, et – j’y suis pour ma part très sensible – un sens de l’équilibre, du rythme et de la respiration, quasi musical.
Le texte de Lionel Bourg, déambulation, conversation intime – avec lui-même, avec sa propre pensée, avec les écrivains qu’il accompagne au fil des sept expositions –, est une autre source de joie, et donnera certainement envie de découvrir cet auteur à ceux qui ne le connaissent pas *. Il semble se couler tout à la fois dans l’humeur des auteurs célébrés et dans la tonalité des lieux alentour – car il ne visite pas seulement les expos, il séjourne, nous parle des hôtels, des cafés, des rues, et sa voix tantôt noire, tantôt mélancolique, nous convainc de l’accompagner dans ce « vagabondage affectif » et de faire avec lui les mêmes pas de côté. On prend un grand plaisir à le suivre.
Son texte, qui s’interroge dès l’ouverture sur la chance de laisser vivante et de retrouver la trace de la création, littéraire ou picturale, à travers les traces de vie laissées par les hommes, les signes qu’ils ont déposés pour que nous les déchiffrions (comme le sentier que l’on entretient, comme les bornes sur le chemin), permet aussi, par l’alchimie de ce regard unique, de transcender l’éclectisme du choix (aurait-ce été le nôtre, en effet, dans la multitude des choix possibles ?) et de tisser un lien entre les sept œuvres évoquées. « Ces messieurs de Grenoble » conte Stendhal (exposition « La révolte et les rêves », BM de Grenoble), sous la tutélaire protection du Gracq de En lisant, en écrivant, d’ailleurs cité. Piranèse et Hubert Robert sont saisis « Le long des ruines brumeuses du temps » (exposition à la médiathèque publique et universitaire et au musée de Valence). Grand amateur de blues, Lionel Bourg en chante un pour Verlaine (exposition « Verlaine cellulairement », BM de Metz). « Une odeur de papier journal du soir » salue le Bordelais Bernard Delvaille, poète exquis, admirateur de Larbaud et longtemps directeur de la collection « Poètes d’aujourd’hui » chez Seghers. Quelques photos noyées de pluie accompagnent « Le grand entêtement du cœur », pour Michèle Desbordes, disparue en 2006 et à qui la bibliothèque municipale d’Orléans (ville dont elle-même avait dirigé la bibliothèque universitaire) rendait hommage. Les « Trésors enluminés de Troyes » (exposition de la médiathèque de l’agglomération troyenne) inspirent le songe médiéval de « Dites-moi : où n’en quel pays ». Enfin, le voyage se conclut avec Léo Malet (exposition « Léo Malet revient au bercail » du réseau des médiathèques de Montpellier-Agglomération, réalisée pour marquer le don de ses papiers et objets personnels à la ville par les héritiers de l’écrivain). Poète avant de devenir romancier, Malet écrivait « Je hurle à la vie ». Lionel Bourg, dans ce livre en demi-teintes, tantôt pastel, tantôt sanguine, ne hurle jamais. La voix qu’il fait entendre n’en est pas moins forte. Le travail et la passion des bibliothécaires autour des écrivains et artistes qu’ils ont voulu exalter trouvent dans ce commentaire si personnel un écho à leur mesure.