Droit d'auteur et copyright
Françoise Benhamou
Joëlle Farchy
Denis Olivennes
ISBN 978-2-7071-5062-2 : 8,50 €
ISBN 978-2-246-71891-8 : 9 €
Dans les débats passionnés sur le droit d’auteur tels que nous les voyons se développer au rythme de l’essor d’internet et de la dématérialisation, est-ce de droit que l’on parle d’abord ? Entre juristes, sans doute, mais le grand public y participe à l’évidence sur un autre registre, où le droit, entendu dans sa définition la plus générale, n’entre que pour une part. Car la querelle est aussi culturelle, sociale et encore plus économique. Si elle n’a pas été laissée à l’écart, dans l’abondante littérature publiée sur ces questions depuis, disons, deux ans, l’analyse économique de la propriété intellectuelle n’y tient pas pour autant la première place. Quelques intuitions de juristes (La guerre des copyrights, Emmanuel Pierrat, 2006) ou de journalistes (Du bon usage de la piraterie, Florent Latrive, 2005 et 2007) ont pourtant aidé à penser que l’un des nœuds gordiens de la question, et sans doute le plus solide, ou le plus inextricable, était dans cette dimension économique.
Fondements économiques du droit d’auteur
Françoise Benhamou et Joëlle Farchy tentent une synthèse de la question (on n’ose pas dire un dénouement) dans le volume réduit de la collection Repères. Certes, l’ouvrage, en raison de sa densité et du souci des deux auteurs de se rattacher toujours à la théorie économique, n’est pas d’une lecture facile, malgré la clarté d’énonciation. Pour autant, il serait dommage d’en réserver le bénéfice aux seuls spécialistes, car ce qu’elles disent me semble essentiel pour comprendre la difficulté apparemment insurpassable de la situation actuelle, entre piratage sans limites et verrouillage complet de l’accès à la création.
Le droit d’auteur est, d’un point de vue économique, le résultat – ou l’expression la plus achevée à un moment donné, pour être plus exact – d’un compromis social. L’équilibre entre la protection de la création et sa diffusion se fondait sur une balance instable (« un compromis social à géométrie variable », disent-elles) entre les intérêts de trois pôles à la fois divergents et inséparables : auteurs, producteurs-investisseurs, intérêt public.
Deux phénomènes ont rompu cet équilibre : l’irruption du numérique, qui met à bas le système de régulation fondé sur la circulation de supports et la possibilité de contrôler la diffusion, et la naissance du consommateur comme quatrième acteur, récusant au nom de sa revendication consumériste le pouvoir de régulation des trois autres. Volant en éclats, le compromis social doit se reconstruire, mais sur quelles bases ?
Après avoir précisé dans les trois premières parties les fondements économiques du droit de la création, tels qu’ils se sont établis parallèlement au développement de la diffusion et à la naissance de la culture de masse, dans un jeu entre les « rentes de situation et les incitations », Françoise Benhamou et Joëlle Farchy décrivent la « contestation numérique » : culture de la gratuité née d’internet et d’une philosophie libertaire (et anti-libérale d’un point de vue économique, encore que cela mériterait d’être sérieusement nuancé), remise en cause concomitante du modèle économique, mise en évidence de la vacuité soudaine de la règle juridique, « soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse * » – protège le créateur, punisse le pirate, bien sûr !
Pour finir sur une note, sinon optimiste, du moins pratique, les auteurs esquissent quelques-uns des modèles alternatifs possibles et présentent les enjeux économiques, sociaux et politiques des solutions possibles. La « construction chaotique d’une offre marchande autorisée », ou les extensions à l’infini de la « culture libre » peuvent-ils devenir, économiquement s’entend, des modèles opératoires ? Il n’est pas certain qu’ici et maintenant, la théorie économique puisse être invoquée comme un grand secours, mais on n’en fera pas le grief à Françoise Benhamou et Joëlle Farchy, dont la réflexion est toujours marquée par une appréciable volonté d’objectivation dans l’analyse.
Les vertus du payant
À nouveau l’intuition, alors ? Denis Olivennes, pédégé de la Fnac, suggère semble-t-il l’imagination – y compris économique. Dans un essai au titre provocateur, lui aussi affirme en effet que la dimension économique, dans la société « marchandisée » d’aujourd’hui, est celle qui peut le mieux aider à relancer la machine, à assainir le système, à reconstituer un compromis social acceptable.
Certes, que le patron d’une grande surface culturelle très offensive et très dominante, symbole du capitalisme et du commerce réunis triomphant de la misère culturelle et répandant le Beau dans les classes populaires (allégorie dans le goût de Pierre-Paul Prud’hon), vienne défendre les vertus du payant n’a rien que de très attendu, et son intervention donnera des boutons à beaucoup, on le regrette d’avance pour quelques jolis minois. Mais pour autant, on aurait tort de ne pas prêter attention à son message. Car il plaide intelligemment pour l’exception culturelle (« les objets culturels ne disparaissent pas dans la satisfaction instantanée du besoin ou du désir du consommateur »), pour le droit d’auteur rendu à lui-même (« le droit d’auteur, parce qu’il est individualiste et égalitaire – mais oui ! – correspond à la nouvelle société démocratique »), pour la diversité culturelle.
Son analyse de la culture de masse et de ses effets, pour être rapide, n’en est pas moins brillante. Et dans les deux derniers chapitres, les plus détonnants, il apporte à sa démonstration des pièges de la gratuité, laquelle ne peut être qu’un leurre dès lors qu’elle n’est plus un des éléments acceptés par tous du compromis social, mais le privilège revendiqué d’un seul, des éléments difficilement contestables.
La dernière partie, où il échafaude des scénarios, n’est pas la moins polémique. Il montre par exemple la faiblesse de l’idée d’intelligence collective appliquée à la création artistique, ou de l’argumentation d’un économiste comme Daniel Cohen contre le droit d’auteur au nom de cette même intelligence collective : ce qui peut s’appliquer aux brevets de médicaments n’est pas forcément transposable aux œuvres de l’esprit. Il interroge aussi très finement la théorie, très à la mode, de la longue traîne : y voir une panacée est sans doute aussi risqué que de vouloir gagner le Tour sans être chargé comme une mule…
Mais, comme dans l’ouvrage précédent, on reste pourtant sceptique quant aux solutions avancées. Qui peut croire encore à la possibilité de contrôler la circulation des œuvres sur internet ? Inversement, qui peut faire confiance aveuglément au marché pour préserver les équilibres de la création, soutenir la diversité culturelle et assurer une rémunération équitable aux auteurs, sans (trop) restreindre les usages ? C’est le contraire que nous voyons. La survie de la librairie n’est pas dans la grande surface. La survie du droit d’auteur n’est pas dans le marché. En tout cas, pas seulement.