Quel avenir pour les bibliothèques ?

Faut-il repenser leurs missions, leurs collections, leurs services ?

Florence Bianchi

Le 24 mai 2007, Médiabib 91, l’association des bibliothèques de l’Essonne, a organisé à la médiathèque de Corbeil-Essonnes une journée d’étude sur l’avenir des bibliothèques. En effet, selon Josette Granjon, présidente de Médiabib, il y a urgence à réfléchir ensemble aux bouleversements auxquels la bibliothèque, mais aussi l’ensemble de la culture sont confrontés, du fait de l’accès massif et généralisé à internet. Face à la baisse du prêt et des inscrits actifs, d’autres signes, tels que le succès des animations culturelles et la fréquentation des usagers non inscrits, invitent à l’optimisme, comme l’a montré l’enquête du Crédoc 1, présentée par Christophe Evans (service Études et recherches de la Bibliothèque publique d’information). Les bibliothèques doivent peut-être interroger leurs collections – leur fraîcheur, leur circulation, leurs supports – et réfléchir à des services renforcés et mieux adaptés.

Les nouvelles tendances à l’étranger

Aline Girard (département de la Coopération, Bibliothèque nationale de France) a en effet noté à quel point les services sont développés dans les bibliothèques étrangères : multiculturalisme à la bibliothèque de Toronto, location de salles, d’ordinateurs et de scanners avec choix du matériel et réservation à distance à Helsinki, consultation du catalogue avec navigation par programmes personnalisés (OCLC DeweyBrowser) 2, vente de produits dérivés (British Library, Seattle), mais aussi Heure du conte par téléphone 24 h/24 –7 j/7 (Toronto), conseils de lecture avec critères de choix (beau ou laid, facile ou exigeant, avec ou sans sexe, etc.) et réservation en ligne (Whichbook.net), réponse en ligne personnalisée par webcam avec la personne de son choix, agents virtuels, etc.

De nombreuses bibliothèques ont un café, intégré à des espaces de plus en plus « sexy, cosy, fun et design », comme ceux, ouverts sur la cité, de la bibliothèque de Rotterdam, avec sa discothèque (où on emprunte) qui ressemble à une discothèque (où on danse), son bal des lecteurs, sa sculpture sonore, son théâtre, ses débats organisés en permanence, ses enregistrements de radio.

Les bibliothécaires s’exposent et travaillent de manière visible dans la bibliothèque, mais aussi hors de la bibliothèque : à Helsinki, ils vont dans les centres commerciaux ou les maisons de retraite avec des bornes mobiles ; à Madrid, des bibliothèques sont installées dans le métro.

Automates et robots sont de plus en plus présents (à Singapour, tout est automatisé) et l’externalisation est très répandue, de l’achat de documents prêts à être mis en rayon jusqu’à l’achat de bibliothèques clés en main (Qatar) en passant par la cogestion ou la gestion intégrale.

La France est pour l’instant très loin de tout ça, mais ces évolutions sont « absolument irréversibles » et on ne peut ignorer leur accélération. « Il faut informer ses tutelles que les bibliothèques changent, et vite, et qu’il faut s’adapter pour ne pas être dépassé. »

Quels nouveaux services pour quels publics ?

Pour Bertrand Calenge, responsable de l’évaluation prospective à la bibliothèque municipale de Lyon, la question de l’innovation en matière de nouveaux services n’a de sens qu’en lien avec celle de la population : « Il faut penser la bibliothèque en tant qu’espace comme consubstantielle à un public, pas comme un lieu idéal. » Le public, loin de se comporter en usager idéal, s’inscrit dans une logique nomade (quand il a besoin d’emprunter), peut être un  »revenant », mais aussi un usager, voire un emprunteur non inscrit, un braconnier, à qui « il vaut mieux faciliter la vie plutôt que l’ignorer » en développant les nombreux services qu’on rendait déjà sans le savoir, notamment la lecture de magazines et les animations culturelles, qui peuvent être pensés comme des  »nouveaux services » et permettre de multiplier les portes d’entrées sur l’information.

Les nouveaux services en ligne sont conçus pour toucher dans sa diversité « la nébuleuse des publics » et correspondent, à Lyon, à des espaces très différenciés 3. Même si des « agglomérations d’usages » ne concernent pas un public ciblé, « aujourd’hui, vouloir créer un service en fonction du public est une évidence », comme l’ouverture d’espaces non monographiques aux publics incertains et difficiles à cerner, en particulier aux adolescents.

La bibliothèque hybride modifie-t-elle les missions des bibliothèques ?

Dominique Lahary (bibliothèque départementale du Val-d’Oise) a relevé la multiplication des « journées spéciales grand frisson », qui ont pour origine une peur bien réelle, née d’un sentiment d’étrangeté : « On ne reconnaît plus le public », qui « met tout en concurrence et va chaque fois à son avantage ». Face à une « bibliothéconomisation de la société » dans laquelle les bibliothèques institutionnelles ne sont que des agents parmi d’autres d’un « système bibliothèque global », à une économie du cyber-espace qui mêle internet marchand et non marchand, abondance et rareté, massification et diversification et à une crise des intermédiaires, la bibliothèque hybride serait-elle une « divine surprise » qui pourrait permettre à la bibliothèque de se faire une place dans l’océan du gratuit en effectuant une reconquête par des marchés de niche où la valeur ajoutée est incontestable ? Les missions des bibliothèques en seraient-elles alors modifiées ?

On continuera de sélectionner tant qu’il y aura des collections, mais il faut se préparer à perdre la main, comme l’ont déjà perdue les bibliothèques universitaires avec les bouquets sélectionnés. De même, on continuera de décrire et de conserver sa collection, en sachant qu’on ne décrira pas le web, et qu’une grande partie de la conservation nous échappe. On continuera de communiquer, à distance et mieux, mais moins, les usagers étant de plus en plus autonomes, et on continuera bien sûr de promouvoir. À ces rôles traditionnels pourront s’en ajouter de nouveaux : publier, négocier (les accès payants), interfacer ou faire interfacer, organiser l’interaction du web 2.0, autant d’activités qui relèvent de la médiation.

La profession ne pourra tenir ces rôles, traditionnels et nouveaux, que si elle travaille en réseau et développe spécialisation, localisation, répartition et coopération.