La redocumentarisation du monde
Roger T. Pédauque
Toulouse : Cépaduès éditions, 2007. – 213 p. ; 21 cm.
ISBN 978-2-85428-728-8 : 23,5 €
À la manière de Nicolas Bourbaki, Roger T. Pédauque publie, en deux volumes distincts, les résultats d’un travail collaboratif de fondation conceptuelle et de clarification terminologique.
Prenant pour thème le document numérique et pour objectif la constitution du document comme objet scientifique, l’auteur collectif Pédauque dégage une méthodologie d’analyse en trois dimensions : anthropologique (le document/forme comme objet à voir), cognitif (le document/texte comme objet à penser) et social (le document/relation comme objet à transmettre). Cette approche tridimensionnelle structure différemment les deux volumes.
Dans le premier volume, Le document à la lumière du numérique, elle inaugure une série de trois articles « manifestes ».
Ouvertement « politique », le premier article s’attache à construire une « culture commune autour d’un objet commun à partir d’expertises multidisciplinaires » : cette cartographie des recherches sur le document numérique se veut un outil d’aide au pilotage stratégique à l’attention des acteurs institutionnels de la recherche. Nous sommes aux tout débuts des travaux du groupe, en juillet 2003.
De facture plus scientifique, les deux autres articles proposent une discussion épistémologique, en zoom pour « Pédauque 2 » – qui travaille finement les relations texte/document à travers l’examen précis de trois modèles –, et en plan séquence pour « Pédauque 3 » – qui englobe le « numérique documentaire » sous l’angle plus vaste d’une réflexion sur la « nouvelle modernité », nommée redocumentarisation pour insister moins sur le document lui-même que sur « la documentarisation généralisée de nos activités ».
Dans le second volume, qui s’intitule précisément La redocumentarisation du monde, l’approche inaugurale en trois dimensions donne une intelligibilité aux onze contributions du volume, qui renvoient à autant de synthèses singulières, établies par des groupes de chercheurs structurés en actions spécifiques ou en ateliers, autour de thèmes très circonscrits : interfaces de visualisation et d’annotation pour les bibliothèques numériques, corpus scientifiques numérisés, auctorialité, etc.
Les noms des rédacteurs et des contributeurs figurent clairement dans le prologue, Roger T. Pédauque faisant ici office de coordinateur.
Sous des formes différentes et complémentaires, ces deux volumes retracent trois années de dialogues et de confrontations au sein du Réseau thématique pluridisciplinaire « Documents et contenu : création, indexation, navigation » (dit RTP-Doc, Centre national de recherche scientifique), dense réseau de chercheurs – près de deux cents, représentant un large spectre disciplinaire couvrant l’informatique, la linguistique, l’ingénierie des connaissances, les sciences de l’information, les télécoms, les sciences de la communication, la gestion, les sciences sociales.
Cet ensemble a été orchestré par Jean-Michel Salaün, animateur du réseau en ligne, auteur de nombreuses synthèses et mises en perspective des travaux collectifs, éditeur scientifique, et, à ce titre, prescripteur des règles à l’œuvre dans cet atelier d’écriture collective.
Règles à appliquer pour les auteurs et règles indispensables à connaître pour le lecteur, notamment du volume 1, qui ne devra pas s’étonner de ne trouver ni « citations ou références précises », ni même mention nominative des travaux ou interventions des différents contributeurs.
Cet anonymat formel, ce collectif « fictif » appellent inévitablement une lecture à clef particulièrement délicate à mener, sauf à se rendre sur le forum du réseau RTP-Doc où figurent en ligne les différentes versions dans lesquelles se superpose une polyphonie d’annotations, nominativement renseignées.
Même si les textes sont en ligne – et vraisemblablement parce que les textes étaient en ligne plusieurs mois avant leur publication imprimée –, la mise en livre des deux volumes de Pédauque rend un hommage appuyé au travail d’édition et de composition.
La patte de Nicolas Taffin se devine à travers le choix des visuels et la fluidité de la composition typographique : déployés en art Ascii, les portraits de Gutenberg, Wittgenstein, Berners-Lee et Diderot habillent la couverture et les inter-chapitres du premier volume, dont l’édition a été confiée à C&F éditions, collectif d’éditeurs réunis autour d’Hervé Le Crosnier.
Livres jusqu’au bout des pages, les deux volumes bénéficient encore de préfaces particulièrement remarquables : Michel Melot, pour le volume 1, et Niels Windfeld Lund, pour le volume 2, signent des synthèses déterminantes pour les publics professionnels, des bibliothèques pour le premier et de l’information pour le second.
Autant mise en abyme que mise à l’épreuve des propositions théoriques et politiques qu’ils exposent, les deux volumes imprimés de Pédauque et leurs avatars électroniques incarnent simultanément l’épaisseur documentaire de l’archive, la clôture du texte et la monumentalité du livre.
Cette porosité des frontières rend l’entreprise collective de Pédauque sur le document numérique à la fois formellement stimulante et intellectuellement déroutante à découvrir.