La responsabilité juridique des professionnels de l’information et de la documentation et les codes de déontologie
Sylvia Cleff Le Divellec
La journée d’étude, organisée par l’ADBS (Association des professionnels de l’information et de la documentation) le 7 février 2007 à Paris, a été consacrée à deux thèmes distincts mais étroitement liés : la présentation des « principes de déontologie » destinés aux documentalistes et la responsabilité juridique de ceux-ci face aux auteurs d’une part et à leurs clients d’autre part. Un public nombreux et des discussions variées et multiples manifestaient l’importance et l’intérêt que la profession accorde aux deux thèmes. Tandis que la « juridisation » est depuis longtemps entrée dans la sphère professionnelle des documentalistes, le temps de la « responsabilisation » entre aujourd’hui dans leur actualité.
Les « principes de déontologie », une nouveauté dans le domaine de la profession des documentalistes
Alors que la responsabilité juridique des documentalistes est déjà une réalité, résultant principalement des dispositions légales du Code civil de 1804 et de la jurisprudence, la création de principes de déontologie est une nouveauté dans ce domaine professionnel et le produit d’un travail intensif des deux dernières années. La fonction et la signification des principes de déontologie dépendront de plusieurs facteurs : leur large diffusion auprès des documentalistes, leur acceptation et leur application.
Encinas de Munagorri (université de Nantes), après avoir défini les termes de « déontologie », « code d’éthique » et « normes », a établi les rapports existants entre ces notions et le droit. Les codes de déontologie sont répandus et appliqués dans les ordres professionnels des avocats et des médecins mais rien ne s’oppose à un « élargissement » vers d’autres métiers. Au sein de la pyramide des normes juridiques, un code de déontologie n’a la valeur ni d’une loi, ni d’un contrat, mais il peut constituer une norme « souple », un « usage » qui peut être pris en considération. À la différence de l’éthique, qui renvoie à une réflexion sur le « Bien », intégrant parfois des spéculations morales, la déontologie comprend surtout une définition de devoirs, de responsabilités et d’obligations d’une profession. Elle se caractérise en outre par le fait d’être élaborée par le public même qui se soumettra à ses règles. Elle contribue à une identité professionnelle et un « esprit de corps » tout en permettant aux « externes » de mieux cerner les devoirs et les responsabilités des personnes travaillant dans cette profession.
En conformité avec une recommandation de la Commission européenne, encourageant une « démarche horizontale » dans le processus de la création des normes, Anne-Marie Benoît et Christine Aubry (CNRS) ont présenté un projet en cours intitulé « Principes déontologiques des professionnels de l’information scientifique et technique dans l’environnement de la recherche ». Les principes de déontologie sont le résultat d’un travail engagé par le groupe Isidroit 1 du réseau CNRS Isidora (Réseau d’information scientifique interdisciplinaire des documentalistes en région Rhône-Alpes). Après deux années de travail en étroite coopération avec différents acteurs intégrant l’expérience et le conseil des experts des pays qui se sont déjà dotés de codes de déontologie (le Canada et la Suisse), le projet des « principes » était présenté pour la première fois à un public plus large 2. Les « principes » seront à l’avenir soumis aux documentalistes, qui seront incités à y exprimer leur adhésion.
La responsabilité juridique des documentalistes et les nouveaux instruments de respect du droit d’auteur
Arabelle Baudette, juriste au CNRS, a présenté au public les notions de responsabilité juridique et de risques juridiques auxquels les documentalistes sont exposés. La responsabilité d’un documentaliste s’applique à deux niveaux : d’une part au sein de l’établissement, vis-à-vis de la hiérarchie et vis-à-vis de l’auteur et, d’autre part, dans le rapport aux usagers « externes ». La responsabilité, juridiquement définie comme « l’obligation de réparer un dommage », s’applique au traitement des informations, à l’utilisation de l’information et à sa diffusion. Dans l’exercice de ses fonctions, le documentaliste est confronté à une éventuelle « responsabilité contractuelle » (et non « délictuelle ») car il agit sur la base d’un contrat de prestation de service (gratuit ou payant) face aux usagers ou d’un contrat de travail avec l’établissement de rattachement. Sa responsabilité peut constituer une « obligation de moyens » ou même une « obligation de résultat ». L’obligation de résultat oblige à un accomplissement bien plus poussé des devoirs que l’obligation de moyens.
Bruno Anatrella, avocat au sein du cabinet Pierrat, a fait un tour d’horizon de la protection de la propriété intellectuelle et du droit d’auteur. Il a rappelé que la propriété intellectuelle se divise en deux branches, la propriété industrielle (brevets et marques) et la propriété littéraire et artistique, mieux connue sous la rubrique des « droits d’auteur », qui protègent les « œuvres de l’esprit » sous les conditions qu’elles soient « mises en forme » et qu’elles révèlent une certaine « originalité ». Ces deux critères sont très larges et forcément subjectifs 3.
Mélanie Dulong de Rosnay, responsable juridique de Creative Commons France, a présenté la sphère des outils électroniques qui servent à diffuser plus largement des œuvres tout en diminuant les coûts de transaction pour l’utilisateur et en respectant les droits d’auteur. L’utilisation des Creative Commons entend réconcilier les intérêts de l’auteur avec les intérêts du public. Le site web de Creative Commons 4 offre plusieurs contrats types qui servent à la mise à disposition d’œuvres en ligne. La signature d’un contrat Creative Commons par l’auteur d’une œuvre autorise à l’avance le public à s’en servir en respectant les conditions établies. Les contrats sont faciles à utiliser, gratuits et se veulent constamment adaptés aux intérêts des auteurs et du public.
En résumé, les intervenants de la journée d’étude ont réussi à informer de manière large et approfondie sur les questions juridiques tout en suscitant l’intérêt sur un « nouveau-né » : les principes déontologiques.