Open Access

Comment concilier la qualité et la quantité ?

Nicolas Hubert

En 2000, deux Français de l’institut Jacques-Monod, François Strauss et Claire Gaillard, publièrent l’article inaugural de la revue BMC Biochemistry, premier périodique lancé par l’éditeur scientifique et médical BioMed Central, qui mettait en œuvre le modèle de l’auteur payant… et du lecteur gratuit. Avec la Public Library of Science (PLoS) dont l’apparition remonte à la même date – plus particulièrement à octobre 2000 et à la signature par près de 30 000 scientifiques d’une motion demandant aux éditeurs commerciaux de laisser les auteurs déposer leurs articles sur la base PubMed Central de la New Library of Medicine (NLM) –, cet éditeur est aujourd’hui en position dominante sur le marché de l’édition scientifique à auteur payant. Une position fragile, cependant.

Quels sont les enjeux qualitatifs et quantitatifs du modèle économique qu’il est parvenu à imposer, en moins de dix ans, comme une alternative essentielle à celui des éditeurs dominant le marché de l’édition scientifique, lesquels se dotent désormais d’une politique ou d’un département « Open Access » ? Organisé sous l’égide de BioMed Central, le colloque qui s’est tenu le 8 février 2007 au Royal College of Physicians de Londres a apporté d’importants éclairages – étant entendu que les éditeurs organisateurs tenaient eux-mêmes la lampe – sur l’évolution et les enjeux de l’édition scientifique à auteur payant.

Un foisonnement de projets

Lors d’une première table ronde consacrée aux modèles économiques, après un historique du mouvement pour l’accès libre et un exposé de Peter Morgan, de l’université de Cambridge, portant sur la plate-forme d’archivage DSpace, le directeur de la stratégie électronique à la British Library, Richard Boulderstone, a présenté la toute nouvelle base PubMed-UK (UKPMC), site miroir de son homologue américain, qui fournit l’accès à près de 620 000 articles en texte intégral et devrait, avec l’appui de l’université de Manchester, devenir le support unique de dépôt des archives d’articles publiés par des chercheurs britanniques ayant bénéficié, pour mener leurs travaux, de fonds publics. Cette présentation, évoquant le « just in time digitization », service par lequel la British Library s’engage à fournir en un temps record des reproductions électroniques, a persuadé le public du pragmatisme et de l’ampleur des projets menés en matière de documentation électronique par la British Library.

Dans la foulée de cette intervention, Jan Velterop, un géologiste néerlandais passé à l’ennemi – chez Elsevier, Academic Press, Nature, et désormais Springer, où il occupe le poste de directeur de l’Open Access (OA) – a détaillé la stratégie adoptée par cet éditeur, qui permet, entre autres mesures nouvellement adoptées, le dépôt en accès libre de tout article accepté dans l’une de ses revues, moyennant un forfait de 3 000 dollars. Livrant ses idées prétendument hérétiques pour un meilleur développement de l’OA, le chercheur-éditeur a plaidé pour la mise en place d’un lobby des éditeurs commerciaux à accès libre, tout en affirmant sa conviction – incontestable, il est vrai – selon laquelle l’avenir ne se situe pas au niveau des dépôts institutionnels d’archives, qui ne constituent qu’un produit dérivé alimenté par la production des éditeurs commerciaux, que ceux-ci aient adopté un modèle à auteur ou à lecteur payant. Tant que les éditeurs fourniront un service de validation scientifique, impossible à attribuer aux dépôts d’archives institutionnels ou personnels, il faudra bien que quelqu’un passe à la caisse !

D’autres initiatives, principalement médicales, ont été présentées au cours de quatre tables rondes s’enchaînant à un rythme soutenu. Un ancien bibliothécaire médical, Robert Kiley, responsable de la Wellcome Library, plate-forme de dépôt institutionnel, a expliqué comment celle-ci pouvait prendre en charge tout ou partie des frais additionnels de publication liés au modèle de l’auteur payant. Son intervention et les questions afférentes ont mis en évidence le problème du financement direct des auteurs, tel bibliothécaire de Cambridge posant la question qui fâche : « Et pourquoi les bibliothèques devraient-elles payer ? », tel autre professionnel de l’édition affirmant que seulement 22 % des fonds attribués aux universités britanniques en 2005-2006 pour financer la publication d’articles sur le modèle de l’auteur payant auraient été dépensés.

Le point de vue de l’auteur… et du citoyen

Responsable éditoriale des revues médicales chez BioMed Central, Deborah Saltman a expliqué l’avantage que pouvait constituer, pour un auteur, le fait de publier dans une revue à lecture libre. BioMed ventile les articles qui lui sont soumis dans son portefeuille de périodiques regroupant aujourd’hui une vingtaine de titres médicaux et une quarantaine de titres scientifiques. En fonction du souhait de l’auteur (s’il veut toucher un public de spécialistes ou élargi), l’une des composantes fondamentales du texte écrit – à savoir l’absence de contrôle sur son destinataire – est ainsi contournée. Une autre éditrice médicale, Ginny Barbour, s’exprimant pour le compte de PLoS, a mis en avant, dans le contexte technologique du web 2.0, l’apport que pouvait fournir la lecture et l’édition ouverte, qui autorisent la mise en ligne des commentaires des lecteurs. Les auteurs, pour leur part, ont révélé quelques-unes des limites inhérentes à l’édition OA. Diana Elbourne, de la London School of Hygiene and Tropical Medicine, a expliqué que les critères prévalant au choix d’un journal sont avant tout la réputation, l’audience mesurée par les facteurs d’impacts, les restrictions de taille ou encore les expériences antérieures.

À l’issue de la table ronde consacrée aux retours d’expérience des auteurs, une chercheuse en santé publique à l’université de Cambridge, Fiona Mattews, a expliqué que l’un des désavantages des publications OA est le faible facteur d’impact des revues qui en portent le modèle. Il est vrai, comme l’a écrit une autre Fiona – Godlee, directrice du British Journal of Medicine, l’un des titres les plus novateurs, historiquement, en matière d’OA – que les « impact factors eat Open Access for breakfast » (les facteurs d’impact mangent l’OA à tous les repas). Toutefois, rappelle Matthew Cockeril, éditeur chez BioMed, au moment de conclure le colloque, ces indicateurs n’évaluent que la propension de la recherche à susciter d’autres recherches; et il est indispensable à tout médecin qui voudrait maintenir son patient en vie, de produire aussi une littérature clinique faiblement rémunératrice sur le plan bibliométrique. L’une des idées force qui se dégage du colloque est que le modèle de l’OA est centré, avant tout, sur l’auteur. Ce qui est en jeu, dans ce modèle, ainsi que l’a prétendu Vitek Tracz, fondateur en 1999 de -BioMed, c’est le fait de pouvoir publier, bien plus que celui de pouvoir lire la production mise en ligne gratuitement. Point de vue pragmatique et hétérodoxe, à l’opposé du discours militant des croisés de l’auto-archivage.