De l’obsession du savoir au souci du service

Les bibliothèques sont-elles solubles dans les services ?

Annie Brigant

La désormais traditionnelle journée d’étude de l’ADBGV (Association des directeurs des bibliothèques municipales et intercommunales des grandes villes de France) faisant suite à l’assemblée générale de l’association, s’est tenue le mardi 13 mars 2007 à la bibliothèque municipale à vocation régionale de Nice. Vaste programme que celui de cette journée très dense, placée sous la responsabilité scientifique de Patrick Bazin, directeur de la bibliothèque municipale de Lyon.

Comme celui-ci l’a rappelé, les bibliothèques évoluent sous l’effet de l’imbrication de plus en plus étroite entre contenus et médiations. On est passé d’un modèle au centre duquel se trouvait le savoir, figé dans des collections encyclopédiques vers lesquelles il s’agissait d’amener le public, à un modèle de savoir à la fois construit de façon collaborative et vécu comme une expérience individuelle et quotidienne. Les formes de médiation s’en trouvent transformées, engendrant le développement de nouveaux types de services, et nécessitant en amont une attention soutenue à la qualité de l’accueil, une analyse fine des publics et de leurs besoins et une présence au plus près des populations à desservir – autant de thèmes traités successivement au cours de cette journée.

Aménagement de l’espace

Les choix effectués en matière d’aménagement de l’espace impactent fortement la perception qu’ont les usagers des bibliothèques, comme l’a montré l’intervention de Françoise Michelizza, directrice de la BMVR de Nice. Ainsi, pour ne citer qu’un exemple, la difficulté à faire percevoir l’espace d’accueil comme faisant partie intégrante de la bibliothèque (au-delà du souci d’attirer à l’intérieur de la bibliothèque le public le plus large possible) a conduit à homogénéiser la couleur des murs avec celle des espaces intérieurs, facilitant ainsi l’adoption par les visiteurs d’un comportement d’usager dès le seuil franchi.

Postulat confirmé par Grégory Côme, chargé du marketing sensoriel au Club Méditerranée, un univers très éloigné de celui des bibliothèques mais partageant le même souci de la qualité de l’environnement physique : un espace qui valorise le service, rende visibles ses spécificités et en facilite l’appropriation, en guidant l’usager dans son expérience. Une réflexion étendue à l’accueil, avec comme enjeu l’humanisation du service : au-delà des compétences techniques et institutionnelles attendues des personnes chargées du « service public », – être capable de produire le service et de refléter l’institution – la qualité de l’accueil est évidemment fonction des compétences relationnelles mises en œuvre dans le contact avec le public.

Isabelle Dussert-Carbonne (Bibliothèque nationale de France) a brossé à grands traits le portrait de l’usager d’aujourd’hui en s’appuyant sur son expérience à la Bibliothèque publique d’information : il a des exigences (gratuité, rapidité, abondance, accessibilité) ; il a besoin de s’approprier les documents (prêt, téléchargement, enregistrement de sa recherche…) ; il a besoin de retrouver dans la bibliothèque son espace personnel. Services et collections : ainsi s’esquisse une définition de la bibliothèque comme « gamme de services organisés autour d’une collection et d’un système d’information ». Ce à quoi l’on assiste également, c’est à une redéfinition de la relation entre bibliothèque et usagers – un nouvel équilibre au sein duquel la bibliothèque prend des engagements vis-à-vis de son public et lui offre le droit à la parole.

Analyse des besoins et adaptation de l’offre

La seconde partie de la matinée était consacrée à l’analyse des besoins, avec une présentation synthétique par Yves Alix des différents types d’outils d’évaluation à disposition des bibliothèques : enquêtes quantitatives et qualitatives, enquêtes de population et de lectorat, enquêtes nationales et enquêtes locales – pour lesquelles un cadre méthodologique commun reste à élaborer.

Adapter le service aux besoins mesurés ou supposés de la population et/ou du lectorat, tel est l’objet du marketing appliqué aux bibliothèques. Une démarche de plus en plus courante en bibliothèque mais rarement positionnée au sein d’un organigramme comme c’est le cas à la bibliothèque municipale de Lyon. Il s’agit à la fois, comme l’a rappelé Sandrine Chomel-Isaac, de développer, de structurer et de valoriser l’offre de services – une offre que l’on peut organiser selon trois catégories : des services de base (prêt, consultation sur place), autour desquels viennent s’articuler des services périphériques (reprographie, cafétéria…) et des services émergents.

Le souci du public, c’est un effort permanent d’adaptation de l’offre de collections et de services à la demande, de prise en compte de tous les besoins, mais aussi de proximité avec les populations des territoires desservis, dans les murs et hors les murs : Pierre Jullien a présenté le mouvement de restructuration du réseau des BM de Toulouse, rappelant au passage l’effet de l’ouverture du dimanche sur la diversification des publics, tandis que Maryse Oudjaoudi, responsable du développement de la lecture à la BM de Grenoble, évoquait la longue expérience de ce réseau en matière d’actions hors les murs en direction des publics éloignés du livre, en insistant sur quelques axes forts : une présence régulière, l’utilisation de la lecture à haute voix, la médiation, le développement de partenariats et la formation des partenaires à l’utilisation du livre.

Comment accueillir le public, comment évaluer ses besoins, comment favoriser la rencontre entre une offre et des publics, autant de passages obligés dans une réflexion axée sur les services. Reste la question centrale du contenu de cette offre. La journée s’est achevée sur trois coups de projecteur sur de nouveaux services, ayant pour point commun de placer l’usager au cœur du dispositif : un usager partageant ses expériences culturelles (les services numériques sur place et à distance autour de la musique), un usager acteur de sa formation (l’expérience du service auto-formation de la BPI), un usager producteur de savoirs, avec le cas exemplaire de Wikipédia.