Auteurs, éditeurs, libraires, bibliothécaires
ce que change l’internet
Florence Bianchi
Face aux deux attitudes généralement adoptées à l’évocation d’internet dans le monde du livre, l’une qui veut croire que la spécificité du livre lui permettra d’éviter la tornade que connaissent la musique et le cinéma, l’autre cédant volontiers à l’alarmisme, Livres Hebdo a souhaité faire le point 1 sur l’évolution déjà en cours en invitant, le 23 mars 2007, différents acteurs de la chaîne du livre à aborder ce qui, avec internet, a changé, est en train de changer, et pourrait changer.
Tendre la main vers le dictionnaire ?
Alain Mabanckou s’est laissé tenter par l’animation d’un blog littéraire sur Congopage 2 – malgré son appréhension de trop en dire au détriment des « vrais livres » – sur l’invitation d’un Congolais dont le site est basé au Canada, et qu’il n’a, en trois ans, jamais rencontré… Outre cette virtualité par laquelle « ce qui pesait 100 kilos ne pèse plus rien », Alain Mabanckou a également noté qu’internet l’oblige à être à la pointe de l’actualité la plus variée, et lui offre une rapidité dans la collecte et la vérification de l’information. Les écrivains vont de plus en plus vers ce besoin d’information rapide, cédant comme les autres à cette paresse par laquelle, plutôt que de tendre la main vers son dictionnaire on préfère aller sur Wikipédia. Il a cependant remarqué que l’on finit « toujours par revenir à la source, au livre », et prédit que l’écran finira par poser plus de problèmes que le livre.
Réflexion que n’a pas manqué de relever Catherine Lucet (Nathan, Le Robert) : en effet, Le Robert n’est pas actuellement disponible sur internet (seulement sur cédérom). S’il l’est un jour – ce ne sera pas gratuit, a-t-elle précisé – il sera une vraie alternative à Wikipédia. Car le métier d’éditeur, dans un monde numérique, reste – et sera plus encore, à terme – « la responsabilité d’assurer la cohérence, l’intégrité et la véracité d’un texte ». L’avenir de Nathan est de devenir un éditeur multimédia qui offrira des textes, des images, des sons, une interactivité et un dialogue, l’enjeu étant de « construire des modèles économiques viables et de répondre aux nouvelles attentes des apprenants ». Le numérique a peut-être un rôle à jouer, notamment dans la manière de prendre en compte la diversité de tous les élèves, mais on en est encore aux balbutiements et il ne faudrait pas « jeter les “outils traditionnels” avec l’eau du bain avant que les nouveaux outils soient efficaces ». Elle a cependant reconnu qu’internet a déjà changé la manière de travailler au sein de la chaîne graphique, en offrant des outils collaboratifs qui permettent de travailler ensemble, mieux, plus rapidement, et que les possibilités en termes marketing et commerciaux sont réelles.
Nouvelles relations marketing et commerciales
Claude de Saint-Vincent (Média-Participations) a développé quelques-unes de ces possibilités offertes par l’« extraordinaire opportunité » que constitue internet, rappelant que la bande dessinée a été, par nature, « multimédia avant l’heure », et qu’elle est, notamment avec l’adaptation en dessin animé , « vite et tôt sortie de ses bulles ». Catalogue en ligne – en passe de remplacer le catalogue papier, déjà plus à jour à sa sortie –, échantillonnage avec lien vers les lieux de vente et les librairies en ligne, communiqués de presse créatifs, fonds d’écran, strip du jour, jeux-concours, newsletters, forums : Média-Participations développe ces déclinaisons « le plus loin possible », notamment en direction du téléphone mobile, « le terminal de demain ». Cette opportunité offerte par internet dans un marché du livre en pleine évolution constitue aussi « un grand risque » : toute la BD est piratée, et l’intégralité de Lucky Luke (90 albums) est disponible en PDF sur eBay pour 19 … « C’est le Far West. Les shérifs arriveront, mais en attendant, le Far West va durer un petit moment… »
Denis Mollat est de ces libraires qui se sont très tôt passionnés pour l’informatique. Il s’efforce d’avoir sur internet une qualité de services comparable à celle en librairie, à laquelle il attache une grande importance, soucieux de proposer une « librairie à contenu ajouté » : les rencontres, coups de cœur et interviews sont disponibles en podcast, tous les postes de la librairie sont équipés en haut débit et l’abonnement au Monde.fr permet aux libraires de satisfaire la curiosité propre à leur métier et de répondre aux demandes les plus diverses. Car on vient en grande partie en librairie pour rencontrer des libraires. Et si à Noël, des personnes sont venues demander des conseils d’ouvrages qu’elles sont reparties acheter sur internet, « c’est le monde à l’envers, mais bon… ».
Plus revendicatif, Louis Klee (SCD de Nice–Sophia Antipolis) a insisté sur le fait qu’avec internet, le monde académique n’est plus le seul lieu de fabrication des savoirs. Il n’en demeure pas moins le seul garant. Couperin (Consortium universitaire de périodiques numériques) mène donc un travail de lutte au couteau contre des éditeurs anglo-saxons « de plus en plus féroces ». Le mouvement des archives ouvertes a pour but de restaurer la propriété intellectuelle des auteurs des résultats de la recherche, « livrés pieds et poings liés aux éditeurs sur internet qui les font payer très cher », et de recréer une édition à visage humain face aux « éditeurs requins ». « Il faut instaurer de nouvelles relations afin que vivent les bibliothèques et que vivent les éditeurs. »
Du débat avec la salle ont notamment surgi des interrogations quant au livre électronique – vaguelettes ou tsunami ? – et le regret que la révolution internet ait surtout été abordée en termes de vente et de marketing, et non en termes de liberté d’expression.