L’iconothèque du musée du quai Branly

Carine Peltier

Les collections de l’iconothèque du musée du quai Branly sont estimées aujourd’hui à 700 000 pièces. Deux ensembles importants ont été réunis : d’une part, la collection de la photothèque du musée de l’Homme (MH), estimée à quelque 580 000 pièces, et, d’autre part, celle du Musée national des Arts d’Afrique et d’Océanie (MNAAO) composée de 66 000 pièces. Le musée du quai Branly réalise depuis cinq ans de nombreuses acquisitions qui viennent enrichir cette collection.

Principalement composée de photographies, cette collection est complétée par des ensembles d’affiches, de cartes postales, de gravures et de dessins. Ainsi elle offre une importante diversité de techniques : procédés photographiques, procédés d’imprimerie et arts graphiques.

La collection de la photothèque du musée de l’Homme

Le service de la photothèque ouvre en 1938, après plusieurs années de préparation pendant la rénovation du musée d’Ethnographie du Trocadéro, qui aboutit à la création du musée de l’Homme en 1937. Le musée d’Ethnographie du Trocadéro, créé à la suite de l’exposition universelle de 1878, regroupait déjà un ensemble important de photographies du XIXe siècle, déposées ou données par des scientifiques. Lorsque la chaire d’anthropologie du Muséum national d’histoire naturelle est rattachée au musée d’Ethnographie du Trocadéro en 1928, ses collections de photographies viennent s’ajouter à celles-ci.

Les collections du XIXe siècle sont particulièrement intéressantes. Les photographies les plus anciennes datent en effet de 1841, soit peu de temps après la divulgation du procédé (1839). Sont présents de très nombreux voyages et explorations (militaires, amateurs fortunés ou scientifiques), avant la grande période des missions plus officielles de la fin du XIXe orchestrées notamment par le ministère de l’Instruction publique autour des années 1880-1890. Le XIXe siècle est également représenté à travers de nombreux portraits anthropologiques (dont la finalité était l’étude des types humains), comme ceux pris par Jacques-Philippe Potteau pendant les visites d’ambassades étrangères à Paris ou bien par le prince Roland Bonaparte durant les exhibitions ethnographiques organisées à la fin de ce siècle dans les grandes capitales européennes. La collection comprend des milliers de négatifs sur verre au collodion et leurs tirages, témoins de cette pratique de la photographie anthropométrique.

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Élèves traducteurs, Oulan-Bator. Coll. Toumanoff, 1882.

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Seferino Laquio, 21 ans, Tagaloc de l’île de Luçon (îles Philippines). Coll. Potteau, 1884.

Ensuite vient le temps des grandes missions ethnographiques dans les années 1920 et 1930, correspondant à la naissance du musée de l’Homme qui ouvre en 1937 et à l’émergence de l’ethnologie française avec notamment la création de l’Institut d’ethnologie en 1925. La pratique de la photographie se professionnalise. Ainsi évoquerons-nous la mission Dakar-Djibouti (1931-1933) de Marcel Griaule (accompagné de Michel Leiris), les missions Citroën centre-Afrique (1924-1925) et centre-Asie (1931-1932), mais aussi les études de Claude Lévi-Strauss sur les populations d’Amazonie (1935-1936). De retour de missions, les ethnologues versaient au musée de l’Homme, d’une part les objets rapportés, mais également leurs photographies de terrain. Des photographes célèbres, comme Henri Cartier-Bresson, Lola Alvarez-Bravo, Pierre Verger et Walker Evans sont également présents dans les collections.

Ainsi la photothèque du musée de l’Homme offre un ensemble exceptionnel consacré à l’anthropologie physique et à l’ethnologie et permet de comprendre comment la photographie est venue étayer ces sciences en plein essor. Elle fut, pendant longtemps, considérée essentiellement comme ressource documentaire. La présence de nombreuses diapositives sur verre, sur support verre ou film, témoigne du caractère didactique de la collection.

La collection de photographies du musée national des Arts d’Afrique et d’Océanie

C’est à l’occasion de l’Exposition coloniale de 1931 que cette collection voit le jour. En effet, de très nombreuses photographies sont envoyées au tout nouveau musée permanent des colonies (1931), qui deviendra successivement le musée de la France d’Outre-mer (1935) et le Musée national des Arts d’Afrique et d’Océanie (1960). Une photothèque est véritablement organisée avec l’arrivée du fonds de l’Agence générale des colonies en 1934. Ces photographies proviennent des campagnes officielles de cette institution et d’autres grands établissements principalement coloniaux, auxquels se sont ajoutés des dons et legs de professionnels et d’amateurs.

Parmi les fonds remarquables, citons celui du Dr Harter, médecin spécialiste des maladies tropicales qui entreprend une enquête sur les chefferies bamiléké du Cameroun dans les années 1950, qu’il lègue au MNAAO en 1962, mais aussi celui du peintre ethnologue Karel Kupka, passionné de peinture aborigène. Celui de Jean Binot est également à noter, pour les 13 800 plaques stéréoscopiques prises entre 1898 et 1909 durant son périple qui le conduisit jusqu’à Djibouti, Zanzibar, Mayotte et Madagascar.

Les 187 fonds du MNAAO couvrent la seconde moitié du XIXe siècle jusqu’à nos jours. Cette collection présente un intérêt majeur tant du point de vue de l’histoire de la photographie, que de l’exploration ethnologique et de la vie coloniale.

La collection de l’iconothèque du musée du quai Branly

La réunion de ces deux collections constitue aujourd’hui un ensemble exceptionnel par sa richesse et sa diversité, tant du point de vue de l’histoire de la photographie, de l’histoire des sciences de l’Homme (anthropologie physique et ethnologie), de l’histoire des collections et des institutions, que par le nombre important de pièces qui témoignent d’un regard d’auteur. En effet, les collections provenant du musée de l’Homme et du MNAAO se complètent particulièrement bien : les 11 albums de la Croisière noire provenant du MNAAO rejoignent les tirages donnés au MH, le fonds du Haut-commissariat de France pour l’Indochine pris entre 1920 et 1930 et déposé au musée de l’Homme retrouve la collection de l’Agence générale des colonies versée au MNAAO, entre autres exemples. Ainsi une cohérence se dessine entre ces deux collections, et une histoire des sciences de l’homme et des institutions.

Un programme de conservation préventive a été entrepris pendant la période de construction du musée entre mars 2004 et mars 2006. Après des expertises et des cartographies, les fonds ont été déménagés pour mener à bien le chantier des collections : campagnes de dépoussiérage, de conditionnement, de restauration, de catalogage et de numérisation.

La collection présente une importante diversité de procédés du point de vue des techniques et de l’histoire de la photographie : daguerréotypes (collection de 176 pièces uniques), tirages sur papier de toutes époques, négatifs sur papier, négatifs sur verre au collodion et au gélatino-bromure d’argent, négatifs sur film, diapositives sur film et sur verre, ektachromes, albums, et quelques rares appareils.

Quelque 238 000 pièces ont été récolées et 220 000 numérisées. Toutes ces opérations se poursuivent parallèlement aux études juridiques.

Le musée du quai Branly réalise de nombreuses acquisitions depuis quelques années et notamment en photographie, acquisitions qui concernent aussi bien le XIXe siècle, que le XXe siècle : missions du XIXe siècle en Océanie (Festetics de Tolna), en Russie (albums du baron de Baye), fonds constitués par des ethnologues comme Guérin-Faublée portant sur la mission de Thérèse Rivière et Germaine Tillion dans les Aurès en 1936, Françoise Girard et Christine Quersin. Les collections de l’iconothèque s’ouvrent également à la création contemporaine (Fiona Pardington et Parekwohai) et le musée organise, outre ses expositions de photographies, la biennale Photoquai, dont la première édition se déroulera en octobre-novembre 2007.