Lecteurs précaires

des jeunes exclus de la lecture ?

par Florence Guittet

Véronique Le Goaziou

Paris : L’Harmattan, 2006. 198 p. ; 22 cm. – (Débats jeunesses).
ISBN 2-296-01601-4 : 17 €

Le désintérêt des adolescents pour la lecture en tant que pratique de plaisir et de loisirs a fait -l’objet de nombreux travaux. Ce constat est avéré malgré l’allongement du temps passé à l’école, le développement des outils pédagogiques visant à l’enrichissement des compétences de lecture et l’extraordinaire essor de la littérature pour la jeunesse.

Dans ce contexte, que savons-nous des pratiques lectorales des jeunes de 15 à 25 ans issus des milieux défavorisés? Le travail bibliographique de Bérénice Waty * a montré que ce domaine demeurait largement inexploré. Ce qui a amené plusieurs institutions, dont la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), le ministère de la Culture et l’Observatoire national pour la lecture, à commander une étude sur la question à Véronique Le Goaziou. Sociologue et ethnologue, elle a déjà mené des recherches sur les terrains sensibles, et propose ici une approche de la lecture par l’analyse des comportements culturels.

Explicitation des choix méthodologiques

La chercheuse a réalisé une étude qualitative, fondée sur le recueil d’entretiens semi-directifs de jeunes et de professionnels. L’analyse de ces discours est enrichie par une observation de terrain. Ces choix méthodologiques sont très largement explicités, découvrant ainsi les coulisses d’une enquête sur un public difficile, les questionnements de la sociologue et l’étonnement mutuel suscité par leur rencontre.

Le corpus, élaboré avec soin, nous emmène auprès d’une population originaire de sites urbains (Les Mureaux, Bagneux, Rennes), rural (Le Cateau-Cambrésis) et semi-rural (proximité de Metz). Les jeunes étaient, au moment des interviews, placés en institution (prison, foyer, centre d’insertion de la PJJ) ou demeuraient dans leur lieu de vie habituel.

L’appellation de « jeunes en voie de marginalisation » permet de désigner un public connaissant diverses difficultés (délinquance, déscolarisation, carences affectives, paupérisation…). Consciente des limites d’une telle dénomination, Véronique Le Goaziou nous prévient qu’il ne s’agit pas d’une tentative de catégorisation. Cependant, nous pouvons nous interroger sur cette terminologie induisant un processus d’exclusion alors que les résultats de l’enquête nous montrent que ce sont essentiellement les paramètres de socialisation et d’insertion qui influent sur les pratiques de lecture.

Quelques résultats

Les objectifs de ce travail consistent à recenser les pratiques de lecture des jeunes en dehors de l’école, à étudier la place et le sens qu’ils accordent à cette occupation, afin de mettre en évidence leur regard sur la lecture et les lecteurs.

La plupart des jeunes interviewés lisent peu, et le reconnaissent sans dissimulation. Ils citent néanmoins les journaux (essentiellement locaux ou régionaux), les magazines ou les bandes dessinées comme faisant l’objet de leurs lectures les plus régulières. L’évocation des livres est souvent liée à l’école et à la contrainte du travail scolaire. Ce sont les jeunes ayant le meilleur niveau de formation et les filles qui lisent le plus d’ouvrages.

Il ressort que le peu d’appétence des jeunes pour la lecture est à resituer dans le constat plus général de l’évolution des pratiques culturelles et de loisirs des adolescents. À l’extérieur, les jeunes aiment les pratiques collectives (sorties au centre commercial, sport en club) ; chez eux, ils regardent la télévision ou jouent aux jeux vidéo. Comme d’autres études l’avaient déjà démontré, les habitudes de lecture semblent influencées par l’environnement familial et amical. Les bibliothèques sont bien repérées comme étant des endroits qui leur sont ouverts gratuitement, mais ils les considèrent avant tout comme des lieux de rencontre entre pairs.

La dernière partie de cette recherche s’attache à décrire les représentations des jeunes et nous offre un éclairage nouveau sur le rapport ambigu des jeunes à la lecture. En effet, les jeunes semblent moins refuser les thèmes des livres que la contrainte de la pratique solitaire de la lecture. L’isolement que nécessite la lecture ne leur plaît pas, et est associé à l’ennui. Lire prend du temps, demande un effort et incarne parfois « une forme de mort ». La pratique lectorale les renvoie à une intimité qui leur est souvent douloureuse. D’autre part, la lecture demeure pour eux l’apanage des gens instruits, des personnes âgées ou fortunées ; elle n’appartient pas à leur univers culturel et ils ne voient pas l’utilité de l’y inclure.

Pistes de travail

Pour conclure, Véronique Le Goaziou rappelle avec beaucoup de nuances que la lecture n’est plus dans notre société un impératif moral et qu’il convient de respecter les comportements culturels de ces jeunes, orientés vers d’autres pratiques. Elle soumet néanmoins quelques pistes de réflexions aux professionnels qui souhaiteraient améliorer le rapport des jeunes à la lecture.

Depuis la parution de cette recherche, la Direction du livre et de la lecture et la PJJ ont initié une action de promotion de la lecture et de rencontre avec les écrivains, les libraires et les bibliothécaires, intitulée « Les bonnes raisons de lire mon livre ». L’enjeu est de faire sortir la lecture de la prescription scolaire et d’amener les jeunes à lire pour eux.

  1. (retour)↑  Les grands adolescents et les jeunes en situation de marginalisation par rapport à la lecture, au livre et aux pratiques lectorales : état des lieux de la recherche, DLL, Ministère de la Culture, 2003.