Les dérèglements de l’exception culturelle
plaidoyer pour une perspective européenne
Françoise Benhamou
ISBN 2-02-081844-2 : 23 €
L’auteur de L’économie de la culture (5e édition, La Découverte, 2004) et de L’économie du star-system (Odile Jacob, 2002) nous livre ici une analyse critique sur la réalité de ce que l’on serait tenté d’appeler la politique de l’exception culturelle. C’est à la lecture du sous-titre que l’on découvre et que l’on imagine le fil de la démonstration mis en avant par l’économiste : « plaidoyer pour une perspective européenne ». Il s’agit bien d’une analyse économique de ce qui a pu être induit par la mise en action de l’exception considérée ici comme pierre angulaire de l’action culturelle française mais également replacée dans une aire culturelle distinguée et comparativement établie. Plus largement, il s’est agi de porter un regard sans complaisance sur la culture comme domaine d’intervention de l’action publique depuis la création du ministère des Affaires culturelles.
La transformation profonde de cette politique publique (dans laquelle pourtant la sphère privée intervient et doit intervenir) est inéluctable. Des impasses de la politique culturelle « à la française », et notamment l’échec patent de la démocratisation quand on sait que les publics sont encore moins hétérogènes socialement qu’ils ne l’étaient alors, à la nécessaire viabilisation de l’économie de la création artistique, Françoise Benhamou mobilise outils statistiques et comparaisons pour dresser d’implacables constats.
Le rôle de l’État et des collectivités territoriales est revisité à l’aune de la dimension pléthorique du nombre de fonctionnaires culturels et du poids pécuniaire des grandes institutions. Il est également question de cette « anti-culture » du mécénat qui perdure en dépit d’incitations fiscales séduisantes. L’auteur se livre à une réflexion autour de la relation particulière qui doit se nouer entre le marché et l’État culturel. Elle livre notamment un regard pertinent sur les effets de la politique de tarification unique du livre ou sur celle des quotas dans la programmation audiovisuelle et n’oublie pas de montrer au passage les effets pervers que constituent la concentration des éditeurs et distributeurs pour la première ou la production d’aubaines contre-productives pour la seconde. Il est aussi question de ce débat passionné et récent sur la musique enregistrée dans lequel l’État pèse peu face à des majors qui usent de la nature économique des biens culturels (celle des coûts fixes) pour s’imposer.
La question la plus importante ou du moins la plus passionnante traite du glissement sémantique non sans conséquence qui a été opéré relativement récemment : de l’exception à la diversité. Au travers d’une vision et d’un contexte internationaux, l’exception décline quand la diversité prend le pas et se voit à son tour sacralisée par la convention de l’Unesco de 2001. Mais encore une fois l’auteur va plus loin et montre les paradoxes qui en découlent (l’effet Matthieu nous semblant ici le plus évocateur de ces derniers) et même l’instrumentalisation qui peut en être faite par les industries culturelles. Enfin, il est question de replacer cette évolution ou ce glissement à l’échelle européenne dans la mesure où la diversité, en tant que fondement conceptuel, ne peut véritablement se satisfaire d’un seul contexte national. La thèse soutenue est celle d’un nécessaire dépassement des modèles existants trop différents et antagonistes par une mise en place effective d’un espace ou d’un territoire commun aux hommes et aux biens culturels qui pourrait rendre opérationnelle la notion de diversité culturelle telle qu’elle est avancée et percevable dans cet ouvrage. À la vision d’un déclin, l’auteur refuse de souscrire, tant des méthodes précises sont avancées pour parvenir à rendre la notion opérante, mais aussi à dépasser ce terme qui demeure un « mot-valise ». Non sans une légère, mais appréciable, dimension utopique dans la conclusion.
D’un point de vue formel, l’écriture est claire, même si la fréquente mobilisation de chiffres et de concepts théoriques basiques en économie plonge parfois le lecteur dans une certaine difficulté à poursuivre le raisonnement. Malgré tout, cette démonstration demeure d’une perspective essentiellement économique et on peut regretter que certaines dimensions sociales de ces mutations ne soient pas plus présentes dans l’analyse qui nous est ici livrée. Trop peu de choses notamment des moyens de production nouveaux qui, mobilisant les technologies de l’internet et des réseaux, joueront un rôle forcément incontournable en termes de politique publique de la Culture. De même, si certains usages et biens culturels sont évoqués (le spectacle vivant, le cinéma, la télévision, etc.), d’autres demeurent étonnamment absents de l’analyse : la dimension proprement économique ne doit-elle pas être mise en regard d’une perspective sociologique non seulement centrée sur les fréquentations, mais aussi sur les différentes formes de consommation culturelle ?