Du rayonnage au fonds virtuel

Bibliothèques et documentation à « l’âge de l’accès »

Silvère Mercier

Organisée par la Fulbi (Fédération des utilisateurs de logiciels de bibliothèque) 1, cette journée d’étude a été placée sous le signe de l’âge de l’accès 2, titre du célèbre essai de Jeremy Rifkin 3 annonçant l’avènement d’une « nouvelle culture du capitalisme ». Quels en sont les enjeux dans les métiers de l’information/documentation ? Comment la dynamique de « l’âge de l’accès » se manifeste-elle ?

Accès et mutations

Les interventions de Ghislaine Chartron (chercheur à l’Institut national des techniques documentaires) et de Dominique Lahary (directeur de la bibliothèque départementale du Val-d’Oise) ont notamment permis de mieux cerner les mutations à l’œuvre et d’envisager les transformations du rôle des professionnels que nous sommes au sein de cette « économie de l’internet ».

L’accès, dans cette économie, c’est d’abord la question des moteurs de recherches dominants, véritable porte d’entrée vers les contenus. Il est essentiel et même vital d’y être référencé pour exister. Parallèlement, le nouveau paradigme de la longue traîne laisse une place économique croissante aux ouvrages peu diffusés et même épuisés. Exploitée en particulier par Amazon, la longue traîne 4 est le passage d’une économie de rendements importants sur peu de produits à une économie où les niches de contenus deviennent visibles et rentables, du fait de la taille du catalogue et des fonctionnalités de recommandations.

Ce qui change est donc l’élévation du niveau d’exigence des utilisateurs pour la taille critique du catalogue et l’importance des fonctions d’exploration à l’intérieur de ces catalogues.

Dominique Lahary souligne que les usagers n’hésitent pas à mettre en concurrence différentes sources d’information. C’est dans ce contexte que la question du rôle des intermédiaires (autant les journalistes que les bibliothécaires et les enseignants) se pose, alors que les valeurs essentielles de cette économie se résument par ces trois termes proposés par Ghislaine Chartron : temps, qualité et mobilité.

Pour Dominique Lahary, de nouveaux rôles s’ajoutent à ceux traditionnels du bibliothécaire/documentaliste, tant il est vrai que les deux métiers se rapprochent. À décrire, conserver, communiquer et promouvoir des ressources, s’ajoutent la publication, l’importance des interfaces et enfin la négociation, illustrée dans cette journée par la présentation de Carel 5 par Isabelle Antonutti, de la Bibliothèque publique d’information.

Le Consortium pour l’acquisition des ressources électroniques en ligne piloté par la BPI continue à creuser son sillon dans un marché français étroit, où les bibliothèques, lorsqu’elles sont informées des possibilités offertes par Carel, manifestent un réel intérêt. Pour autant, même si on constate une croissance de 30 % du nombre de bibliothèques « carellisantes » (selon le néologisme en vigueur) et une augmentation de l’offre négociée, la dynamique reste difficile à installer. Les bibliothèques innovent peu et tendent à se considérer d’abord comme des lieux de culture et non d’information.

On le voit, il reste du chemin à parcourir pour que les bibliothèques publiques se chargent d’« organiser l’interaction » comme le propose Dominique Lahary.

Logiciels et services

Les tendances du marché des prestataires de logiciels et de services dans le domaine de la documentation et des bibliothèques, relevées par Marc Maisonneuve (Tosca Consultants), peuvent se résumer à cette phrase de Jeremy Rifkin : « La relation vendeurs-acheteurs cède peu à peu la place à la relation prestataire-usagers », sans oublier la maxime du même auteur : « Des produits gratuits pour des services payants ».

Marc Maisonneuve propose deux lectures du marché du point de vue des clients. Une logique (pessimiste) de concentration avec des entreprises qui n’ont plus les moyens d’investir dans de nouveaux produits et se contentent de remettre d’anciens produits à niveau, davantage en fonction d’impératifs financiers que pour le réel bénéfice des usagers. Une autre logique, plus optimiste, voit dans la forte concurrence de ce secteur un terreau d’innovations. De manière globale, les évolutions des produits concernent plus la gestion des ressources électroniques (portails, résolveurs de liens, Electronic Ressources Manager) que les systèmes intégrés de gestion de bibliothèque (SIGB). La dynamique de l’accès se retrouve ici dans le nombre croissant de systèmes proposés sous forme de briques logicielles et surtout d’offres entièrement hébergées chez les prestataires.

À cet égard, la présentation par Marc Richez de l’offre de Flora Library en version SAAS 6 (Software as a service) est significative. Ever Ezida propose non plus l’achat d’un produit et de services de maintenance, mais un service en ligne de gestion de bibliothèque pour un coût mensuel comprenant l’équipement informatique et son entretien. Cette forme commerciale d’abonnement reste émergente en France et doit, pour être adoptée, correspondre à la logique de l’équipement informatique des collectivités, dans la mesure où elle revient à une externalisation du service informatique.

Le logiciel libre PMB 7 se positionne sur ce créneau, si l’on excepte la fourniture du matériel et le fait que PMB n’a pas de coûts de licences. La présentation d’Éric Robert a mis en évidence des fonctionnalités qui révèlent une dynamique très intéressante de prise en compte des besoins des utilisateurs, à l’heure du web 2.0.

De ce point de vue, le positionnement d’Afi Opac 2.0 8 présenté par Arnaud Lelache témoigne d’une nette évolution. L’éditeur du Logiciel Pergame ajoute une corde à son arc en proposant une brique Opac 2.0 associée à Moccam (Mon catalogue collectif à moi) 9 et au SIGB de la bibliothèque. Particulièrement centré sur l’utilisateur, le pari est celui de s’appuyer sur la formidable dynamique communautaire du web 2.0. L’Opac est ici positionné comme une plate-forme d’échanges et de recommandations entre le public et les professionnels, au centre de laquelle se trouve la collection. L’intérêt porté par la salle à cette présentation semble montrer que le besoin est bien réel.

Au final, cette journée aura montré que les thèses de Rifkin publiées en 2000 n’ont rien perdu de leur pertinence. Cependant, l’enjeu est de taille et les mutations considérables pour les services documentaires. Sans doute n’existe-t-il pas une seule réponse mais des faisceaux d’expériences complémentaires dans lesquels nous devons trouver une place.