Kateb-Yacine, une bibliothèque accessible

Soumia Houama

La bibliothèque Kateb-Yacine de Grenoble, l’une des deux plus importantes structures du réseau municipal, est située au sud de l’agglomération dans un centre commercial dont l’agrandissement a été l’occasion, pour l’ancienne bibliothèque Grand-Place, de faire complètement peau neuve et d’accueillir, entre autres, des services dédiés aux personnes handicapées visuelles. Elle a été inaugurée en janvier 2005.

Un service de lecture adaptée

La bibliothèque Kateb-Yacine dispose d’un poste informatique dédié aux personnes déficientes visuelles, implanté au sein de l’espace multimédia de la bibliothèque. Il est équipé de logiciels spécifiques assurant l’accès à la lecture aux personnes aveugles et amblyopes. L’usager peut naviguer sur internet, rédiger du texte, accéder à toutes les applications de Windows, prendre connaissance d’un document imprimé ou numérique via un éditeur vocal Jaws, un logiciel de grossissement de texte Zoom Text, un logiciel de reconnaissance de caractère Open Book et une plage tactile Alva braille.

Par ailleurs, cet équipement est complété par une machine à lire et un vidéo-agrandisseur. La machine à lire est un appareil qui permet de numériser, reconnaître, et lire les caractères d’un document imprimé : livre, revue, etc. Le vidéo-agrandisseur est un outil électronique muni d’un plateau mobile sur lequel l’utilisateur place le document, celui-ci est projeté sur un moniteur et grossi autant de fois que nécessaire.

Les usagers sont reçus sur rendez-vous, assistés pour la prise en main des logiciels spécifiques, accompagnés dans leur recherche documentaire et ils peuvent disposer du poste informatique et de la bibliothèque en toute autonomie. Cependant, ils sont peu nombreux à investir la configuration informatique et matérielle qui leur est destinée (environ quatre à cinq usagers réguliers). Il est difficile de cerner les causes de ce manque de succès. Nous pouvons incriminer un défaut de communication, un relais défectueux de la part des associations et le fait que beaucoup de personnes handicapées visuelles s’équipent de ce même matériel. À ces facteurs, se conjugue la dimension psychologique de la personne aveugle qui a intériorisé, depuis toujours, l’idée que les bibliothèques ne sont pas faites pour elle. Néanmoins, nous avons constaté que plusieurs abonnés aveugles et malvoyants sont des emprunteurs anonymes, ils fréquentent la bibliothèque pour ses collections, mais ils ne consultent pas sur place via les logiciels spécifiques.

Des collections accessibles

Nous développons depuis l’ouverture de la bibliothèque, un fonds de livres enregistrés sur support CD, commercialisés par des éditeurs spécialisés. Nous avons introduit le format MP3 pour limiter la multiplicité de CD pour un même titre. Actuellement, ce fonds compte environ 400 documents et représente un budget annuel d’environ 1 000 €. Ces documents ont les faveurs du public, ils sont empruntés aussi bien par les personnes déficientes visuelles que par les autres abonnés.

Outre les livres CD, nous prêtons aux adhérents du réseau des bibliothèques de Grenoble des livres numériques accessibles à un public de personnes handicapés visuelles. Nous constituons cette collection via un libraire en ligne, Numilog. Les abonnés des bibliothèques peuvent télécharger sur leur ordinateur personnel des livres numériques pour une durée maximale de quatre semaines ; à l’échéance, le livre disparaît de la mémoire de l’ordinateur. Cette collection comprend environ 500 titres dont une dizaine de livres audionumériques. Le budget attribué à ce fonds courant 2006 est de 1 000 €.

D’autres ressources en ligne sont reconnues par l’éditeur vocal Jaws et les plages tactiles des personnes braillistes, notamment l’agrégateur de presse Pressens. Cette ressource donne accès aux archives d’une cinquantaine de journaux et magazines en ligne.

La plupart des bibliothèques du réseau proposent des collections de livres en gros caractères, dont le confort de lecture est apprécié par tous les usagers, en particulier les personnes âgées. La qualité du contraste et la taille des caractères pallient les difficultés de lectures de certaines personnes amblyopes.

Les enfants aveugles et malvoyants peuvent emprunter à la bibliothèque Abbaye-Les-Bains des livres tactiles en double écriture (braille et écriture imprimée), illustrés en relief. La double écriture permet une double lecture simultanée, celle de l’enfant brailliste et de son parent voyant. Pour la plupart, ces livres sont des réalisations remarquables, édités par Les doigts qui rêvent.

Des services à optimiser

Pour une meilleure prise en compte des personnes handicapées sensorielles dans les bibliothèques, il faudrait poursuivre l’effort de diversification des collections accessibles. Pour exemple, le catalogue de l’Adav propose des DVD en audio-vision (films dont les scènes sont commentées par une voix off), on y trouve également des films sous-titrés pour un public sourd et malentendant. D’autre part, certains établissements comme la Réunion des musées nationaux et la Cité des sciences de La Villette éditent des livres conçus pour être entièrement accessibles aux publics handicapés visuels. Ces livres sont souvent des réalisations de qualité. Pour que l’accessibilité soit une réalité effective, il faudrait une prise en compte transversale de cette question dans les politiques d’acquisitions.

Aujourd’hui, internet est devenu pour les personnes aveugles et amblyopes, un outil privilégié d’accès à l’information. Cependant la navigation relève toujours, pour la personne aveugle, d’une stratégie d’exploration plus ou moins fastidieuse de la page. La chose peut être facilitée par la mise en accessibilité des sites internet, cela signifie une construction ergonomique des pages et le respect des règles d’accessibilité émanant du consortium *. Pour information, le site internet des bibliothèques de Grenoble ne respecte pas les standards d’accessibilité. Il est néanmoins possible d’accéder au catalogue, mais les étapes sont nombreuses, et cela rebute les personnes peu familiarisées avec internet. L’interface du catalogue est également à améliorer.

Penser l’accessibilité en bibliothèque, c’est aussi proposer des animations accessibles à tous. Non pas des animations spécifiques, mais une prise en compte, pour chaque animation proposée, des adaptations susceptibles de faire venir tous les publics, y compris les personnes handicapées sensorielles. L’offre spécifique est à proscrire car elle enferme, cloisonne et empêche les publics handicapés de s’approprier l’espace de tout le monde. Elle prive ces personnes de l’échange et de l’interaction avec d’autres publics.