Éditorial

Yves Alix

On parle plus de six mille langues dans le monde 1, mais la pluralité linguistique semble aussi menacée que la biodiversité. Internet et le Global English, accélérateurs de leur disparition ? Rien n’est moins sûr, nous dit pourtant Jack Kessler en ouverture de ce dossier. Car la mondialisation est aussi la chance des communautés attachées aux langues qui ont défini leurs territoires et leur identité. Les outils les plus récents, comme Unicode, permettent d’ailleurs les échanges avec une facilité que les professionnels de la documentation, confrontés depuis longtemps aux problèmes de translittération, n’espéraient peut-être plus.

Comment concilier demain la domination d’une langue véhiculaire (l’anglais) ou la pression exercée par les idiomes dominants (le chinois mandarin, l’hindi, l’espagnol…) avec la nécessité de préserver et de maintenir vivantes des langues locales qui sont autant de trésors ? Par la coopération, l’apprentissage, la diffusion, assurément. En ouvrant les moteurs de recherche et les projets de bibliothèque universelle à la diversité des familles de langues, comme Jean-Yves Mollier y invite les décideurs politiques. Et, pour la France, en reconnaissant enfin les langues régionales, dont plus personne – sauf les gardiens de la Constitution – ne croit encore qu’elles puissent menacer l’unité de la République.

« Systèmes de signes pour communiquer », comme les qualifie le Trésor de la langue française 2 dans une définition a minima, les langues sont une priorité pour les bibliothèques, outils de communication et d’ouverture au monde : les services aux nouveaux immigrants, tels que les propose la bibliothèque de Queens ou, plus modestement, les collections en langues étrangères d’établissements français, montrent l’exemple. De même, les langages destinés aux déficients sensoriels, du braille à la langue des signes, ont toute leur place dans les bibliothèques d’aujourd’hui, et l’amélioration des outils d’accès, là aussi, est une chance à saisir.

Et la langue de la tribu bibliothécaire ? Nous la parlons si naturellement que nous avons peine à imaginer que nos usagers, nos inscrits, nos multifréquentants, bref : les gens, ne la comprennent pas. « Le bibliothécais sans peine » vient à leur secours. Mais nous resterons seuls (dé)formés par sa pratique quotidienne, aussi vrai, comme disait Goethe, que « Le langage fabrique les gens bien plus que les gens ne fabriquent le langage ».