Nouveaux publics, nouveaux usages

Tendances nationales et réalités locales

Odile Puravet

Le 9 novembre 2006, une journée d’étude organisée par le Centre départemental de lecture publique et la bibliothèque départementale de Saône-et-Loire a regroupé à Mâcon bibliothécaires et élus afin de réfléchir sur le thème : « nouveaux publics, nouveaux usages : tendances nationales et réalités locales en bibliothèque ».

L’enquête du Crédoc

Cette journée a commencé sur un constat plutôt positif quand Christophe Evans, sociologue, chargé d’études en sociologie au service Études et recherche de la Bibliothèque publique d’information, commenta les résultats de l’enquête du Crédoc * (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie). Les objectifs de l’enquête étaient de mesurer les changements survenus en bibliothèque depuis une précédente enquête diligentée en 1997, d’évaluer l’impact sur les bibliothèques municipales du « relâchement culturel » (fut constatée une baisse régulière du taux des gros lecteurs), d’apprécier l’incidence sur les bibliothèques municipales du « basculement dans la société Internet » (quelle est la France des plus de 50 % d’internautes ?) et enfin, d’affiner le diagnostic de la Direction du livre et de la lecture à propos de la baisse du taux d’inscrits depuis 1999 (malgré de nouveaux équipements, des aides, etc.).

L’enquête (réalisée uniquement sur une population de plus de 15 ans) montre une fréquentation des usagers inscrits relativement stable, une hausse importante des usagers non inscrits, dont le nombre a doublé entre 1997 et 2005, et une présence accrue des usagers occasionnels en médiathèque. Parallèlement, la durée de visite s’allonge considérablement, les usagers viennent plus souvent accompagnés (par leurs enfants et/ou des amis) ; la bibliothèque a su instaurer une « humeur de travail » qui implique une forte augmentation du travail sur place. Si la tendance devait se poursuivre (en 2005 : 25 % d’inscrits et 42 % d’usagers), les bibliothèques verraient en 2013 environ 27 % d’inscrits et 50,5 % d’usagers. Par ailleurs, on enregistre une excellente lisibilité de la bibliothèque : son statut est très fort, son lieu est connu et chacun se sent familier avec elle.

L’identité des bibliothèques en question

Les interventions suivantes furent nettement moins positives et renvoyèrent au public un questionnement difficile mais incontournable.

Le rôle culturel des bibliothèques n’est plus à démontrer (on sait que les statistiques placent la fréquentation des bibliothèques au-dessus de celle des musées) ; l’offre y est foisonnante et spécifique ; la qualité de l’accueil et le niveau de confiance sont globalement satisfaisants.

Cependant, la bibliothèque a un problème d’identité. Elle a trop voulu évaluer son impact en partant de son offre, alors qu’elle devrait mesurer sa pertinence en interrogeant ses publics. « La place de la bibliothèque n’est-elle pas d’abord la place que la population lui donne ? » demande Sandrine Chomel-Isaac, responsable du développement des publics et des web services à la bibliothèque municipale de Lyon.

Maryse Oudjaoudi, responsable du service Développement de la lecture à la bibliothèque municipale de Grenoble, a suscité un vrai malaise dans la salle en creusant ce terrain d’incertitude que sont devenues les bibliothèques, en expliquant que les publics ainsi que la constitution des collections ont changé mais que les bibliothécaires n’ont pas su véritablement évoluer et se remettre en question.

Les bibliothécaires, trop souvent, projettent sur leurs lecteurs leurs propres désirs, qui passent par un amour (presque) exclusif du livre. Quelle en est la légitimité ? Les lecteurs désirent-ils ce miroir qu’on leur impose ? N’est-il pas grand temps de considérer à part entière cet usager non inscrit ?

Reconstruire le métier

Il nous faut reconstruire le métier. Exit l’acquéreur, place au médiateur culturel. Nous devons entrer aujourd’hui dans un processus de transformation des bibliothèques, en ne craignant pas d’innover, de bouleverser pour rebâtir un nouveau mode de fonctionnement.

Dominique Lahary, directeur de la bibliothèque départemental du Val-d’Oise, est déjà pleinement inscrit dans cette mutation et a souligné les nombreux paradoxes liés à l’offre hybride des bibliothèques et au vécu des bibliothécaires. Face à un avenir qui se situe « entre ravissement (charger le cyberespace de ses rêves) et déclin (confondre la perte de ses propres repères avec la fin du monde) », qui prône une apparente dématérialisation et une illusoire désintermédiation, comment le bibliothécaire peut-il se repérer ?

Il suggère quelques étapes pour aboutir à un salutaire bouleversement des missions des bibliothèques et des bibliothécaires : prendre du recul ; décrypter l’identité professionnelle du bibliothécaire au sein de son environnement technique ; opérer des distinctions sur les pratiques dites nouvelles ; observer, chercher à comprendre les usages des publics ; appréhender la diversité des modes de consommation ; analyser les fonctions des bibliothèques et savoir dissocier les bibliothèques de la « fonction bibliothèque ».

Mutatis mutandis, la bibliothèque retrouve sa place dans l’élaboration des politiques publiques, elle doit oser l’expérimentation ; « l’offre documentaire n’est peut-être plus le cœur du métier » clame l’audacieux agitateur ! Le bibliothécaire doit admettre qu’il a besoin de non-bibliothécaire dans la bibliothèque, ne pas raisonner de manière isolée, multiplier ses rôles, bref refonder son métier.

D. Lahary conclut avec un enthousiasme qu’il souhaite communicatif que bibliothèques et bibliothécaires vivent actuellement une révolution de leurs missions, que ce phénomène, loin d’être déstabilisateur, doit être moteur et qu’il nous faut impérativement repenser l’accès à la fonction bibliothèque universelle.