Le livre électronique, quels lecteurs ?
3e Journée Couperin
Annie Le Saux
Dans le monde universitaire, le succès des périodiques électroniques n’est plus à démontrer. En revanche l’essor du livre électronique, plus exactement du livre électronique en français, se fait attendre. La 3e Journée Couperin, qui s’est déroulée à Rennes le 23 octobre, a posé la problématique de ce lent développement avant de s’intéresser à l’apport du livre électronique en matière de lecture.
Un environnement numérique
Qui ne se souvient de Cytale et de son cybook ? Son apparition fut aussi brève que retentissante. Pour Dominique Nauroy (Centre de recherche sur les médiations EA 3476, université de Metz), l’explication de l’échec de ce premier lecteur de livres électroniques vient de ce que la société Cytale a porté seule une offre de lecture dématérialisée. Pionnier en la matière, le cybook a été perçu « comme un ennemi du livre par les lecteurs et comme un pis-aller par les éditeurs ». Nouvel accès à la lecture et non nouvelle façon de lire, il fut considéré comme « ni plus ni moins qu’un PC portable ».
Depuis, les choses évoluent, mais pas assez vite aux dires de tous ; les enjeux sont cependant multiples, qu’ils concernent la pédagogie, la recherche ou les loisirs. Une des raisons de ce décollage laborieux, et qui fait l’unanimité, vient de l’offre insuffisante d’ouvrages en français. La technologie ne se suffit pas à elle-même ; il lui faut un contenu approprié. Des négociations sont engagées avec les éditeurs 1, conscients de l’enjeu mais réservés, surtout en ce qui concerne les manuels – ouvrages les plus demandés par les étudiants de 1er cycle : une vente de cinq de ces exemplaires pèse évidemment peu, économiquement parlant, face à la potentialité d’un achat par tout un amphi.
Des équipements numériques sont mis en place dans les nouvelles universités numériques régionales (UNR) dans un souci de rendre au public universitaire des services de proximité en ligne. L’université numérique de Bretagne (UNRB), dont le projet est déjà bien avancé, permettra à 70 000 étudiants et aux enseignants de cette région de disposer d’un environnement numérique de travail (ENT) qui les amènera au plus près de leurs besoins, qu’ils concernent la formation, l’administration ou la documentation, quels que soient l’endroit et l’heure (Thierry Bedouin, directeur du Centre de ressources informatiques de l’université Rennes I et Jacqueline Le Champion, SCD Rennes I).
Une expérience menée par l’École nationale supérieure des télécommunications, en partenariat avec Couperin, deux agrégateurs de contenus (Numilog et NetLibrary) et avec le soutien du ministère de l’Éducation nationale, dans onze établissements sur le prêt d’ouvrages électroniques via les UNR et les ENT, confirme l’avis général : l’offre est insuffisante en français (Laurence Douilly, bibliothèque de l’ENST, Brest). 73 % des étudiants jugent cependant ce service satisfaisant et plus de 5 000 prêts ont été effectués en trois mois. Le fait de pouvoir emprunter même quand la bibliothèque est fermée, sans avoir à se déplacer, est un des éléments appréciés du dispositif. Les besoins exprimés par les étudiants vont vers des manuels, des guides pratiques, des ouvrages en français, les prescriptions des enseignants, des versions qui ne soient pas trop antérieures à la version papier, avec des modalités d’accès simplifiées.
En lecture publique, les actions de Boulogne-Billancourt en faveur de la lecture à distance, notamment par des personnes handicapées 2, font l’objet elles aussi d’études, dont les constats confirment là encore un choix trop restreint d’ouvrages en français – quelques milliers de titres seulement (Alain Patez, Bibliothèque numérique, Boulogne-Billancourt). À cette carence, viennent s’ajouter un coût trop élevé, mais aussi des difficultés techniques : problèmes de format (les DRM, ces clés technologiques de sécurité, gênent les lecteurs), de compatibilité, de qualité sonore et d’ergonomie, sans oublier une phase d’apprentissage assez longue.
Est-ce que le saut dans le futur que nous fit faire Lorenzo Soccavo (journaliste) 3, s’appuyant sur des exemples asiatiques, peut laisser présager une explosion du marché des livres électroniques ? Dans le panel des dispositifs existants et des projets, la nouvelle technologie de l’e-ink, qui offre, paraît-il, « un confort de lecture comparable à celui du papier », arrive sur trois nouvelles gammes d’appareils de lecture : Sony Librié, Reader Iliad et le viewer d’un groupe chinois. Au Japon, le QR Code (Quick Response Code), sorte de code-barres en deux dimensions, permet, à partir d’un téléphone portable d’accéder à de nombreuses fonctionnalités. Mais tous ces nouveaux produits doivent encore tenir compte de la demande et de la réceptivité des utilisateurs s’ils ne veulent pas aller au-devant d’échecs commerciaux.
La lecture sur support numérique
Alexandra Saemmer (université Lyon II) s’est interrogée sur les pratiques de lecture sur support numérique. Se différencient-elles de celles du livre papier ? La lecture se transforme-t-elle en écriture, puisque le lecteur peut facilement devenir auteur, remaniant le texte d’origine, faisant des ajouts… ?
Les spécificités de ce support facilitent-elles ou parasitent-elles la lecture ? Beaucoup d’étudiants sont réticents à lire sur écran et impriment les textes, pour un meilleur confort visuel et pour une utilisation des textes dans d’autres lieux. De plus, un texte sur écran n’a pas le vécu d’un livre papier, « il n’a pas d’âme », disent certains. Mais la lecture sur écran est aussi considérée par d’autres comme « rapide, intéressante, claire, accessible, moins statique et plus moderne ». On y lit autre chose que du texte, on « regarde » une page web.
Caroline Blanche (doctorante en psychologie ergonomique, Groupe d’études sur la santé, le travail, l’information et la cognition, université Bretagne-Sud), dans un langage souvent hermétique, s’est attardée sur les processus cognitifs mis en jeu dans la transmission des connaissances et sur l’impact du livre électronique sur la lecture à partir d’une expérimentation sur 40 « sujets » d’une moyenne d’âge de 25 ans.
En conclusion de cette enrichissante journée, Catherine Forestier (SCD de l’Institut national polytechnique de Toulouse) a présenté le bilan des acquisitions des ouvrages numériques en milieu universitaire, effectué par le pôle Livres électroniques du consortium Couperin. Les types de produits achetés vont des mono-produits, parmi lesquels Universalis tient la tête, aux collections thématiques (emc-consulte, Safari) et aux plates-formes (Numilog, NetLibrary).
Mais comment comparer le contenu des ouvrages ? Comment évaluer les fonctionnalités des plates-formes, comment intégrer l’offre dans l’environnement numérique ? Telles sont les questions qui se posent aux acquéreurs. La prescription enseignante, dont la faiblesse est un frein à l’usage par les étudiants des livres électroniques, devrait se multiplier avec l’apparition de nouveaux acteurs que sont les universités numériques thématiques, auxquels participent activement les enseignants 4. De nouveaux usages correspondant à de nouveaux besoins peuvent être envisagés, liés aussi à une acculturation plus rapide des générations à venir. Des usages dont l’analyse devrait orienter les acquisitions, or les seules données dont on dispose actuellement ne proviennent que d’une seule source : celle des éditeurs 5.