La sagesse de l’éditeur

par Thierry Ermakoff

Hubert Nyssen

Paris : L’œil neuf éditions, 2006. – 111 p. ; 20 cm. – (Sagesse d’un métier).
ISBN 10 : 2-915543-13-5
ISBN 13 : 978-2-915543-13-1 : 12,50 €

Cet ouvrage, paru chez L’œil neuf, qui a ouvert une collection sous le titre « Sagesse d’un métier », et dont on a lu avec plaisir La sagesse du bibliothécaire, de Michel Melot, est plutôt une apologie de la folie de l’éditeur : passion de la lecture, de l’écriture, de la rencontre.

Citant fort à propos Dante (« Tout espoir envolé, il nous reste le désir »), Hubert Nyssen place son argument essentiellement sous l’évocation d’Érasme et de la douce folie, de celle qui nous entraîne au-delà de nos propres chemins ; c’est ainsi qu’il explique son parcours : éditeur à la troisième et imprévue tentative, et ses découvertes par un oubli (celui dans lequel était tombé Nina Berberova), un refus (celui que les éditeurs américains avaient opposé à la publication de Cité de verre, de Paul Auster, et un pari (celui d’écouter André Markowicz le convaincre de republier, dans une nouvelle traduction, Dostoïevski : 10 000 pages, 10 ans de travail).

Hubert Nyssen nous parle des livres que nous aimons, de la façon de les fabriquer, de les penser, comme nous les aimons. Des risques financiers et intellectuels pris, de l’attention portée à la belle ouvrage. Il nous parle d’un temps où les gestionnaires n’avaient pas encore pris le pouvoir dans la plupart des grandes maisons d’édition (à ce sujet, il est opportun de relire le texte d’Yves Pagès dans la revue Lignes de juin 2006, revue disparue aujourd’hui ; enfin, ça doit se trouver dans toutes les bonnes bibliothèques), où la qualité de l’objet, capable « de se faire oublier en tant qu’objet et imposer en tant que sujet » est primordiale, il évoque les variations Goldberg, trop peu les bonnes bouteilles de vin du Sud, et trop peu des femmes : car enfin, et nous y faisions allusion, le livre est avant tout objet de désir ; et, à ce sujet, ce texte ne peut que pâlir de la comparaison avec Lira bien qui lira le dernier : lettre libertine sur la lecture, paru en 2004 aux éditions Labor, comme si, tout étant dit déjà, à quoi bon se répéter.

Aujourd’hui, meurent des revues (Le Mâche laurier, dont la dernière livraison aura lieu l’an prochain), des maisons d’édition (Al Dante), béquillent d’autres (Le temps qu’il fait, toujours en situation précaire). On en connaît les causes, maintes fois répétées, et écrites. On connaît le rétrécissement du lectorat, l’affadissement du goût ; mais enfin, tout cela n’est pas irrémédiable. Il reste des lieux, nous serions tentés de dire des cabinets de curiosités, qui ne demandent qu’à s’ouvrir. Pensons à l’Alamblog, par exemple, animé par notre ami Éric Dussert, sorte de Pic de la Mirandole vivant et électronique, où nous pouvons découvrir le dernier colloque des Invalides, le dernier texte de Maurice Roche et surtout vérifier que, au contraire de ce qu’écrit Hubert Nyssen qui y est allé là carrément fort, Moby Dick n’est pas une baleine, mais bien un cachalot.

Et si nous relisions L’éditeur et son double (Actes Sud) ?