Marketing Library and Information Services
International Perspectives
München: K.G. Saur, 2006. – 419 p. ; 22 cm.
ISBN 3-598-11753-1 : 68 €
Le « marketing des bibliothèques » n’étant guère connu, enseigné, ni pratiqué comme tel en France, Marketing Library and Information Services a le mérite de montrer à quel point il s’est imposé partout ailleurs depuis quelques années dans la littérature bibliothéconomique. L’existence d’une section Management et Marketing de l’Ifla, et la publication de ce livre sous cette égide consacrent, en quelque sorte, la reconnaissance symbolique de la discipline.
Le marketing des bibliothèques
Sans doute n’est-il pas inutile de rappeler d’abord ce que recouvre la notion de « marketing des bibliothèques ». On sait que le marketing (en français, la mercatique) s’est développé dans les années cinquante. L’idée fondatrice était que, dans le contexte d’une concurrence commerciale accrue, il ne suffisait plus de disposer d’un bon produit et de bons vendeurs mais qu’il fallait désormais mieux cerner les attentes, besoins et désirs des utilisateurs pour les anticiper, voire les créer. La mercatique recouvre donc l’emploi d’outils et de méthodes permettant d’ajuster l’offre d’un produit ou d’un service à ses utilisateurs potentiels. Elle permet de compléter l’approche produit – l’offre déterminée par la spécialité et le savoir-faire de l’entreprise – par une approche client – l’étude des besoins et des attentes du public visé.
Le marketing-mix (en français, marchéage) constitue quant à lui une véritable stratégie reposant sur la combinaison de l’étude du produit, du prix, de la distribution et de la promotion (ou publicité).
Dans les études de gestion, la mercatique est généralement considérée comme une fonction à part entière, au même titre que les fonctions de production, de gestion financière, de gestion des ressources humaines et de contrôle et non pas simplement, comme tel est parfois le cas, comme le département de publicité de l’entreprise. C’est pourquoi, la mercatique est considérée comme une « stratégie opérationnelle » à caractère technique – en la matière, principalement l’étude de marché – et par conséquent comme une fonction subordonnée à la stratégie générale de l’entreprise et bien entendu aux intérêts de ses dirigeants et de ses actionnaires.
De l’entreprise, la mercatique s’est étendue au domaine des services publics. La multiplication des certifications de services publics sur la qualité de leurs services en est l’expression la plus apparente. Dans les bibliothèques, elle s’est d’abord développée dans les bibliothèques universitaires. Tel est notamment le cas du projet SERVQUAL destiné à mieux cerner les besoins des étudiants, enseignants et chercheurs au regard des objectifs d’enseignement et de recherche des universités.
Le Library marketing s’est par la suite étendu à tous les types de bibliothèques et enfin aux bibliothèques de lecture publique. Il est vrai que, dans ce dernier cas, cela ne s’est pas fait sans difficultés, du fait du manque d’objectifs explicites de ces organisations. Il n’est pas toujours explicitement établi que le but des « démarches qualité » n’est pas de satisfaire en toutes choses des « usagers-clients », mais de contribuer efficacement à l’intérêt général en offrant le meilleur service à des « usagers-citoyens », appelés comme tels à comprendre que le service public ne peut viser l’excellence que dans le cadre et les limites de sa mission d’intérêt public…
Objectifs et pratiques
Marketing Library and Information Services: International Perspectives présente l’intérêt de donner un aperçu de la façon dont la discipline s’exprime et se développe de façon tant académique que professionnelle.
Le livre s’ouvre sur deux articles théoriques, l’un de Dinesh K. Gupta et l’autre de Barbara Ewers et Gaynor Austen. Cette partie introductive est suivie de comptes-rendus d’exemples d’applications de la mercatique à divers services dans plusieurs pays. Une troisième partie, qui s’ouvre sur un article de Réjean Savard sur l’historique de la section Management et Marketing de l’Ifla – dont il a été l’initiateur – s’attache à illustrer la façon dont des associations de bibliothécaires se sont saisies du concept pour promouvoir les bibliothèques, voire redéfinir le rôle et la place des bibliothèques. Une quatrième partie s’attache à la formation et bien entendu à la promotion du marketing. Christie Koontz présente à ce propos le « prix d’excellence », délivré par la section. Enfin, une dernière partie, sans doute la plus utile, traite des sources relatives à la discipline : base de données de publications et revues de littérature.
On devine que l’objectif du livre est surtout de faire connaître le rôle et le rayonnement de la section de l’Ifla, ce qui marque par là même ses limites. On n’y trouvera pas ce qui fait le principal intérêt de la mercatique : l’offre concrète de méthodes et d’outils permettant de mieux comprendre les besoins documentaires et de service des usagers acquis et potentiels de la bibliothèque, comme notamment Geolib *, le service de « Géomarketing », créé dans le cadre de l’université d’État de Floride par la même Christie Koontz.
Marketing Library and Information Services permet toutefois de se faire une idée de ce qui se pratique (ou, comme dans le chapitre écrit par Florence Muet sur la France, de ce qui ne se pratique pas…) en la matière à travers le monde. Certes, les comptes-rendus d’expérience sont, telle est la loi du genre, quelque peu fastidieux et plus ou moins convaincants selon les cas. Mais ne serait-ce pas là, après tout, une excellente occasion d’exercer la sagacité du lecteur ?
Positionnement politique et stratégique
Ce que l’on peut par contre beaucoup plus regretter, c’est que l’ouvrage n’échappe pas au principal défaut de la littérature du genre, celui d’un mauvais positionnement politique et stratégique de la mercatique des bibliothèques. Le propos semble en effet par trop laisser penser que cette discipline pourrait constituer un mode d’interrelation bibliothécaires/usagers se suffisant à lui-même, dépassant ainsi, en quelque sorte, la problématique politique. L’orientation d’un service public pourrait ainsi se déterminer dans le seul cercle des fonctionnaires et des bénéficiaires.
Le simple bon sens nous rappelle que, pas plus que l’ethnologie des lecteurs et des bibliothécaires, la mercatique ne doit occulter l’essentiel, à savoir qu’y compris en matière de bibliothèque, toute action publique est d’ordre politique et dépend en premier lieu de la décision des citoyens et des décideurs politiques qu’ils ont désignés ; n’est pas plus à ce titre d’ordre « managérial » qu’elle n’est d’ordre « scientifique », mais relève de la mise en œuvre d’un ensemble de politiques publiques nationales et locales ; relève de la responsabilité et des choix des collectivités territoriales et non de ceux des bibliothécaires (dont le rôle est du domaine de l’expertise, de l’aide à la décision et de la mise en œuvre), des usagers (dont les intérêts particuliers ne peuvent être opposés à l’intérêt général), des associations professionnelles (qui peuvent contribuer, par des propositions d’ordre professionnel à inspirer l’action publique, non prétendre l’orienter).
Seule, pour l’instant et à notre connaissance, une part de la littérature américaine replace correctement la fonction mercatique au service de la recherche de l’intérêt général (notion de « bénéfice pour la communauté ») et de ses acteurs et composantes (notion de stakeholder) ; ce qui à la différence de modèle de société près – universalité du sujet en France, prise en compte du sujet comme membre d’une communauté aux États-Unis – replace comme il se doit la mercatique comme une fonction subordonnée au management public, qui lui-même n’a de sens qu’au service de la politique. Partout ailleurs, du moins dans le domaine des bibliothèques publiques, la mercatique des bibliothèques apparaît trop souvent comme un avatar corporatiste de plus, saisi par des bibliothécaires, voire des groupes d’intérêts professionnels, pour soustraire la corporation à l’épreuve du débat public.
C’est pourquoi j’aurais pour ma part tendance à conclure, en complément de Florence Muet, que cette discipline ne pourra efficacement et durablement se développer dans notre pays que lorsque nous saurons discerner, par la prise en compte de la dimension des politiques, la notion de « besoin » de celle des simples demandes ou des « pratiques ».
Alors, et alors seulement, la mercatique, c’est-à-dire l’indispensable étude méthodique des activités et des compétences de la population, de son environnement social et urbain, des offres complémentaires et concurrentielles à celles de la bibliothèque, etc., trouveront leur raison d’être pour le plus grand profit de l’institution et de ses usagers acquis et plus encore potentiels ; ce qui, au regard des résultats de la plupart des bibliothèques publiques françaises, relève de l’urgence.