Les « 3 R »
Riom, reliure, rencontres
Thierry Ermakoff
Cette cinquième édition des « 3 R » de Riom, les 16 et 17 septembre 2006, mériterait bien plus qu’un simple compte rendu, tant la manifestation en elle-même n’est que la concrétion d’une œuvre entreprise depuis plus de vingt ans : soutenir le livre de création par une politique systématique d’acquisition, de commande et de valorisation.
Cette initiative, dont la maternité revient à Michèle Laurent, conservateur à la bibliothèque communautaire de Riom, n’est pas née du hasard : seulement du désir et de la curiosité. Riom, labellisée « Ville d’art et d’histoire », est de tradition culturelle très ancienne. En témoigne un patrimoine bâti d’une grande richesse, avec des bâtiments dont les plus anciens remontent à la plus haute Antiquité, voire au Moyen Âge (sic) avec Jean de Berry (comme la Sainte-Chapelle, seul vestige du château qu’il avait fait construire), des hôtels particuliers, puis le collège de l’Oratoire, fondé en 1578, les musées, enfin la bibliothèque, ouverte il y a (presque) 150 ans. Fondée sur la confiscation des biens des oratoriens, elle possède un fonds ancien de plus de 10 000 volumes auquel s’ajoute un fonds local de près de 3 000 volumes. La ville, loin d’être recroquevillée sur son passé prestigieux, a eu très vite le souci de l’ouverture, sous l’impulsion, entre autres, de Jean Ehrard, ancien maire, spécialiste du XVIIIe siècle, grand humaniste toujours actif (à qui nous devons, parmi tant d’autres, L’idée de nature dans la première moitié du XVIIIe siècle). Signalons ainsi que le musée Mandet a constitué depuis les années 1980 une collection d’orfèvrerie et de design contemporains.
La bibliothèque a toujours été très à l’écoute de la création. Ce fut la première (d’Auvergne n’exagérons rien) à avoir organisé des rencontres poétiques, littéraires et artistiques, à la faveur de fonds judicieusement constitués.
Et c’est tout aussi naturellement que, dès les années 1970, prolongeant l’existence du fonds ancien, la directrice de la bibliothèque a décidé l’acquisition d’ouvrages de bibliophilie contemporaine. En 1989, elle entreprend, par commandes systématiques, la constitution d’un fonds de reliures contemporaines. La première reliure (ce sont toujours des œuvres uniques) fut confiée à Sabine Gallet pour Le cœur à gaz de Tristan Tzara, ouvrage avec des lithographies de Sonia Delaunay, paru chez Jacques Damase en 1977. L’idée de travailler et de faire travailler plasticien, poète, typographe se concrétise avec la commande passée à Myriam Locard (Berthet), pour Cordélia des nuées, de Pascal Riou, paru chez Cheyne éditeur, installé en Haute-Loire. Cette aventure a un développement inattendu puisque Pascal Riou, séduit, écrit En témoignage, que la bibliothèque et Cheyne éditeur coéditent. Les membres fondateurs de l’association Air Neuf qui rassemblaient alors une bonne partie des grands noms de la reliure proposent en 1996 de créer chacun pour la bibliothèque et de lui offrir une reliure originale pour ce livre. L’aventure s’est ensuite poursuivie avec d’autres relieurs et continue encore aujourd’hui, avec les derniers exemplaires existants.
Plus tard, Yves Peyré, qui a vécu à Riom et réalisé un grand nombre de livres illustrés et livres d’artiste avec des artistes comme Bazaine, Garache, Alechinsky, Tal Coat, Bram Van Velde et bien d’autres, accepte le principe d’un don d’un certain nombre de ses ouvrages, complétés par des acquisitions, afin de créer un fonds exhaustif de ses œuvres.
Aujourd’hui, près de 500 de ces « livres singuliers », pour reprendre la belle expression de Martine Pringuet, figurent dans les collections de la bibliothèque. Ce sont des livres de création, des reliures signées Sün Evrard, Florent Rousseau, Annie Boige, Jean de Gonet, Philippe Fié, Anne-Lise Chapperon…
Ils témoignent de l’existence d’un réseau professionnel et amical autour de cette aventure bien particulière, et c’est dans cette relation que se sont constituées à partir de 2000 les « 3 R », dont les premières éditions, comme on dit, furent annuelles, puis biennales.
Elles se déroulent à l’automne, une journée est consacrée aux rencontres « professionnelles » (environ une centaine de personnes à chaque fois : relieurs professionnels et amateurs, bibliothécaires mais aussi auteurs, plasticiens…), et le lendemain, un dimanche, la journée est davantage destinée au grand public et présente les œuvres et le travail des relieurs présents, ainsi que d’autres créateurs concourant à « l’art du livre ». Cette manifestation a en effet pour buts de permettre la rencontre du public avec la reliure et les relieurs, mais aussi avec tous ceux qui participent à la création de ce type de livres : écrivains, plasticiens, typographes, éditeurs… et elle vise également à créer des rencontres et des échanges entre ces derniers, la bibliothèque jouant là aussi un rôle de stimulation de la création.
Cette année fut un peu particulière puisqu’un pays était mis à l’honneur : le Japon. Intitulés : « Reliure de Washi : papier japonais », ces deux jours ont permis de comprendre que la fabrication du papier était profondément liée aux conditions économiques, sociales et historiques du Japon, grâce à une conférence extrêmement précise de Marie-Christine Enshaian, professeur à l’Institut national du patrimoine, de mieux connaître, avec Isabelle Emmerique, peintre laqueur, l’histoire de cette technique, son évolution et ses perspectives et usages actuels, de visiter une exposition de reliure en papier japonais inédite en Europe, prêtée par le Tokyo Bookbinding club, et de terminer par l’intervention de peintres et plasticiens, toujours dans ce souhait de donner la parole à tous les artistes et artisans.
Ces rencontres, dont on supposera qu’elles acquièrent au fur et à mesure une dimension nationale, devraient trouver un prolongement dans la création éventuelle d’une résidence de relieurs, à l’instar des résidences d’artistes ou d’écrivains. Associer ainsi les activités classiques d’une bibliothèque à celles plus liées aux métiers d’art est tout à fait pertinent. Comme le souligne Xavier Greffe, professeur de sciences économiques à l’université Paris I, dans son Rapport de synthèse sur l’attractivité culturelle *, la prise en compte des métiers d’art est un facteur de développement des territoires. Trop souvent oubliés, naturellement discrets, les artisans d’art ont toute leur place dans l’économie de la culture. Et une telle initiative, comme celle de la communauté de communes de Riom, mérite le soutien plein et entier des pouvoirs publics.