La lecture en prison

Odile Chopin

Deux journées de réflexion et de formation sur le champ de la lecture en milieu pénitentiaire ont été organisées par Médialille (centre de formation continue pour les personnels des bibliothèques) et Hors Cadre (mission de développement culturel en milieu pénitentiaire), à l’université de Lille III et à La Corderie, médiathèque de Marcq-en-Barœul, les 21 et 22 septembre 2006.

Elles ont accueilli une soixantaine de professionnels de la région Nord-Pas-de-Calais principalement répartis entre bibliothécaires, conseillers d’insertion et de probation et éducateurs de l’Administration pénitentiaire et de la Protection judiciaire de la jeunesse (ministère de la Justice).

L’objectif était de partager des connaissances relatives aux publics concernés, qu’il s’agisse de la découverte de l’univers carcéral, de la sociologie des publics ou des compétences concernant la création et l’animation de bibliothèques en établissement pénitentiaire et la médiation à la lecture.

Lecteurs précaires

Véronique Le Goaziou a ouvert ces journées en présentant l’étude 1 qu’elle a réalisée en 2003-2004 à la demande de nombreux partenaires publics, notamment des ministères de la Justice et de la Culture. Elle rend compte d’une observation menée sur quatre territoires différents – foyer d’action éducative à Rennes, quartier mineur de la Maison d’arrêt de Metz, différents quartiers de la ville des Mureaux, ville du Cateau-Cambrésis dans le Nord – et pose la question de l’accès à la lecture d’un ensemble plus large de jeunes de 14-25 ans, rencontrant des difficultés sociales, économiques, familiales influençant profondément leur mode de perception et d’usage de la lecture.

Si les professionnels sont sensibles à ces questions et ont certainement fait personnellement l’expérience de la difficulté de susciter l’envie de lire auprès de publics qui ne sont pas demandeurs, l’exposé des résultats de l’enquête de Véronique Le Goaziou a permis à chacun d’appréhender clairement ce qui est en jeu dans la désaffection de la lecture (qui n’est pas l’apanage des jeunes en grande difficulté !).

Le premier support de lecture de ces jeunes se présentant eux-mêmes comme « peu ou faibles lecteurs » est le journal local, le deuxième les magazines ; viennent enfin les classiques de la BD. La lecture de livres, beaucoup plus rare, est spontanément associée à l’école. La lecture vient au dernier rang de leurs activités, elle se pratique quand il n’y a rien d’autre à faire. La pratique de la lecture est accidentelle, sans que se crée avec le temps une habitude. Ce manque de familiarité avec la lecture ne semble pas être lié à l’absence ou à l’insuffisance de l’offre. Il semble, bien plus, être associé aux contraintes qu’elle impose : l’immobilité corporelle, le retour sur soi-même, la capacité à se projeter dans le temps, sources pour ces jeunes en difficulté d’une forte angoisse.

Ce constat de l’écart entre l’univers des jeunes en grande difficulté et l’offre de lecture a sans doute amené les professionnels présents à prendre du recul par rapport à des discours qui, parfois, survalorisent la lecture : son usage n’est pas susceptible à lui seul de remédier aux difficultés sociales et économiques. Il est donc essentiel d’en tenir compte dans l’élaboration de politiques publiques d’incitation à la lecture, et de concevoir des modalités de développement correspondant aux conditions de sa réception par les publics ne partageant pas les mêmes codes. Si d’autres travaux ont pu montrer l’importance de la lecture dans la construction de soi, ceux de Michèle Petit, par exemple, il faut garder à l’esprit qu’elle n’en est qu’un des possibles.

Il ne s’agit pas pour autant d’une incitation à l’inaction. Un bon nombre de pistes pour élargir et diversifier les modalités de médiation concluent cette étude : présence disséminée d’ouvrages dans les lieux de vie, textes proposés en partage par le biais de la lecture à voix haute, prise en compte de l’environnement amical, familial…

Bibliothèques en prison

Corinne de Munain, chargée de mission à la Direction du livre et de la lecture, a montré comment un cadre institutionnel, le protocole entre les ministères de la Culture et de la Justice, a servi d’appui à la création et l’animation de bibliothèques en établissement pénitentiaire. Mais aussi, à partir du rapport d’inspection réalisée par Claudine Lieber et Dominique Chavigny 2, l’étendue du chemin restant à parcourir pour que ces bibliothèques rendent un service se rapprochant de celui qu’offrent les bibliothèques publiques. Pour atteindre cet objectif, les conditions essentielles à réunir sont : un important travail d’actualisation des collections, une forte démarche de professionnalisation de leur gestion et surtout de contractualisation avec les bibliothèques territoriales.

C’est ce travail que Michèle Sales, chargée de développement culturel en milieu pénitentiaire, a restitué, forte d’une expérience de plusieurs années en Aquitaine. Une condition majeure à un partenariat véritable est posée : que chacun reste bien centré sur les fondamentaux de son métier. Si l’initiative des projets culturels fait bien partie des missions des services d’insertion, leur réalisation revient aux professionnels. Il ne s’agit en aucun cas de corporatisme, mais d’essayer de répondre à une exigence fondamentale : organiser l’accès aux œuvres et en particulier à la littérature, c’est en cela que le bibliothécaire intervenant en prison exerce son métier. Michèle Sales l’a rappelé avec force et a insisté sur le fait que ce qui peut sembler élémentaire reste, en milieu pénitentiaire, un combat quotidien.

Ainsi ces trois interventions ont constitué une bonne introduction au second volet du stage qui suivait, plus particulièrement centré sur la mise en œuvre concrète de bibliothèques dans les établissements pénitentiaires de la région.