L’organisation fonctionnelle des services communs de la documentation des universités
36e congrès de l’ADBU
Annie Le Saux
L’ADBU (Association des directeurs et des personnels de direction des bibliothèques universitaires et de la documentation) avait choisi, pour son 36e congrès, qui s’est tenu à Grenoble du 14 au 16 septembre 2006, de faire le point sur l’organisation fonctionnelle des services communs de la documentation.
De l’horizontal au transversal
Le changement, terme qui, depuis plusieurs années déjà, parsème les discours des bibliothécaires, qu’ils parlent de technologies, de compétences, d’usages…, se répercute, outre sur les pratiques des professionnels, sur l’organisation même des bibliothèques. Une vision précise de ce nouveau schéma organisationnel a été donnée par l’enquête que l’Inspection générale des bibliothèques a menée, de septembre 2004 au début de l’année 2005, dont Denis Pallier a présenté des résultats commentés 1. De cette étude, il ressort que la traditionnelle organisation en sections, dont le décret de 1985 avait fait l’armature des SCD, ne règne plus en maître, mais cède peu à peu la place à de nouvelles structures transversales. Trois fonctions principales ont été identifiées à partir de cette étude : adjoints aux directeurs, chargés de mission et services rattachés à la direction.
Deux exemples, l’un parisien, l’autre lorrain, ont replacé la restructuration des SCD dans un environnement local et régional. En Île-de-France, région pour laquelle Pierre Carbone (directeur du SCD de Paris XII) a dressé une typologie de la carte documentaire universitaire (106 implantations, dont 37 dans les Ve et VIe arrondissements), les sections constituent toujours l’ossature des SCD, bien que l’on constate une évolution vers une organisation en départements des SCD monosites (Paris VIII, X). Hervé Colinmaire (directeur du SCD de Metz) a fait, quant à lui, un état des projets de son université : réseau Metz-Campus et, à plus long terme, coopération régionale.
La plus évidente des raisons de cette nouvelle émergence, outre la nécessité de rationaliser les tâches et les services, découle du développement de la documentation électronique et de l’informatique ; mais y jouent également un rôle l’offre croissante de formation du personnel et des usagers et la mise en place du LMD. Ce mouvement traduit « par la modernisation de la bibliothèque universitaire, la maîtrise des évolutions techniques, l’intégration de la bibliothèque à l’université et la participation à des réseaux locaux, régionaux et nationaux, une sortie relative de la pauvreté » et, ce dont se félicite Denis Pallier, la réactivité des personnels des SCD à ces évolutions de leur métier.
Mutualisation de la recherche
Parallèlement à ces changements d’organisation, de nouvelles orientations du métier se manifestent et le phénomène de mutualisation se généralise dans tous les domaines. Celui de la recherche n’y échappe pas, qui voit poindre de nombreux projets sous forme de PRES, pôles de recherche et d’enseignement supérieur 2. « Améliorer la visibilité et l’attractivité des universités françaises dans un contexte de forte compétitivité internationale », en réaction, pourrait-on ajouter, au classement de Shangaï, constitue l’objectif de ces établissements et organismes de recherche ou d’enseignement supérieur, de forme juridique diverse – GIS (groupement d’intérêt scientifique), association loi 1901, GIP (groupement d’intérêt public), ou EPCS (établissement public de coopération scientifique), qui regroupent leurs activités de recherche au sein d’une même région.
La place de la documentation dans ces réflexions sur les PRES n’est malheureusement pas prioritaire, ce qu’ont vivement regretté Marie-Dominique Heusse (directrice du SICD de Toulouse et présidente réélue de l’ADBU), et Michel Marian, sous-directeur des bibliothèques et de l’information scientifique, faisant remarquer que, dans la douzaine de projets déjà reçus, un ou deux seulement parlent de documentation. Richard Logier (président de l’université de Metz) a justifié cette absence de la documentation par le fait que les PRES sont pour l’instant dans une phase de négociations politiques. Ce qui n’a finalement rien de rassurant, même si certains émettent des doutes sur l’avenir de ces nouveaux réseaux, qui « risquent de ne faire que s’ajouter à ceux déjà existants ».
Piloter une réalisation fonctionnelle
À partir de conseils à tout le moins évidents, Yves Winchenne (consultant GPB conseil), après avoir préalablement défini cette conduite du changement comme étant « la recherche et la mise en œuvre de solutions organisationnelles pour remplir au mieux les missions des SCD dans un contexte d’évolution forte et dans le respect du principe de réalité », a présenté un outil de diagnostic, la roue TMS (Team Management System), qui « se concentre sur les rôles (innovateur, promoteur, informateur…) et non sur les définitions de fonctions ».
Pourquoi réorganiser ? Les constatations faites par Sylvia van Peteghem, directrice de la bibliothèque universitaire de Gand, et Frédéric Saby, directeur du SICD de Grenoble II, sont monnaie courante dans les bibliothèques : une trop grande dispersion des espaces, une mauvaise utilisation des deniers publics ou privés, des compétences mal utilisées, des tâches redondantes, un manque de coordination et donc des services inefficaces, des responsabilités floues, un manque de transparence… On peut ajouter, comme conséquences de cette structuration en sections, les abonnements multiples (Ghislaine Duong-Vinh, directrice du SCD de Rennes I). Et la liste n’est pas close.
Les solutions trouvées ont été, au SICD de Grenoble II, la création de départements transversaux – public, collections, service d’information documentaire, administration – à la place des deux sections disciplinaires Droit-Lettres ; et l’application du concept de « coordinated distributed model » alliant à la fois « la réponse aux besoins spécifiques des divers usagers et une gestion et une coordination communes » à Gand. Ces réorganisations ne se sont pas faites en un jour, elles ont dû être affinées en cours de route et continuent de l’être. Cependant, malgré certaines limites, les actions de restructuration ont abouti « à un partage plus clair des responsabilités, à une meilleure visibilité et un meilleur usage des collections, à une répartition plus efficace de l’ensemble des moyens et à une vision globale et non morcelée de la bibliothèque ». Nous avons désormais « un reflet limpide de la politique du SICD », conclut Frédéric Saby, qui fait cependant remarquer que ce qui a marché sur un seul site peut ne pas avoir les mêmes résultats lorsque l’établissement a de multiples localisations.
Gestion et formation
La mise en place de changements remet souvent en cause de nombreuses habitudes. Gestion des ressources humaines et formation du personnel interviennent comme levier d’accompagnement à ces nouvelles pratiques. Trois filières à gestion bien différenciée dépendent de la Sous-direction des personnels au ministère de l’Éducation nationale dont Didier Ramond, désormais secrétaire général de l’université de Paris X, a été en charge : les filières bibliothèques, ITRF (ingénieurs, personnels techniques et administratifs de recherche et de formation) et ASU (administration scolaire et universitaire). Statuts et grades peuvent-ils laisser place à une logique de compétences ? La solution pour apporter plus de clarté aux emplois accordés aux bibliothèques ne serait-elle pas, a questionné Didier Ramond, d’intégrer la gestion du personnel de la filière bibliothèques dans la gestion des ressources humaines des contrats quadriennaux des universités ?
Les missions transversales, désormais très présentes dans le métier de conservateur, sont prises en compte dans la formation de l’Enssib, où gestion d’une politique de site, management, édition, coopération internationale… font partie de la formation initiale théorique et pratique des conservateurs. Une formation initiale que les conservateurs et professionnels des bibliothèques doivent, a insisté Anne-Marie Bertrand, actualiser tout au long de leur carrière. L’Enssib, tout comme les centres régionaux de formation participent à cette formation adaptée aux nouvelles compétences requises et à l’évolution des structures (Marie-Madeleine Saby, directrice de Médiat Rhône-Alpes).
Concluant traditionnellement ces journées, le sous-directeur des bibliothèques, Michel Marian, a rappelé les cinq objectifs prioritaires de la SDBIS, à savoir le développement des ressources documentaires, l’amélioration des services aux usagers, la modernisation des accès en ligne, la conservation et la valorisation du patrimoine documentaire et la relance des Cadist ; terminant sur une note à laquelle seront sensibles bien des bibliothécaires, par cette réflexion : l’électronique est quelque chose de bien et d’essentiel, « mais le papier demeure un titre de valeur dans la progression du savoir ».