La formation initiale des bibliothécaires d’État
Bref historique à la croisée des chemins
Cet article présente la formation initiale des bibliothécaires d’État avant sa modification et son intégration dans le dispositif LMD (licence, master, doctorat), prévue pour l’automne 2007. Créée en 1992, d’une durée d’un an, elle forme à l’Enssib des agents de catégorie A après leur affectation.
This article presents initial training for State librarians before its modification and its integration into the LMD mechanism (BA, MA, Phd), which is expected for the Autumn of 2007. Set up in 1992, as a one-year course, it trains category A office-holders at Enssib (The National Higher Education School in Information Sciences) after their appointment
Der Artikel behandelt die berufliche Erstausbildung von staatlichen Bibliothekaren vor deren Änderung und Integration in die für den Herbst 2007 vorgesehene „LMD“ Regelung (Diplom, Master, Doktorat). Diese von Enssib angebotene Erstausbildung für ernannte Beamte der Kategorie A wurde 1992 ins Leben gerufen und dauert ein Jahr.
Este artículo presenta la formación inicial de los bibliotecarios de Estado antes de su modificación y su integración en el dispositivo LMD (licencia, master, doctorado), prevista para el otoño del 2007. Creada en el año 1992, y con una duración de un año, ésta forma en la Enssib agentes de categoría A después de su afectación.
On a peu écrit sur la formation initiale des bibliothécaires de l’État. En dehors des textes fondateurs de Bertrand Calenge, et du rapport d’évaluation rédigé par l’inspecteur général Denis Pallier, la littérature professionnelle ne s’est guère penchée sur cette question, alors même que, bon an mal an, l’IFB (Institut de formation des bibliothécaires), puis l’Enssib (École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques), voyaient sortir de leurs rangs des promotions de 16 à 50 nouveaux bibliothécaires.
La formation initiale des bibliothécaires d’État (FIBE), aujourd’hui non diplômante 1, doit être, à l’automne 2007, intégrée dans le dispositif LMD, et notamment dans le futur master « Livre et savoirs » au sein de l’Enssib. Les textes réglementant son déroulement sont en voie de modification. Alors qu’une page se tourne manifestement, il n’est peut-être pas inutile d’écrire de nouveau sur cette formation adolescente – 14 ans, deux fois l’âge de raison tout de même –, en guise d’inventaire.
Une question récurrente : qu’est-ce qu’un bibliothécaire ?
La formation initiale des bibliothécaires d’État est une formation post-recrutement, post-affectation et en alternance, d’une durée d’un an, régie par l’arrêté du 16 mars 1993 fixant ses contenus et ses modalités d’organisation. Créée à l’occasion de la réforme statutaire de 1992, en même temps que le corps des bibliothécaires, elle était, à l’origine, dispensée par l’IFB, né lui aussi dans la foulée, puis par l’Enssib depuis 1999.
« Il n’est en effet pas simple de définir un corps ou cadre d’emploi qui vient d’être créé 2 » Pour Bertrand Calenge, alors directeur de l’IFB, et son équipe, telle est pourtant la problématique en 1992 : à quelles fonctions former ce corps des bibliothécaires qui n’existe pas encore, et dont la définition statutaire elle-même est source d’une délicieuse ambiguïté : « Il est créé […] le corps des bibliothécaires, classé dans la catégorie A. » « Les bibliothécaires […] peuvent être appelés à assurer des tâches d’encadrement 3 ».
Pour finir de brouiller les cartes, l’accès au corps des bibliothécaires se fait majoritairement, de 1992 à 1995, par le biais d’un concours interne exceptionnel réservé aux bibliothécaires adjoints, dont les lauréats, formés en six semaines, sont généralement maintenus sur leur poste d’origine.
Pour tenter une définition de ce qu’on peut attendre d’un bibliothécaire, une « grille d’objectifs de compétences » sera élaborée par l’équipe de l’IFB, comportant 7 domaines et 3 niveaux. Fondée en partie sur des « approximations ou raisonnements intuitifs 4 » (dont on mesure pourtant toujours la pertinence), la grille de compétences constituait en réalité une sorte de tableau d’hypothèses de travail.
Pour vérifier ces hypothèses, les participants d’une journée de réflexion consacrée à la formation des bibliothécaires, en 1995, appellent de leurs vœux la création d’un « observatoire permanent des métiers et des formations 5 », idée évoquée souvent depuis 6, mais jamais aboutie. En 1997, Bertrand Calenge lance, auprès de ses 465 premiers stagiaires et de leurs employeurs, une enquête destinée notamment à recenser les fonctions et activités exercées par les bibliothécaires 7. Par la suite, au fil des promotions successives et de l’examen des profils de poste, les responsables de la FIBE collecteront un matériau précieux. Leurs informations seront complétées par l’enquête menée par l’IGB sur l’organisation fonctionnelle des SCD 8 et le référentiel Bibliofil’ 9. Patient travail de recensement dont on peut regretter qu’il n’ait jamais été utilisé pour établir un référentiel de compétences pour le corps des bibliothécaires. À l’heure où la formation des bibliothécaires et celle des conservateurs sont appelées à fusionner au sein d’un même master, peut-être faudrait-il enfin définir précisément les caractéristiques fonctionnelles de chacun de ces corps, caractéristiques qui, aujourd’hui, justifient implicitement, et parfois difficilement, les différences de rémunérations et de carrières.
Pour autant, la veille permanente et empirique réalisée par les responsables de la formation permet de percevoir les évolutions de la place du bibliothécaire. Défini lors de la journée de 1995 comme « un intermédiaire, un médiateur 10 », il voit s’affirmer avec le temps ses fonctions de cadre, qu’il soit directement chargé d’un service et d’une équipe, ou qu’il devienne, comme c’est le plus souvent le cas, responsable d’une mission ou d’un service transversal. L’impact d’une formation sur les évolutions du terrain professionnel est chose excessivement difficile à déterminer. L’équipe fondatrice de l’IFB a voulu placer d’emblée le bibliothécaire comme cadre intermédiaire et non comme super-technicien. Gageons que cette conception volontariste aura pris une part non négligeable dans la réalité actuelle des bibliothécaires.
Les « principes de 92 »
À relire les écrits de Bertrand Calenge en ces années fondatrices, il est frappant de constater combien la formation des bibliothécaires est fondée sur des paris. Outre la définition des activités supposées du futur corps des bibliothécaires, l’équipe de l’IFB pose un certain nombre de définitions de ce que doit être la formation de ce cadre nouveau, autant de principes qui ont forgé jusqu’à aujourd’hui, avec des fortunes diverses, l’identité de la formation.
La FIBE est destinée à former des agents de catégorie A
Ce principe découle de la définition du bibliothécaire proposée par l’IFB. Il n’est pourtant pas si simple à mettre en application. En effet, la place des techniques bibliothéconomiques et celle du management dans les enseignements dispensés se sont révélées très vite problématiques.
Le CAFB (certificat d’aptitude aux fonctions de bibliothécaire) et son fort contenu technique, constitutif de l’identité de la profession, disparaît, lui aussi, en cette même année 1992. Dans certains esprits d’alors, il revenait à la formation des bibliothécaires de reprendre le flambeau.
Durant les premières années de la FIBE, la question reste pourtant en sommeil : les bibliothécaires recrutés par concours internes exceptionnels sont tous d’anciens bibliothécaires adjoints. En revanche, elle émerge au grand jour à l’arrivée de la première grosse promotion issue du concours interne/externe, en 1997-1998, et se trouve régulièrement remise sur le tapis depuis. En effet, ce sont les stagiaires débutants qui ont été bien souvent les plus forts demandeurs de ces apprentissages techniques, parce qu’il est rassurant de partir sur le terrain avec quelques savoir-faire tangibles, et parce que leur légitimité professionnelle est tout entière à construire : quelle crédibilité peuvent-ils avoir dans l’encadrement de bibliothécaires adjoints ou de bibliothécaires adjoints spécialisés, vieux briscards de l’Unimarc et de la Z 39-50 ?
Par ailleurs, s’il est entendu que la FIBE n’a pas pour vocation de former des experts en catalogage et en indexation, il est, en revanche, bien difficile de fixer les limites au-delà desquelles l’enseignement ne doit pas s’aventurer. En effet, les objectifs sont assez clairs : il s’agit d’apporter aux stagiaires les éléments qui leur permettront de comprendre les mécanismes et les enjeux à l’œuvre dans le catalogage, afin d’être à même d’encadrer des catalogueurs et d’assurer la coordination bibliographique dans leurs établissements. Mais comment définir les contenus correspondant à ces objectifs dans un volume horaire extrêmement contraint ? Autrement dit, est-il possible d’acquérir une vision à la fois fine et distanciée du catalogage sans être un très bon catalogueur soi-même ? On retrouve peu ou prou les mêmes interrogations lorsqu’il s’agit d’enseigner l’indexation et l’informatique documentaire.
Une question autre est celle de l’enseignement du management. Souvent au cœur des critiques formulées par les stagiaires à l’issue de leur formation, elle est révélatrice du malaise identitaire du corps des bibliothécaires. En effet, la décision volontariste de l’IFB, puis de l’Enssib, de situer les bibliothécaires comme des cadres A, a été diversement suivie par les établissements. D’où un hiatus flagrant parfois entre le discours de l’institution formatrice et la réalité du terrain quant aux responsabilités managériales des bibliothécaires. À ce décalage a pu s’ajouter également un conflit de valeurs entre les convictions politiques et sociales des stagiaires et le discours dispensé par certains intervenants. Il s’agit alors de travailler sur les représentations, de multiplier les points de vue, de développer la pédagogie active et les témoignages, bref, de trouver cet équilibre toujours précaire qui permettra à l’enseignement de jouer son rôle : transmettre les savoirs, les méthodes et les outils sans éteindre le sens critique.
La formation doit être identique pour tous les bibliothécaires
La formation doit permettre d’acquérir les compétences nécessaires au métier de bibliothécaire et non pas à un poste précis. C’est le propre d’une formation initiale de préparer à l’exercice de fonctions diverses et évolutives dans les cinq à dix ans qui suivent. La place des spécialisations dans un tel cadre reste cependant un débat récurrent, pour ne pas dire un serpent de mer qu’il serait bien illusoire de vouloir résumer ici.
L’équipe Calenge fait, en outre, « le pari d’une unité professionnelle pour le corps et le cadre d’emploi des bibliothécaires 11 ». Cette affirmation de l’homologie entre les deux fonctions publiques débouche sur la construction d’une même formation pour les bibliothécaires d’État et territoriaux.
L’histoire de la formation initiale des bibliothécaires territoriaux reste à faire, elle aussi. Nous n’en relaterons ici qu’un épisode. Au terme de négociations très âpres entre l’IFB et la Direction du livre et de la lecture d’une part, et le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) d’autre part, les bibliothécaires territoriaux, dès 1998, ne sont plus formés avec leurs collègues de l’État. L’une des pommes de discorde réside dans l’exigence des collectivités locales de pouvoir employer des bibliothécaires immédiatement opérationnels sur leurs postes particuliers, exigence qui s’accorde mal avec la vision unitaire de la formation telle qu’elle a été développée par l’IFB. Une nouvelle convention, signée en 2000 entre le CNFPT et l’Enssib, donne naissance à un parcours de formation spécifique aux bibliothécaires territoriaux, entièrement piloté et majoritairement organisé par le CNFPT qui sous-traite quelques modules dits « professionnels » à l’Enssib.
L’organisation des enseignements est modulaire
L’ensemble de la formation est, à l’origine, structurée en modules thématiques hebdomadaires. Pour la première équipe de l’IFB, il s’agit de construire un modèle d’unité d’enseignement valable pour la formation initiale et pour la formation continue 12. Cette structure, dès lors qu’elle s’applique à une formation initiale longue, rend cependant difficile la progression pédagogique, et entrave une perception globale de la formation. En effet, les apports successifs de chaque semaine apparaissent, notamment aux externes, comme les éléments d’un puzzle difficiles à assembler.
L’enseignement est assuré par des enseignants-praticiens
Par analogie avec la formation des médecins, Bertrand Calenge a souhaité, pour l’IFB, faire appel non pas à des enseignants-chercheurs mais à ce qu’il appelle lui-même des « enseignants-praticiens », soulignant « la nécessité de l’alternance entre enseignement et pratique professionnelle 13 » face à des stagiaires eux-mêmes soumis à l’alternance.
Loin du modèle universitaire, l’encadrement pédagogique de la FIBE a, par conséquent, toujours été assuré par des acteurs de terrain, qu’ils soient professionnels des bibliothèques en poste à l’Enssib ou professionnels associés en service temporaire (PAST). Recrutés sous contrat, les PAST doivent assurer la moitié d’un service de maître de conférences, soit 96 heures de travaux dirigés par an. Pour pouvoir prétendre à ce statut, ils doivent avoir un emploi principal, salarié ou libéral. Les fonctionnaires peuvent postuler mais peu dans les faits le font 14. Ainsi, il n’existe pas actuellement de possibilité pour les bibliothécaires et conservateurs d’exercer des fonctions d’enseignement en alternance, ce qui restreint partiellement l’intérêt du recours aux PAST.
Par ailleurs, la FIBE doit organiser, selon les années et les effectifs des promotions, de 650 à près de 900 heures d’enseignement. Les forces internes de l’IFB puis de l’Enssib, réparties entre les différents services (formation continue, formation des conservateurs, des étudiants de DESS ou de master) n’ont jamais pu à elles seules assurer plus du tiers de cette charge. Il est donc fait massivement appel à des intervenants extérieurs – 120 à 140 tous les ans 15. Ces chiffres disent assez le problème de cohérence pédagogique qu’entraîne cette organisation. Sans un cadrage très fin de chaque intervention, sans présence active des responsables de module dans les cours, sans fidélisation des collègues formateurs, la formation a tôt fait de se réduire à une mosaïque d’apports disparates, et la richesse de l’expérience des professionnels de terrain à une mine d’or non exploitée.
Couplée aux contraintes de l’organisation modulaire, la question de l’articulation des différents enseignements, et plus globalement encore celle des enseignements avec les stages, fut ainsi un souci constant des équipes en place, question qui demande à être attaquée sur tous les fronts : construction générale de la formation, définition du rôle des responsables de modules, co-animation, recours à des pédagogies actives. « Sans cesse sur le métier remettez la recherche du sens », credo des responsables de la FIBE…
Les évolutions architecturales au fil du temps
C’est précisément pour assurer une meilleure cohérence dans la formation que l’architecture générale des enseignements de l’année a été pensée, repensée, modifiée. Au final, on peut repérer trois moments principaux dans son évolution.
L’architecture d’origine de la FIBE structure les enseignements en cinq entités :
- un tronc commun environnement (gestion des établissements, gestion de projet…), 6 semaines ;
- un tronc commun bibliothécaire (bibliothéconomie de base), 10 semaines ;
- des modules d’affectation, avec 2 options (documentation en bibliothèques spécialisées ou bibliothèques de lecture publique), 6 semaines ;
- des modules de spécialisation dont le contenu est déterminé en fonction des profils de poste des stagiaires, 2 semaines.
À partir de 1998, pour pallier les désagréments d’une organisation trop morcelée, des ateliers transversaux sont organisés. Au sein des semaines thématiques, une demi-journée est dégagée pour permettre l’acquisition de savoir-faire techniques sur du long terme (catalogage, indexation…).
Indépendamment des contenus qu’elle traite, on retrouve dans cette architecture la vision volontariste de l’équipe de l’IFB, son affirmation de l’unité du métier de bibliothécaire qui ne connaît de différences qu’à la marge. Encore ces différences sont-elles contestées lors de la journée d’étude de 1998 16.
Deux événements majeurs dans l’histoire de la FIBE sont à l’origine du premier remaniement de cette architecture. En 1998, la scission entre les formations des bibliothécaires d’État et territoriaux est effective. En 1999, l’IFB est intégré à l’Enssib. Dès la rentrée de novembre 1999, l’organisation des modules entre tronc commun et spécialisation est, par conséquent, abandonnée, au profit d’un découpage en six grands domaines thématiques : management (3 semaines), traitement de l’information (2 semaines), informatique (4 semaines) recherche documentaire (3 semaines), publics et services (5 semaines), collections (5 semaines). Il est devenu inutile, en effet, d’afficher un tronc commun qui n’existe plus entre les deux fonctions publiques.
Par ailleurs, cette présentation affirme, de la part de la nouvelle équipe en charge de ce dossier, la volonté d’insertion de la FIBE dans l’Enssib, en calquant, pour partie, la description de ses enseignements sur les modules définis pour le diplôme de conservateur de bibliothèque (DCB).
En 2003, le principe de la modularité thématique connaît un net infléchissement, avec la création, en début d’année de formation, d’une session de rentrée et d’une session de mise à niveau.
Cette dernière session regroupe les enseignements techniques de base : catalogage, indexation, recherche documentaire. Les stagiaires, à leur arrivée en formation, se voient soumis à des tests permettant de déterminer s’ils doivent, ou non, suivre ces enseignements. L’idée est de réduire l’hétérogénéité des niveaux de départ des stagiaires et d’introduire une plus grande progressivité pédagogique en concentrant en début d’année les fondamentaux techniques.
Ce bouleversement dans l’architecture de la formation amènera l’équipe des cadres pédagogiques à remanier par ricochet les objectifs et les contenus de l’ensemble des modules. Le module consacré à l’informatique se trouve notamment, à la faveur de cette réforme, fondu dans le module Traitement de l’information.
Ainsi, depuis 2003, les enseignements sont structurés de la manière suivante : une session de rentrée, destinée à situer l’environnement professionnel des bibliothécaires (2 semaines), une session de mise à niveau (3 semaines), et cinq modules thématiques : collections (5 semaines), recherche documentaire (2 semaines), traitement de l’information (4 semaines), management (2 semaines), services aux publics (4 semaines).
Il est bien évident que ces inflexions architecturales successives correspondent à autant de visions différentes et complémentaires de la formation, elles-mêmes liées à des étapes de croissance de la FIBE : à une approche par les statuts succède une approche par les savoirs, puis une approche par la pédagogie.
La valorisation des acquis de l’expérience : publicité mensongère ?
Avec les modules de spécialisation de fin de cursus et la réalisation d’un Projet professionnel personnel (PPP), la validation des acquis à l’entrée de la formation fait partie du dispositif de personnalisation des cursus mis en place, là encore, dès l’origine de la FIBE.
En matière de validation des acquis, pourtant, la FIBE est placée sous le signe du paradoxe, pour ne pas dire de l’incohérence. Les données du problème sont les suivantes.
Toute formation professionnelle est construite, en principe, pour répondre à des besoins identifiés auprès des formés et de leurs employeurs (employeurs au sens large, c’est-à-dire chefs d’établissement, et tutelles). Dans le cas de la FIBE, et pour des raisons purement calendaires, la formation est construite a priori, c’est-à-dire bien avant de connaître les futurs stagiaires. Ces derniers, recrutés par le biais d’un concours généraliste, forment, de fait, des promotions aux niveaux professionnels fort hétérogènes. Dans ce contexte, et pour ajuster, autant que faire se peut, la formation à son public, il est nécessaire d’instaurer un « sas de tri » en début d’année permettant de décider, parfois, d’un allègement du programme pour les plus expérimentés.
L’arrêté de 1993 qui fonde la formation, restreint de manière drastique ces possibilités de tri en n’envisageant pas de « validation des acquis » mais des « dispenses de cours 17 ». Encore ces dispenses ne sont-elles possibles que pour les lauréats des concours internes, et dans certains domaines seulement. Les connaissances des stagiaires en informatique, bureautique ou management ne peuvent jamais, par exemple, être prises en compte. Réclamé depuis 1998 18, l’assouplissement de cet arrêté n’est toujours pas intervenu aujourd’hui.
L’une des caractéristiques de la FIBE, si on la compare notamment au DCB, est d’accueillir à parts égales des lauréats des concours internes et externes, et, parmi ces derniers, une majorité de stagiaires avec une expérience professionnelle en bibliothèque.
À ces éléments propres à la FIBE, s’ajoute la difficulté extrême qu’il y a à évaluer des acquis professionnels, difficulté à laquelle on se heurte partout désormais avec la mise en place de la loi sur la validation des acquis de l’expérience (VAE). La mise en relation des objectifs et des contenus d’une formation, d’une part, et des compétences individuelles, d’autre part, nécessite un dialogue particulièrement cadré et préparé entre un candidat et un jury.
Le succès de ce dialogue dépend des deux parties : le jury doit avoir une connaissance précise des compétences attendues d’un stagiaire à l’issue de la formation – on retrouve ici la difficulté de ce travail en l’absence d’un référentiel. Il doit également être formé à l’entretien d’explicitation, véritable maïeutique qui permettra au candidat de décrire ses activités professionnelles et les compétences qu’il a construites. Le candidat, quant à lui, doit présenter un dossier de demande documenté et argumenté. Pour cela, il doit être accompagné dans sa démarche par un tuteur.
Sans cette organisation exigeante qui nécessite, comme on imagine, des volontés et des moyens, l’examen des acquis risque de tourner à la confrontation douloureuse entre les impressions d’un jury et les frustrations d’un candidat. Ainsi, les modalités de dispenses de cours à la FIBE ont été l’objet de critiques récurrentes.
En 2003, cependant, est créée, et progressivement automatisée, une batterie de tests destinés à évaluer, pour les techniques bibliothéconomiques (catalogage, indexation, recherche documentaire), le niveau des stagiaires entrants. Cette initiative, couplée à des acrobaties réglementaires inouïes destinées à contourner les interdits de l’arrêté de 1993, a ouvert la porte à des dispenses de cours nombreuses et dépassionnées, au moins dans les domaines concernés. Pour autant, l’instauration de procédures de validations d’acquis dignes de ce nom reste à venir.
Ombres et lumières en alternance
Outre son organisation modulaire et la variété de son public, le système d’apprentissage en alternance est le troisième élément majeur qui constitue l’identité propre de la FIBE au sein du paysage des formations bibliothéconomiques.
Cette alternance est elle-même marquée fortement par la pré-affectation des bibliothécaires qui effectuent principalement leurs stages pratiques dans leur établissement. Un à deux stages, selon les années, sont organisés cependant dans des établissements extérieurs. Le régime de la pré-affectation est loin d’être neutre sur le plan pédagogique. L’apprentissage sur le terrain, en effet, repose pour partie sur une pédagogie du tâtonnement et de l’erreur accompagnés, sans incidence en principe sur la carrière de « l’apprenti ». Quand un stagiaire est placé en situation d’apprentissage dans un établissement au sein duquel il restera quelques années et dont le directeur devra prononcer, ou non, la titularisation, les conditions de l’alternance se trouvent singulièrement altérées. Ce n’est évidemment pas un hasard si les bibliothécaires stagiaires ont souvent le sentiment d’avoir appris davantage à l’occasion des stages extérieurs que des stages d’affectation.
Par ailleurs, l’efficacité d’une formation en alternance dépend pour partie de son calendrier de déroulement. Or, le calendrier de la FIBE n’a jamais dépendu d’impératifs pédagogiques, mais se trouve lié à la programmation des concours de recrutement et à celle des commissions administratives paritaires. Ainsi, la rentrée des bibliothécaires, au cours de ces dix dernières années, a-t-elle été fixée successivement au 1er avril puis au 1er novembre. Le calendrier de la formation a dû s’adapter, et les périodes d’affectation changer de durée et de place dans l’année.
L’alternance est enfin, concrètement, synonyme de mobilité personnelle pour des stagiaires sans feu ni lieu pendant un an, ou plus exactement partagés entre trois résidences : personnelle, administrative et villeurbannaise. Pour faire face aux dépenses cumulées de loyers et trajets, les stagiaires perçoivent, en plus de leur salaire, des indemnités de stage. Celles-ci restent cependant insuffisantes pour couvrir l’intégralité des frais, si bien que les stagiaires financent largement eux-mêmes leur formation. Ils dépensent en outre une énergie considérable en démarches administratives de toutes sortes pour obtenir l’argent dû par leurs établissements parfois lents à mettre la main à la poche. Dans cette quête du moindre sou, l’organisme de formation, même s’il est quasiment impuissant à faire évoluer la situation, finit par être concerné au premier chef. En effet, une boutade bien connue dit qu’un participant confortablement logé et bien nourri est satisfait de son stage. L’inverse est aussi vrai, bien sûr.
Parler des contraintes organisationnelles et matérielles qui pèsent sur l’alternance, ce n’est pourtant rien dire encore du casse-tête que représente la construction de modalités pédagogiques permettant de tirer le meilleur parti des apports du terrain professionnel. Chaque période « en situation » doit être logiquement préparée en amont, accompagnée pendant son déroulement et recadrée en aval. Là encore, c’est de recherche du sens qu’il s’agit.
Pour cela, la FIBE a développé nombre d’outils et imaginé des solutions comme autant de fils rouges pour permettre aux stagiaires de construire leurs compétences : tutorat à distance, grilles d’observation des établissements de stage, rapports de stage, « debriefing », entretiens individuels… L’exercice phare de la formation des bibliothécaires, le fameux PPP, est représentatif de cette réflexion… et de ses limites.
Le PPP
Comme son nom l’indique, le Projet professionnel personnel doit permettre l’initiation à la conduite de projet au travers de l’étude d’un cas déterminé dans l’établissement d’affectation de chaque stagiaire. Il prend la forme d’un rapport, élaboré tout au long de l’année de formation, et noté au final. Il doit permettre l’application à un problème concret des méthodes acquises au travers des enseignements et des stages, et organise, en principe, un va-et-vient formateur entre la théorie et la pratique. S’il est bien fait, l’exercice revient à mener un travail de recherche appliquée particulièrement fécond. Encadré à la fois par l’école, par l’établissement d’affectation et, parfois, par un professionnel extérieur, il revient à favoriser la mise en place d’une formation par compagnonnage. En quatorze ans d’existence, le PPP, tel qu’il a été défini à l’origine, n’a quasiment jamais eu besoin de retouches.
Pour autant, chaque année apporte son lot de PPP stériles, vains, voire douloureux. Pour être formateur, en effet, le PPP requiert une participation active de l’établissement d’affectation, participation qui doit se manifester aussi bien par la définition d’un sujet valable 19 que par le suivi du travail. Sans l’un des côtés du triangle vertueux qui relie un élève, un organisme de formation et le terrain professionnel, l’alternance est vouée à l’échec, et les stratégies pédagogiques les plus élaborées n’y pourront hélas rien. Il est donc indispensable de penser cette relation triangulaire tout au long de la formation, y compris, évidemment, lorsqu’il s’agit de concevoir le dispositif de son évaluation.
L’évaluation permanente
De toutes parts et en tout temps, la FIBE a été l’objet d’évaluations multiples et croisées.
Venues de l’extérieur, elles ont été aussi bien informelles (émanant alors des syndicats ou des anciens élèves réunis au sein de l’association BISTRE) 20 qu’institutionnelles (c’est le cas de l’audit de l’Enssib réalisé conjointement en 2004 par l’Inspection générale des bibliothèques (IGB) et l’Inspection générale de l’administration (IGA), qui s’est naturellement intéressé à la FIBE parmi l’ensemble des activités de l’école) 21.
Les évaluations les plus complètes, cependant, ont été réalisées à l’initiative de l’IFB, puis de l’Enssib, en associant de manière tripartite les équipes pédagogiques, les bibliothécaires-stagiaires et des représentants du terrain professionnel, qu’ils soient employeurs, anciens élèves, experts de la formation. En 1995 puis 1998, en effet, deux journées d’étude sont organisées par l’IFB au sujet de la formation des bibliothécaires 22. Après la fusion avec l’Enssib, le débat s’organise au sein des conseils de perfectionnement. Ceux-ci, créés par la commission scientifique de l’Enssib et organisés sous la houlette de l’IGB, sont au nombre de deux : le premier, sous la présidence de Denis -Pallier, a fonctionné de 1999 à 2002 23, le second, présidé par Albert Poirot, de 2003 à 2005.
La FIBE a, de plus, beaucoup pratiqué l’auto-évaluation, au risque parfois de l’auto-flagellation ! Dès l’origine, et sur le modèle qui prévaut généralement pour les stages courts de formation continue, chaque semaine thématique d’enseignement donne lieu à une évaluation écrite de la part des stagiaires grâce à un questionnaire de satisfaction à chaud. Ce retour écrit est complété par un tour de table oral réunissant stagiaires et équipe pédagogique. Ces discussions hebdomadaires, parfois rebaptisées « psychodrame collectif de fin de semaine » apparaîtront à la longue comme un exercice stérile et éprouvant, aussi bien pour les stagiaires que pour les responsables de formation. Elles seront finalement supprimées en 1999. L’avis des intervenants extérieurs est également sollicité, et une synthèse des questionnaires à chaud des stagiaires leur est systématiquement adressée. À chaque fin de cursus, enfin, un questionnaire de satisfaction, portant cette fois sur l’ensemble de l’année de formation, est soumis aux stagiaires.
Abondance de biens nuit parfois. Bon nombre d’informations collectées par le biais de ces procédures chronophages se révèlent à l’usage inexploitables et inexploitées. Par ailleurs, l’opinion des stagiaires tenait, dans le dispositif global, une importance disproportionnée par rapport à d’autres indicateurs plus factuels. En 2004, à la faveur d’une formation-action organisée au sein du Réseau des écoles de service public (RESP) 24, le dispositif d’évaluation de la FIBE est entièrement revu et formalisé, notamment sur la base de la norme ISO 10015 25. Les indicateurs utilisés jusqu’alors sont, à cette occasion, redéfinis et articulés les uns aux autres au sein d’un rapport d’évaluation de la formation qui sera la base de son rapport d’activité.
En 2006, une nouvelle étape est franchie : alliée à d’autres écoles du RESP au sein d’un groupement de commande, l’Enssib a confié à un organisme indépendant le soin de procéder à une enquête de satisfaction « à froid » des anciens élèves bibliothécaires et de leurs employeurs, un an après la fin de leur formation initiale. Les résultats de cette enquête devraient être connus début 2007.
La transmission
Formation des bibliothécaires d’État, terre de contrastes… Les lignes qui précèdent disent assez de quel mélange elle est issue : principes visionnaires, intuitions, acrobaties, bricolages, et bien d’autres choses encore qui auraient été trop longues et difficiles à écrire, et qui tiennent sans doute à la conviction et à la ténacité des équipes qui l’ont fait vivre.
À travers le prisme de la FIBE, apparaissent très distinctement les ombres et les lumières de la transmission professionnelle dans le monde des bibliothèques. L’investissement dans la formation des bibliothécaires de nombreux collègues est incontestablement le signe que la profession a parfaitement saisi les enjeux de cette transmission, et peut, tout aussi parfaitement, y répondre. La place de l’apprentissage et de la fonction tutorale dans les établissements, la reconnaissance de la fonction d’enseignant-praticien, par le biais de statuts et de formations appropriées, pour ne citer que ces quelques exemples, restent cependant des questions béantes, qui dépassent évidemment le cadre de la FIBE et appellent des réponses d’une autre ampleur.
À l’heure où la formation des bibliothécaires va peut-être acquérir une reconnaissance universitaire, son articulation avec le terrain professionnel est encore, pour une large part, à inventer.
Novembre 2006