Le défi du réel

Une bibliothèque dans les Grands Moulins de Paris

Arlette Pailley-Katz

Catherine Tresson

En 1996, l’université Paris VII – Denis Diderot a entamé un processus de déménagement et de refondation dans le nouveau quartier Paris rive gauche du XIIIe arrondissement, en pleine mutation. Les contraintes du désamiantage du campus Jussieu et la répartition défavorable des surfaces occupées par Paris VII sur ce campus ont été à l’origine du projet.

Dès le lancement des études préparatoires, l’université a souhaité faire de la bibliothèque un élément rassembleur, symbolique de la nouvelle université, et a choisi de l’installer dans les anciens Grands Moulins de Paris.

Il convient de rappeler que la bibliothèque des lettres et sciences humaines de l’université était dotée d’une surface de 700 m2, inchangée depuis vingt-cinq ans. Le projet s’est inscrit dans le cadre du plan de développement universitaire U3M.

En 2001, le concours d’architecture a désigné comme lauréat pour l’ensemble des Grands Moulins Rudy Ricciotti. De 2002 à 2004 se sont succédé les phases de mise au point du projet depuis l’esquisse jusqu’au choix des entreprises.

La bibliothèque centrale de l’université ouvrira ses portes au printemps de l’année 2007.

Le programme de la bibliothèque centrale

Le directeur de la bibliothèque et le chef de projet ont été à l’initiative du programme fonctionnel et ont collaboré très étroitement à sa rédaction. Une note d’intention liminaire a fixé les grands objectifs de ce nouvel équipement.

Il s’est agi, pour l’essentiel, d’établir la bibliothèque centrale pluridisciplinaire de l’université, intégrant les technologies de l’information, organisée selon le principe du libre accès aux collections et aux ressources électroniques, avec des horaires d’ouverture de 70 heures par semaine.

Le public potentiel est composé des 25 000 étudiants, enseignants, chercheurs, et personnels de l’université, auxquels s’ajoutent des étudiants parisiens et franciliens ainsi qu’un public extérieur, aujourd’hui peu quantifiable. Une attention particulière est portée au public handicapé.

Les places de travail, aussi diversifiées que possible, sont au nombre de 1 420, présentant, pour 70 % d’entre elles, une connectivité informatique. Les salles de travail de groupe répondent à un besoin bien identifié des étudiants. Les salles multimédias permettront un visionnement de qualité des supports audiovisuels.

La documentation couvrira l’enseignement et la recherche en lettres, sciences humaines, sciences sociales et le niveau L1-M1 en sciences exactes. À terme, la volumétrie de la documentation papier sera de 250 000 documents et 1 200 périodiques en libre accès, et de 350 000 documents en stockage dense.

La documentation est organisée en pôles documentaires : trois en lettres, sciences humaines et sociales, un en sciences, auxquels s’ajoutent la salle des références, des thèses et de la formation nommée salle Denis Diderot et l’espace dédié aux périodiques, avec un magasin attenant ouvert aux chercheurs et comportant des places de travail qui leur sont dédiées.

Bien entendu, une importante documentation électronique en ligne, des ressources d’information et d’autoformation seront accessibles sur place et à distance grâce au système d’information documentaire intégré au système d’information de l’université et à son environnement numérique de travail.

Deux salles de formation permettront d’assurer la formation des usagers. La bibliothèque proposera des formations ponctuelles à la recherche documentaire et participera aux enseignements de méthodologie documentaire. Ces salles, modulables, pourront être transformées en salle de conférences ou de séminaires.

La surface des services intérieurs et de stockage dense a été estimée à 20 % de la surface totale. Les circulations des services intérieurs ne recoupent pas celles des espaces publics.

L’évaluation de la surface totale était initialement de 13 000 m2, avec un maximum souhaité de quatre niveaux d’espaces publics présentant une continuité spatiale.

Des Grands Moulins de Paris à la bibliothèque de l’université

Georges Wybo, architecte du casino de Deauville, de l’hôtel George-V et d’une partie du Printemps Haussmann, a réalisé les Grands Moulins de 1917 à 1921. L’activité de meunerie s’est prolongée jusqu’en 1996 avec une production de 1 800 tonnes de farine par jour. Après leur réhabilitation, les Grands Moulins demeurent, dans leur enveloppe extérieure, un témoignage puissant de l’architecture industrielle du début du XXe siècle.

Illustration
Vue sur l’angle de l’esplanade des Grands Moulins et du quai Panhard-Levassor (état projeté). © Rudy Ricciotti

Les Grands Moulins se composent d’un quadrilatère de béton à armature métallique pourvu, côté Seine particulièrement, d’un habillage « noble », quasiment « classique » avec fenêtres en ogives, toitures en ardoise, lanterneau. Les quatre bâtiments sont disposés autour d’une cour intérieure. Initialement, les planchers n’étaient pas tous au même niveau et les éléments n’étaient pas tous reliés entre eux à chacun des niveaux.

Rudy Ricciotti, l’architecte lauréat, a qualifié l’ensemble des Grands Moulins de « Quasimodo de béton ». C’est dire si ce monument de l’industrie est à la fois massif, atypique et non dépourvu d’une certaine grandeur. Ricciotti en a respecté l’enveloppe ainsi que les caractéristiques extérieures.

Les espaces dévolus à la bibliothèque représentent aujourd’hui un peu plus de 10 000 m2 sur les 25 000 m2 de surface dans œuvre de l’ensemble.

L’intervention structurelle de l’architecte a consisté principalement en :

– une mise à niveau de l’ensemble des planchers des corps de bâtiment avec la création de planchers intermédiaires, le béton ayant remplacé le chêne originel ;

– la reconstruction de passerelles à partir du niveau 2 afin de permettre la circulation horizontale ;

– le percement d’une des façades afin d’apporter la lumière naturelle dans tous les espaces, les fenêtres ainsi créées respectant la modénature existante ;

– la suppression de structures intérieures correspondant à l’activité industrielle telle que les silos ;

– la mise en place de circulations verticales (ascenseurs, escaliers, escaliers intérieurs de la bibliothèque) qui assurent la meilleure fluidité possible des espaces publics et l’autonomie des circulations publiques et des circulations des services intérieurs ;

– la création de trémies, au niveau 3 de la bibliothèque, qui permettent de restituer un continuum visuel de certains espaces publics et donnent une perception de la structure du bâtiment ;

– le cuvelage du sous-sol de la cour centrale, pour y installer les rayonnages de stockage dense.

Les interactions entre le bâtiment et le programme

Pour la bibliothèque, la première esquisse de l’architecte ne correspondait que d’assez loin au programme fonctionnel : elle comportait par exemple huit niveaux, dont certains ne communiquaient pas entre eux, ce qui parfois aurait obligé à traverser des services intérieurs pour accéder à des espaces publics, ou encore à sortir de la bibliothèque pour y entrer à nouveau. Par ailleurs, l’étroitesse de certains plateaux n’autorisait pas l’installation de rayonnages et de places de travail.

Une concertation très étroite s’est établie directement avec l’architecte, avec l’accord de l’université qui nous a fait confiance pour mener les discussions. Nous avons bénéficié d’une écoute très attentive de la maîtrise d’œuvre.

Nous pouvions, certes, toujours nous référer au programme et expliciter nos demandes, mais nous devions, nous aussi, « tenir compte du bâtiment » et ne pas demander l’impossible, par exemple un espace compact, puisque le bâtiment d’origine est linéaire.

Au terme de nombreux échanges avec l’architecte, il a été possible de passer de huit niveaux publics à cinq, mais personne ne pouvait supprimer les poteaux gênants ni augmenter certaines hauteurs sous plafond…

Le bâtiment présente un certain nombre de caractéristiques qui sont entrées en interaction positive ou négative avec les demandes fonctionnelles de la bibliothèque :

– de vastes plateaux à trame constructive large – 7 mètres – rendent l’espace lisible et logique ; en revanche, à cause de l’épaisseur du bâtiment, ils obligent à une implantation un peu uniforme et répétitive des mobiliers ;

– la charge au sol est partout acquise en raison de l’usage initial des bâtiments ;

– l’éclairage naturel mais mesuré assure le confort visuel et la bonne conservation des documents ;

– dans certaines zones, une « forêt » de poteaux provoque des difficultés d’implantation des mobiliers, par contre cela permet de différencier les espaces ;

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Le pôle sciences Gaby Fosier (université Denis Diderot – Paris VII). © Rudy Ricciotti

– des différences de hauteur sous plafond (de 3 à 5 mètres) procurent soit une sensation un peu écrasante, soit au contraire de magnifiques perspectives.

La configuration en quadrilatère est évidemment très contraignante en termes de distances à parcourir et de surveillance des espaces, mais la variété des vues et des orientations compense quelque peu la difficulté prévisible d’exploitation de la bibliothèque.

L’explicitation des fonctionnalités du programme et la concertation avec l’équipe de l’architecte ont permis essentiellement de mener un travail abouti sur les circulations des publics, des documents, des services intérieurs ; d’assurer l’autonomie des services intérieurs qui sont par ailleurs connectés aux espaces publics à chaque niveau ; et de restituer la continuité des espaces documentaires qui n’était pas acquise initialement.

La forte personnalité du bâtiment a sans doute déterminé l’architecte à conserver les « traces » de ses origines et de son histoire. Les poteaux et poutres d’origine sont simplement nettoyés et vernis, et se distinguent des nouvelles structures soigneusement peintes et parfaitement lisses. Les plafonds ont reçu un traitement « industriel » avec des chemins de câbles apparents, les murs intérieurs ont été laissés bruts chaque fois que cela était possible.

Ce parti pris architectural a fortement orienté les définitions des mobiliers en termes de matériau, de couleur, de style afin de respecter le caractère monumental des espaces et de mettre en valeur les perspectives visuelles (tables filantes par exemple, tables recouvertes de linoléum de couleur en accord avec les sols de lino gris). On a aussi cherché à ménager des ruptures de rythme et à procurer des espaces plus intimes, qui favorisent l’appropriation de la bibliothèque par ses publics.

Un travail rigoureux et inventif a été ainsi mené par Françoise Sogno, architecte consultante pour le mobilier, en liaison avec la maîtrise d’œuvre et son designer, le studio Totem, qui réalise les mobiliers fixes, comme la banque de prêt et les bureaux d’accueil et de renseignements. De nombreux échanges mettant en contact l’ensemble des intervenants, des visites de bibliothèques, des rencontres avec des fournisseurs ont favorisé la mise en cohérence des demandes fonctionnelles et des choix esthétiques, sans oublier la recherche de durabilité et d’économie.

Indéniablement, certaines recommandations du programme n’ont pu être satisfaites en raison même des caractéristiques du bâtiment : ni la compacité ni la flexibilité des espaces ne sont assurées.

Le bon fonctionnement de la bibliothèque va exiger une importante présence en personnel pour assurer la surveillance et l’assistance aux usagers.

En revanche, il paraît certain que le travail mené avec l’architecte a été possible parce qu’il s’agit d’une réhabilitation et d’une requalification d’un bâtiment ancien. L’architecte nous a écoutés sans a priori et a souvent cherché la solution avec nous d’une part et avec… le bâtiment d’autre part.

La présence physique du bâtiment nous a sans doute permis de nous approprier plus facilement le projet. Nous en avions, dès le début, une approche concrète, à la fois pratique et sensible, extrêmement stimulante. Étant donné la qualité du bâtiment initial, les contraintes ont été perçues de façon positive, comme une sorte de défi.

Si nous ne pouvons prétendre qu’il s’agira de la bibliothèque idéale – mais qui pourrait aujourd’hui la définir –, nous croyons qu’elle sera adaptée à son usage, et nous savons qu’elle ne ressemblera à aucune autre.

La bibliothèque des Grands Moulins de Paris

(ouverture prévue au printemps 2007)

Architecte : Rudy Ricciotti

Design : Studio Totem

Architecte consultante pour le mobilier : Françoise Sogno

Surfaces

Espaces publics : 10 000 m2

Magasins : 1 000 m2

Services intérieurs : 1 000 m2

Places de travail

– 1 420 places de travail

– 5 salles de travail de groupe

– 5 salles multimédias

– 2 salles de formation

Collections

– 250 000 documents en libre accès

– 350 000 documents en magasins

Publics

– 25 000 étudiants

– Public universitaire de Paris et d’Île-de-France

– Public local