Bibliothèques universitaires
Des ambitions et des attentes
En 1989, le rapport Miquel révèle une situation catastrophique pour les bibliothèques universitaires, en partie liée à une absence de construction pendant près de quinze ans. L’article dresse un état des lieux de l’évolution des bâtiments depuis cette date : les nombreuses constructions de bâtiments, ainsi que les rares agrandissements et réhabilitations favorisés par les plans U2000 puis U3M ne parviennent pas à combler le retard accumulé, notamment en raison de l’accroissement du nombre d’étudiants. Il est à espérer que la liste des opérations retenues dans le cadre des nouveaux contrats de projets État-Région (2007-2013) contribuera de manière adéquate à ce rattrapage.
In 1989, the Miquel report revealed the catastrophic state of university libra-ries, due in part to the absence of any building works for nearly fifteen years. The article formulates an assessment of the evolution of buildings since this date. Numerous building works, as well as a few rare enlargements and refurbishments privileged by the U2000 and then the U3M plans have not been able to make good the accumulated backlog, notably due to the increase in the number of students. It is to be hoped that the list of proposals retained in the context of the new contracts for State-Region projects (2007-2013) will contribute adequately to make good this backlog.
1989 hat der „Report Miquel“ die katastrophale Lage der französischen Universitätsbibliotheken aufgedeckt, die sich zum Teil dadurch ergeben hat dass 15 Jahre lang keine neuen Bibliotheksgebäude errichtet wurden. Der Artikel erstellt einen aktuellen Lagebericht der Bauentwicklung seit damals. Selbst die zahlreichen Neubauten und einige bauliche Erweiterungen und Renovierungen, ermöglicht durch die Projekte U2000 und U3M, können die Versäumnisse nicht wettmachen, vor allem weil die Studentenzahl ständig steigt. Es bleibt zu hoffen, dass die Baupläne, die im Rahmen der neuen Projektverträge, die für den Zeitraum 2007 – 2013 zwischen Staat und Regionen geschlossen wurden, diesen Nachholbedarf mit Erfolg decken können.
En 1989, el informe Miquel revela una situación catastrófica para las bibliotecas universitarias, en parte ligada a la ausencia de construcción durante cerca de quince años. El artículo levanta un inventario de la evolución de los edificios desde esta fecha : las numerosas construcciones de edificios, así como los raros agrandamientos y rehabilitaciones favorecidos por los planes U2000 luego U3M no logran llenar el retraso acumulado, sobetodo en razón del incremento del número de estudiantes. Es de esperar que la lista de las operaciones retenidas en el marco de los nuevos contratos de proyectos Estado-Región (2007-2013) contribuirá de manera adecuada a este repechaje.
Peu avant que soit diffusée la liste des opérations de construction, réhabilitation, mise en sécurité des bibliothèques universitaires retenues dans le cadre des nouveaux contrats État-Région (2007-2013) et que soient connus les moyens financiers qui leur seront affectés, cet article donne l’opportunité de retracer brièvement l’évolution des bâtiments des bibliothèques des universités depuis 1989 et de faire un état des lieux avant une nouvelle étape.
La publication du Rapport Miquel 1 au ministre de l’Éducation nationale, en 1989, constitue une date charnière. André Miquel lance un signal d’alarme et dénonce une situation catastrophique pour les bibliothèques universitaires. En matière de bâtiment, le constat est alarmant tant du point de vue quantitatif que qualitatif : 630 000 mètres carrés (0,73 m2 par étudiant), plus de 18 étudiants par place de bibliothèque, moins de 20 % des collections en libre accès, des bibliothèques en mauvais état, comme tous les autres bâtiments universitaires par défaut de maintenance régulière.
Le Rapport ne s’est pas contenté de dénoncer le retard des bibliothèques, il donne des orientations pour redresser la situation. Parallèlement, les universités, à cette date, vont bénéficier, sur le plan immobilier, du lancement du schéma de développement « Universités 2000 », réponse nécessaire des pouvoirs publics à l’accroissement des effectifs étudiants. Aussi U2000 marque-t-il le début d’une ère plus favorable, qui met fin à une période critique de près de quinze ans (1975 à 1990), pendant laquelle n’aura été construite aucune bibliothèque.
Cependant, si, à partir de 1990, la situation budgétaire des BU change progressivement, le nombre d’étudiants, quant à lui, ne cesse de progresser. La situation immobilière, dans les années 1994-1995, s’aggrave donc encore et, pour les bibliothèques, le ratio m2 par étudiant tombe à 0,48.
Les objectifs du Rapport Miquel vont être repris et développés par les auteurs de l’ouvrage élaboré sous la direction de Marie-Françoise Bisbrouck et Daniel Renoult, Construire une bibliothèque universitaire, de la conception à la réalisation 2, qui devient l’ouvrage de référence pour les services constructeurs des universités. Les données chiffrées pour la programmation des BU visent à atteindre 1,50 m2 par étudiant, une place pour 10 lecteurs dans un premier temps, puis une pour 5, dans l’espoir de mettre un jour les bibliothèques françaises au niveau des bibliothèques des universités européennes les plus développées. Ce livre énonce également les principes de base pour concevoir et réussir une BU moderne.
L’embellie d’Universités 2000
U2000, c’est 3 milliards de francs pour les bibliothèques (sur 32 milliards pour l’ensemble universitaire) afin de construire 350 000 mètres carrés nouveaux. Ces surfaces seront réalisées ; non sur six ans comme prévu au départ mais sur onze. Le schéma U2000 s’articulera en effet avec les Xe et XIe contrats de plans, montages partenariaux entre l’État et les collectivités territoriales.
Le nombre d’opérations de bibliothèques s’élève à 110, auxquelles on peut ajouter une vingtaine d’autres qui ne seront réellement terminées qu’au tout début du plan de développement suivant (U3M). Ces 130 opérations ont bien permis d’atteindre ce que le Rapport Miquel s’était fixé comme surfaces à construire, mais le résultat reste cependant modeste, compte tenu de l’importance du retard qui était à combler, de la poursuite de l’accroissement des effectifs étudiants, des besoins qui ont émergé, notamment en matière de documentation électronique, et des délais et des conditions dans lesquelles les opérations ont pu être conduites.
Plusieurs grandes universités n’ont lancé aucune opération de bibliothèque dans U2000 (Paris intra-muros, Aix-Marseille, Lyon I, Lyon II, Lille III par exemple). Il faut noter la superficie modeste et bien souvent insuffisante de la plupart des bibliothèques construites : sur les 130 opérations réalisées, seules 58 ont plus de 2000 m2.
Excepté les bibliothèques de Dijon droit-lettres, Grenoble I, Rennes II, Bordeaux III-IV, Martinique qui ont obtenu une enveloppe budgétaire pour s’agrandir ou commencer une réhabilitation, l’accent, dans U2000, a été mis sur les constructions neuves, notamment pour les universités nouvelles (Artois, Littoral, La Rochelle, Bretagne-Sud, Troyes, Cergy, Évry) et les antennes délocalisées des universités (Albi, Agen, Bayonne, Beauvais, Blois, Évreux, Nîmes, Roanne…), et très peu sur les anciens bâtiments.
Enfin, plusieurs BU connaîtront les difficultés liées à des travaux réalisés en tranches successives : celles d’Angers, de Metz et de Valenciennes agrandies en plusieurs fois, celles de La Rochelle, de La Réunion droit-lettres, du Mans, de Lyon III, de Nantes droit-sciences économiques, dont les deuxièmes tranches ne seront parfois réalisées qu’avec le plan U3M.
Sur le plan architectural, il convient de retenir pour cette période la construction de grands bâtiments « fleurons », de plus de 10 000 m2 : Paris VIII Saint-Denis (architecte Pierre Riboulet), Montpellier-Richter (René Dottelonde), Lyon II-III-ENS (Bruno Gaudin) et celle de plusieurs bâtiments de 4 000 à 6 000 m2 : Amiens droit-sciences (Francisco Venezia), Avignon (Jean-Pierre Buffi), Besançon-droit (Laurent et Emmanuelle Beaudouin), Lyon III Manufacture (Atelier de la Rize), Perpignan (Jean-Louis Michel), Toulouse I Manufacture (Hoym de Marien), Rouen sciences du tertiaire (Atelier Ataub), qui ne sera terminé qu’en 2001.
Pendant cette période, les universités, les méthodes pédagogiques, les étudiants ont évolué. Il en va de même des bibliothèques, confrontées au développement brutal des nouvelles technologies. Il s’est révélé nécessaire d’évaluer ce qui avait été préconisé au début des années 1990 et réalisé pendant la décennie. C’est ainsi qu’à l’appel de la Sous-direction des bibliothèques et de la documentation, les collègues qui avaient participé à la conception puis à l’aménagement d’une bibliothèque se sont réunis pour tenter un bilan. Les réflexions de ce groupe de travail ont été publiées dans le livre Les bibliothèques universitaires. Évaluation des nouveaux bâtiments 1992-2000 3.
Université du troisième millénaire
Le nouveau schéma U3M, dont le projet est lancé dès 1998, prend le relais d’U2000 pour le développement des universités françaises. Il détermine une stratégie jusqu’en 2015. La première phase (2000-2006) est articulée avec une nouvelle génération de contrats de plan État-Région (CPER). L’enveloppe prévue pour les BU s’élève à 580 millions d’euros dont 170 millions pour Paris.
Cette fois, en effet, avec le concours décisif de la région Île-de-France et de la ville de Paris, on entrevoit une possibilité d’organiser et de moderniser quelques bibliothèques parisiennes, pour la plupart installées dans des bâtiments peu fonctionnels et défaillants en termes de sécurité. Afin de rationaliser et de coordonner les projets immobiliers et les projets documentaires, est constitué, sous la direction de Daniel Renoult, le Comité stratégique pour les bibliothèques d’Île-de-France.
Alors que 40 % des chercheurs français et près d’un étudiant sur quatre travaillent en Île-de-France, on constate un important déficit en places de lecture, une très faible proportion d’ouvrages en libre accès (9 % en moyenne, entre 1 % et 4 % pour les bibliothèques interuniversitaires), une mauvaise valorisation de l’exceptionnelle richesse des collections. C’est sur ce constat de départ que vont s’appuyer les propositions d’évolution : création de 7 000 places de lecture, développement du libre accès aux collections, accent mis sur l’ouverture au public des services et sur le fonctionnement en réseau 4.
Après les travaux préparatoires, le Comité stratégique, par un suivi rigoureux, va s’appliquer à faire émerger douze projets franciliens. Excepté les cas de la bibliothèque de Saint-Quentin-en-Yvelines (7 800 m2) et de la bibliothèque de droit de Paris XII – Créteil (3 042 m2), ouvertes aux utilisateurs en 2005 pour avoir été programmées dès la préparation de U3M, il faudra attendre 2007 pour voir les premiers résultats tangibles. Ce délai n’est pas très surprenant quand on connaît la lourdeur des enchaînements nécessaires au lancement d’une opération : mise en place des instances de réflexion, des groupes de travail de programmation, puis organisation des concours d’architectes par la maîtrise d’ouvrage, lancement des appels d’offres, recherche des équilibres financiers d’opérations complexes, mises en chantier non exemptes de surprises diverses (sol instable, fouilles archéologiques…).
L’année 2007 sera celle de l’ouverture de la bibliothèque de l’université Paris VII – Denis Diderot (architecte Rudy Ricciotti) 5, l’année décisive des travaux de la bibliothèque Sainte-Barbe (Antoine Stinco) et de la bibliothèque des sciences de l’univers (Ateliers Lion), enfin l’année de la mise en chantier de la nouvelle bibliothèque universitaire des langues et civilisations, Bulac (Ateliers Lion). Pour le reste de l’Île-de-France, l’opération la plus avancée est la réhabilitation, à Bobigny, des anciens bâtiments de l’Illustration pour l’université de Paris XIII (architecte pour la rénovation de la bibliothèque : Françoise Sogno ; pour la rénovation de l’ensemble du bâtiment : Borja Huidobro, associé à Paul Chemetov pour les trois premières phases et Paul Chemetov pour la quatrième phase).
« À partir de 2008-2009, les changements deviendront visibles, […] compte tenu des lourds handicaps accumulés depuis trente ans dans la capitale, l’effort de redressement devra être poursuivi et on n’atteindra pas l’objectif de 7 000 places supplémentaires avant 2015 », disait Daniel Renoult dans un entretien accordé à Livres Hebdo 6.
Les projets peu ou pas encore engagés, comme les bibliothèques de Paris II – Assas, Paris IV – Clignancourt, Paris XIII – Villetaneuse, Versailles, Marne-la-Vallée, se préparent (pour certains la programmation est avancée, pour d’autres le concours d’architecte est déjà organisé) et se réaliseront progressivement.
En ce qui concerne les universités des autres régions (enveloppe U3M : 410 millions d’euros pour les BU), les années 2002-2006 sont marquées par l’ouverture de quelques bâtiments importants : la bibliothèque du campus scientifique de Caen, 6 800 m2 (Dubois-Duval), la construction en deux tranches de la nouvelle bibliothèque de Toulouse – Le Mirail avec 14 000 m2 (Pierre Riboulet), la construction de la deuxième tranche de la BU du Mans, 5 100 m2 (Laurent et Emmanuelle Beaudouin) ; et ouvertes en 2006, la bibliothèque Chevreul à Lyon, 6 300 m2 (Thierry Van de Wyngaert), la BU du Havre, 8 200 m2 (René Dottelonde), et de Reims lettres-droit, 9 000 m2 (Chabanne & partenaires) 7.
Ces nouvelles bibliothèques, conciliant un geste architectural fort, un degré réel de confort, une fonctionnalité de leurs équipements mobiliers et informatiques, sont rapidement devenues au sein de leurs universités des lieux emblématiques. Deux d’entre elles (Le Havre et Reims) sont des opérations de construction menées dans le souci d’une démarche de haute qualité environnementale (HQE) ; les économies d’énergie, les performances thermiques, visuelles, acoustiques ont été des cibles privilégiées par les maîtres d’ouvrage qui se sont efforcés de limiter les nuisances traditionnelles (bruit des conversations, ronflement des équipements techniques, chaleur en été, froid en hiver). Les usagers devraient remarquer assez rapidement le confort tout particulier de ces bibliothèques, aussi bien dans les petits espaces (salles de travail en groupe, salles de formation aux nouvelles technologies, box individuels de travail) que dans les grandes salles de consultation.
Il faut souligner également la qualité architecturale de bibliothèques de taille plus modeste (entre 1 000 et 3 000 m2), comme celle de médecine à Besançon (architecte Christian Schouvey) ou celle de droit-sciences économiques à Limoges, enserrée dans la faculté (Pierre Bolze, Simon Rodriguez-Pagès, Nicole Guénégou ; Prix AMO 2004, Architecture et lieux de travail) 8. En 2007 l’université de Mulhouse ouvrira des lieux d’enseignement et une bibliothèque dans un site exceptionnel, une ex-fonderie, restructurée par les architectes Ferdinand Mongiello et Christian Plisson.
Évaluations et interrogations
Si l’architecture contribue de manière directe à la réussite d’une bibliothèque, il est vrai que les satisfecit architecturaux ne suffisent pas toujours. Les bibliothécaires dressent parfois un bilan technique mitigé après quelques semaines d’ouverture au public.
En effet, apparaissent bien vite les conséquences des économies réalisées au moment de la construction par des maîtres d’ouvrage soucieux de rester dans une enveloppe financière souvent restreinte. Il faut bien constater qu’un coût évalué au moment du montage financier ne résiste jamais à la longueur des délais entre la décision de construire et la réalisation du bâtiment. Le contexte économique influe directement sur le coût de construction et il conviendrait de revoir le système d’évaluation qui peine à tenir compte des importantes fluctuations du prix des matériaux et des services. Lorsque les enveloppes financières s’érodent, les finitions du bâtiment laissent à désirer. La liste est longue des misères de ceux qui essuient les plâtres !
On pourrait citer le cas un peu particulier de la bibliothèque d’Orléans-Sciences, dont les architectes ont reçu le prix de L’Équerre d’argent 2005 9. Il est délicat d’émettre un son un peu discordant au moment d’une telle distinction, pourtant il faut pointer quelques problèmes dont la responsabilité est forcément partagée par l’ensemble des partenaires de l’opération. En effet la bibliothèque, prévue au moment du concours d’architecte pour 5 000 étudiants, soit 6 000 m2 programmés, a une surface finale de 3 000 m2 seulement. Les cinq escaliers du plan d’origine ayant été conservés, le bâtiment a un ratio surface utile/surface hors œuvre nette peu favorable ; il a perdu par ailleurs toutes les possibilités d’extension ultérieure ; enfin la réalisation technique du bâtiment, notamment le système de ventilation, n’est pas tout à fait à la hauteur des qualités architecturales qui lui ont été reconnues 10.
Il arrive que la presse se trompe lourdement quand elle donne des indications de prix, surtout si elle ne prend en compte que le coût des travaux, exprimé hors taxes 11 ! En effet il faut compter les études préalables, les raccordements aux réseaux, les honoraires des architectes, le premier équipement, la TVA, les aléas… Au printemps 2006, nos dernières estimations aboutissaient à un coût d’environ 2 200 TTC le m2 shon (surface hors œuvre nette), auquel il convient d’ajouter 330 TTC par m2 shon pour le premier équipement d’une bibliothèque. Plus délicat encore est d’estimer le coût d’une réhabilitation, qui peut aller d’une mise en sécurité minimale à une importante réorganisation du bâtiment.
Au total, la situation fin 2007 s’établirait à une cinquantaine d’opérations de bibliothèques ouvertes au public, représentant 150 000 m2 de constructions et 40 000 m2 de réhabilitations. Par rapport aux ambitions affichées pour la première phase d’U3M, au début du schéma, les bibliothèques n’en seraient qu’à mi-chemin.
Vers des contrats de projets d’un genre nouveau
Au printemps 2006, quatre circulaires du Premier ministre et de la Délégation interministérielle à l’aménagement et à la compétitivité des territoires (DIACT), qui remplace la Datar (Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale), invitaient les préfets de région à lancer la préparation des contrats État-Régions 2007-2013, dénommés non plus contrats de « plans » mais contrats de « projets ». Le changement d’appellation des contrats et l’allongement de leur durée marquent la volonté politique d’engager ces contrats sur des bases profondément modifiées. Le contexte des négociations en cours est donc relativement nouveau et il faut attendre leur fin pour savoir, région par région, dans quelle mesure les besoins actuels des bibliothèques universitaires auront été pris en compte.
Or, en province comme en Île-de-France, beaucoup de projets qui avaient été inscrits dans la première phase d’U3M sont peu ou pas encore engagés. Les négociations en cours qui vont décider des opérations jusqu’en 2013 laissent les professionnels inquiets. Des changements peuvent toujours intervenir sur des projets déjà programmés, voire en chantier, au défi des règles de programmation. Autant l’Institution est stable, autant les hommes varient. L’inconstance des décideurs fragilise le projet non ouvert au public. Les réorientations, les retournements de situations, les remises en cause, les amputations guettent toutes les grandes opérations malgré les investissements humains et financiers déjà consentis.
Pourtant, face à la durée de leur mise en œuvre, il faudrait pouvoir compter sur la fidélité à l’idée fondatrice. Les projets pour Jussieu, Paris III, Paris IV – Clignancourt, Paris VII, Sainte-Barbe, Bulac, BDIC, Aix, Clermont-Ferrand, Nantes-médecine, les mises en sécurité de la BNU de Strasbourg, ou de la Sorbonne ont connu ou connaissent des tribulations ou des retards importants. Les grands projets, s’ils ne peuvent bénéficier d’un coup de pouce « présidentiel », auraient besoin d’une volonté très affirmée sur le long terme pour les faire aboutir.
La continuité, voire l’entêtement, sont également nécessaires pour exprimer les besoins persistants des bibliothèques universitaires.
Quels sont-ils ? Il faut tout d’abord entreprendre les réhabilitations et les mises en sécurité de bâtiments anciens. Près de 300 000 m2 de bibliothèque fonctionnent, non sans risques, dans des bâtiments conçus pour la plupart dans les années 1970 avec une structure ternaire (tour de stockage, salles de lecture, bureaux « à l’ancienne ») ou une organisation « à deux niveaux » d’étude, selon les programmes de l’époque. Leur adaptation aux nouveaux usages et leur remise aux normes sont tout à fait indispensables. Pour cela, il convient de ne pas sous-estimer les efforts à entreprendre. Ces bâtiments ont besoin d’être repensés en profondeur : diagnostic précis, organigramme fonctionnel nouveau, programme détaillé, intervention d’une maîtrise d’œuvre choisie après concours d’architectes sur des projets élaborés, suivi rigoureux de chantiers difficiles en sites occupés. Précisons qu’au lieu de se heurter à des difficultés techniques très coûteuses, ou de tenter l’impossible reconversion de certains bâtiments, la sagesse est parfois de préférer la solution du transfert total de la bibliothèque (cas de la BU de Reims 1970/2006 par exemple).
L’espoir actuel est de retrouver inscrites sur les listes nouvelles des CPER, les deuxièmes ou dernières tranches des bibliothèques grenobloises, des bibliothèques sciences de Lyon I, Nancy I et Toulouse III, déjà engagées dans d’importantes réhabilitations – pour certaines avec extensions.
Il serait également indispensable d’y trouver les opérations de Lille I et Lille III, inscrites dans les CPER précédents sans pour autant avoir été engagées et celles, entre autres, des bibliothèques de Poitiers droit-lettres, Toulouse III – médecine, Tours – lettres, Paris XI – pharmacie. Cette liste n’est bien sûr pas exhaustive.
Plus ambitieuses que de simples mises en sécurité ou mises aux normes, les opérations de réhabilitations sont indispensables, même si elles perturbent durablement les conditions de travail des usagers des bibliothèques concernées mais aussi des bibliothèques voisines, et même si les chantiers sont particulièrement douloureux pour les personnels.
Pour conclure on ne peut éluder la question suivante : faut-il encore construire des surfaces nouvelles ? Oui, il faudra toujours envisager le transfert des bibliothèques qu’il est impossible de rénover à un coût raisonnable ; oui, il convient de doter les sites universitaires nouveaux ou les nouvelles filières, de bibliothèques universitaires qui les desservent ; oui, il faut encore concevoir de grandes et belles bibliothèques parce que l’objectif qui devait mettre les bibliothèques françaises au niveau des bibliothèques des universités européennes les plus développées n’est pas atteint : même si la surface des bibliothèques est passée, depuis le Rapport Miquel, de 630 000 m2 à 1 million en 2005, le ratio m2 par utilisateur n’est pas meilleur qu’en 1989. Il faut donc construire encore et accepter d’y mettre le prix, afin de bâtir, équiper en mobilier et matériel, et doter en personnel ces nouveaux espaces.
Il convient de convaincre une multitude de partenaires de cette nécessité – et espérer que les collectivités locales, très fortement engagées dans les plans U2000 et U3M, continuent leurs efforts. Les régions ont souvent été les maîtres d’ouvrage des bibliothèques en construction pour les avoir financées à plus de 50 %, voire 100 %. Convaincre reste cependant difficile – parce que les sommes en jeu sont importantes.
Bien sûr la question du tout-numérique se pose. Mais, comme le soulignait Claude Jolly « les nouvelles technologies de l’information et l’existence d’une information scientifique en ligne n’ont en aucune façon supprimé l’exigence d’espaces organisés dédiés à la documentation, même si, comme il est naturel, elles modifient la nature et le mode de fonctionnement de ces espaces 12 ». Les nouvelles technologies ne font que rendre encore plus indispensables des lieux de convergence de la pensée au moment de sa dispersion la plus radicale ; il faut des lieux de socialisation, notamment pour le jeune étudiant, qui, pendant ses études, ne peut rester seul devant son ordinateur face au foisonnement d’Internet. Les étudiants recherchent la compagnie des autres, travaillent de plus en plus en groupes, utilisent les bibliothèques comme des lieux de rencontre, de travail et de liens avec le monde ; ils apprécient ces lieux « organisés », calmes, rassurants, à dimension humaine que sont les bibliothèques, où ils peuvent se former à la recherche documentaire. La communauté universitaire tout entière a besoin d’un lieu où se recentrer, d’un bâtiment « digne » « majestueux », « symbolique » « initiatique », où il sera possible à chacun de se documenter, de se concentrer, de se retrouver, de travailler.
Un bilan détaillé des opérations de ces dernières années et une réactualisation du référentiel des constructions s’imposent. Il convient d’interroger et d’évaluer les principes de programmation testés dans les plus récents établissements et d’imaginer ce qu’une BU sera dans quelques années. La flexibilité des bâtiments tant demandée aux architectes va encore être mise à l’épreuve du temps.
Novembre 2006