La programmation au service de l’ambition architecturale
L’auteur s’appuie sur deux exemples (la médiathèque de l’agglomération troyenne et la bibliothèque universitaire de Paris VIII) et sur deux ouvrages de référence (Bibliothèques dans la cité et Construire une bibliothèque universitaire) pour exposer le rôle propre du programmateur : définir les objectifs urbains, architecturaux et fonctionnels dans le programme général, et définir les objectifs du confort des espaces dans le programme détaillé (ou programme technique)
The author relies on two examples (the multi-media library in the Troyes conurbation and the Paris VIII University Library) and on two works of reference (Bibliothèques dans la cité and Construire une bibliothèque universitaire) to explain the intrinsic role of the programme manager: to define urban objectives, architectural and functional in the general programme, and to define the objectives for the most effective use of space in the detailed programme (or the technical programme).
Die Autorin stützt sich auf zwei Bibliotheksbeispiele (die Mediathek der Stadt Troyes und ihre Umgebung und die Universitätsbibliothek Paris VIII) und auf zwei Referenzbücher (Bibliothèques dans la cité und Construire une bibliothèque universitaire) um die für Bibliotheksplaner charakteristische Rolle darzustellen: Bestimmung der städtebaulichen, architektonischen und funktionellen Ziele des Gesamtprogramms und die Definition der Ziele des räumlichen Komforts im Detailplan (oder technischen Programm).
El autor se apoya en dos ejemplos (la mediateca de la aglomeración de Troyes y de la biblioteca universitaria de Paris VIII) y en dos obras de referencia ((Bibliothèques dans la cité y Construire une bibliothèque universitaire) para exponer el papel propio del programador : definir los objetivos urbanos, arquitecturales y funcionales en el programa general, y definir los objetivos de comodidad de los espacios en el programa detallado (o programa técnico).
Avant de commencer cet article, j’ai visité la médiathèque de Troyes 1 dont je ne connaissais que des images.
Une médiathèque à Troyes
Si tout n’est pas dans les livres, tout y sera : faits, phénomènes, témoignages, théories et fictions ont vocation à y être consignés.
Amasser les livres, les classer, y adjoindre les supports numériques, constitue un projet exaltant qui revient à rêver d’embrasser l’entièreté du monde et la totalité des temps.
Pour pallier l’étroitesse de nos vies et pour se prémunir contre la fuite des choses, il faut se convaincre de la plausibilité de ce projet. Une fois mis en œuvre, il forme un milieu idéal pour se repérer dans la confusion du monde.
Cette ambition peu commune, cette grande idée trouvent à se réaliser dans des bâtiments fameux. Cherchant à mobiliser les forces de l’esprit, ceux-ci placent l’individu-pensant-à-sa-table au sein d’une matière démesurée. Cette matière c’est la somme des documents accumulés et ce sont les vastes espaces y correspondant. Ainsi, comme par défi, les grandes bibliothèques semblent taillées pour laisser un champ immense à la pensée en mouvement. À charge pour l’individu rapetissé de mettre son esprit en branle pour lui faire atteindre la clef des voûtes, le sommet des coupoles et l’extrémité des vides. Ce goût pour la démesure et pour le sublime, cette aspiration vers la totalité, trouvent parfois leur pendant dans le spectacle de la nature : elle est peinte dans le hall de la bibliothèque Sainte-Geneviève et elle est au cœur de la TGB.
La totalité étant difficile à circonscrire, elle réclame une enceinte étanche d’où l’esprit ne fuit pas la matière des livres et d’où la vue n’échappe pas à la complétude des espaces. Le spectacle des villes nuisant à cette concentration, les bibliothèques sont des lieux introvertis. Pareillement, leur fréquentation gagne à se limiter aux chercheurs et aux étudiants, populations qui y viennent en connaissance de cause et qui savent en exploiter le potentiel.
Des bibliothèques, modèles éprouvés d’ordre et de classement, on en connaît de magnifiques et d’immuables qui sont entrées dans l’ordre de nos représentations et qui nous servent de repères.
En revanche, il est malaisé de se représenter clairement une médiathèque. Le terme même, sa nouveauté, ce qu’il désigne, renvoient à un ensemble difficile à cerner. Les médiathèques ne sont pas pour autant des institutions mal définies : nombre d’entre elles conservent de riches fonds patrimoniaux, la rigueur scientifique y trouve son compte et elles assurent sans faillir une mission de lecture publique.
Reste qu’une part de leur raison d’être est tenue par l’incertitude. Elles s’adressent, au-delà des chercheurs et des étudiants en mal de bibliothèques universitaires, à un ensemble flou : les « gens », le « grand public » – enfants, adolescents, adultes – dont les pratiques, les attentes et les dispositions pour la lecture sont très diverses.
Ces multiples appétits, les médiathèques s’efforcent non seulement de les satisfaire, mais aussi elles les stimulent et les aiguisent. Si elles s’intéressent au « goût du public », elles ne s’y arrêtent pas et, quand elles cherchent à séduire, c’est pour mieux interroger.
Bref, tout en perpétuant le projet de la bibliothèque, les médiathèques sont curieuses de l’agitation du monde et de la consommation des choses.
Voilà leur projet, leur grande idée.
En accommodant ce qui paraît trivial et en se colletant avec « l’animation culturelle » elles gagnent une énergie particulière qui les force à négocier leur ouverture sur la ville, sur l’espace du commerce généralisé.
Elles s’ouvrent au point d’accompagner le public chez lui : une grande part de leurs documents lui est prêtée. Il sort les mains pleines de ces lieux destinés autant à la conservation qu’à la dispersion. Les médiathèques fuient donc, mais sans perdre leur substance quand elles savent asseoir leur autorité culturelle.
Leur ascendant, leur présence, viennent de l’intelligence qu’elles ont des situations conflictuelles auxquelles elles sont confrontées : elles célèbrent les choses de l’esprit au sein d’un environnement qui n’établit plus de hiérarchie, où tout s’équivaut, où aucun projet exigeant ne saurait se prévaloir d’une quelconque prééminence.
Rien ne leur est donné, aucun modèle ne s’impose, aucune place ne leur est réservée dans l’ordre de nos représentations. Elles sont à réinventer, à réinstaller à chaque occasion. Une médiathèque est toujours un projet neuf, tenu de convaincre de son idée.
Sans rien ignorer des tensions qui se présentent, l’architecture d’une médiathèque doit rendre cette idée possible et convaincante. Elle le fera en fournissant des impressions adaptées au projet culturel de la médiathèque. Ces impressions toucheront d’autant mieux qu’elles ne reposeront sur aucun lieu commun.
Neuves par vocation, les médiathèques nous renseignent sur nos raisons d’être ici et maintenant au milieu des documents. Elles nous aident à trouver un rapport intelligent et sensible entre les mots et les choses, entre le contenu des documents et la vie que l’on mène.
Dominique Lyon, architecte de la médiathèque de l’agglomération troyenne
(Extrait du préambule de : Pierre Du Besset, Dominique Lyon, Lawrence Weiner, Une médiathèque à Troyes, Éd. du Regard, 2005. Reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur et de l’éditeur.)
Dans la médiathèque, je suis d’abord allée dans l’espace du fonds patrimonial et j’ai vu une exposition consacrée à Rétif de la Bretonne, écrivain, typographe et imprimeur (1734-1836). Une citation en exergue de l’exposition, « Je montre la marche des passions, non dans la vraisemblance si souvent trompeuse mais dans la réalité » m’a paru de bon aloi pour parler de programmation.
Réalité, vraisemblance – si on oublie l’ordre des valeurs proposé par Rétif de la Bretonne – c’est ce qui distingue les intentions d’un programme des ambitions architecturales.
Le premier rôle d’un programme est de décrire la réalité projetée d’un équipement en termes urbains, architecturaux, fonctionnels et d’exprimer les intentions d’une collectivité.
À partir du programme, les architectes s’attellent à « la vraisemblance » impliquant savoir, codes et artifices de la forme et de la représentation sans lesquels il n’y a pas d’architecture : « L’ambition architecturale est le carrefour où les volontés s’entrechoquent, celle du réel et celle de l’apparence. Ces deux notions d’être et de paraître sont présentes dans tout acte de bâtir. Une dualité qui devient extrême lorsqu’il s’agit de certains bâtiments – ou monuments – chargés de la symbolique d’une ville. Ainsi en est-il de la bibliothèque, lieu d’expression de la culture, qui, depuis toujours, revêt une importance particulière dans la vie de la cité. L’acte de bâtir une bibliothèque transforme souvent la nécessité d’un lieu de communication et d’échange en une projection beaucoup plus ambitieuse sur le plan esthétique et culturel : l’expression de l’image de la communauté, la représentation que la cité propose d’elle-même 2. […] »
Pour être complet, et c’est son second rôle, le programme doit donner et expliquer les exigences de confort : l’ampleur des espaces, l’accessibilité, la lumière, l’acoustique, le confort climatique, l’ergonomie, la signalétique, la sécurité, la propreté… pour satisfaire l’attente du public et du personnel d’un équipement. La demande de confort ne s’exprime pas explicitement, individuellement. Mais les espaces et les équipements peuvent gronder de mécontentement et échapper progressivement à leur vocation si l’attention portée aux qualités qui permettent à tous de partager un lieu est insuffisante.
À partir de la médiathèque de Troyes et de la bibliothèque universitaire de Paris VIII Vincennes – Saint-Denis 3, j’argumente un propos sur l’évolution dans un court laps de temps des attendus pour ces deux niveaux de la programmation :
– les intentions générales urbaines, architecturales et fonctionnelles qui apparaissent dans ce que l’on appelle le programme général ;
– la définition du confort qui s’exprime dans le programme détaillé.
J’ai aussi regardé dans cette perspective les deux ouvrages établis par des professionnels des bibliothèques et des architectes qui font référence en France en matière de programmation des bibliothèques : l’un sous la direction de Marie-Françoise Bisbrouck et Daniel Renoult, Construire une bibliothèque universitaire, de la conception à la réalisation 4 ; l’autre sous celle de Gérald Grunberg, Bibliothèques dans la cité : guide technique et réglementaire 5.
Les lignes qui suivent n’ont pas la prétention d’analyser de façon exhaustive le contenu de ces deux « bibles » qui nous servent quotidiennement dans l’exercice de notre métier ; elles sont l’occasion de parler de l’évolution des approches pour chaque grand thème constituant un programme.
Programmation générale
Définition des objectifs urbains
La bibliothèque ou plus encore la médiathèque d’une ville est parmi tous les équipements publics celui qui s’adresse à tous les publics, de tous âges, de toutes conditions sociales, de tous quartiers, de tous niveaux culturels… S’interroger sur la place de la médiathèque dans la ville, c’est chercher le lieu qui pourra toucher tous ces publics tant d’un point de vue pratique par sa proximité, son accessibilité, ses conditions de desserte, que d’un point de vue symbolique. Une médiathèque ou une bibliothèque, en s’implantant dans la ville, s’inscrit aussi dans l’histoire de celle-ci. En cela, le choix d’un terrain peut inscrire concrètement la médiathèque dans une perspective de modernité, de renouvellement, d’invention ou, au contraire, dans une logique d’identification plus confortable ou de conservatisme.
Pour les bibliothèques universitaires, comme pour les universités, les années 1990 ont été marquées par une volonté de « retour en ville », entendez le centre-ville, la ville historique… Les problématiques de renouvellement urbain auxquelles sont confrontés les campus sont peu prises en compte dans Construire les bibliothèques universitaires, même si l’exemple de la bibliothèque universitaire de Paris VIII y est largement développé.
Bibliothèques dans la cité définit comme premier critère de choix l’attraction naturelle du site. Une posture politique opposée peut pourtant être retenue.
L’implantation d’une médiathèque peut générer l’attractivité d’un site en devenir ou d’un quartier préalablement rejeté ou déstructuré et souvent, parallèlement, l’accès d’un public socialement défavorisé.
Le choix du site ne se fait pas toujours en même temps que le programme ; il relève souvent d’une intention politique préalable. La programmation urbaine et la programmation culturelle et architecturale de la médiathèque seront alors menées de façon à s’enrichir mutuellement. Toutes les fonctions de la médiathèque devront être interrogées au regard de la situation urbaine nouvelle, sans a priori, pour infléchir la structure de l’espace urbain si nécessaire. C’est au stade de la préprogrammation que doivent s’établir les échanges entre acteurs d’une collectivité et la concertation qui permettent de faire émerger en commun les enjeux.
Si un directeur de médiathèque est la personne clef dans l’élaboration d’un programme, il ne peut agir seul. La préprogrammation 6 doit permettre de faire émerger trois types d’enjeux pour un projet – les enjeux urbains et territoriaux, les enjeux architecturaux, les enjeux culturels, bibliothéconomiques et sociaux –, de les hiérarchiser et de faire apparaître leur autonomie ou/et leur complémentarité.
Les compétences requises pour ces trois niveaux d’analyse sont le plus souvent portées par des personnes différentes dans une collectivité (ou une université). Elles doivent dialoguer ensemble pour que se formulent complètement et s’enrichissent les attentes. La prise en compte de la complexité et de la diversité des attentes en amont est un facteur de réussite de toute opération de construction.
Les élus d’abord, puis les architectes, chacun dans son rôle, devront porter et rendre « vraisemblables » les demandes éventuellement contradictoires correspondant à ces trois types d’enjeux.
Définition architecturale et fonctionnelle
Elle recouvre le dimensionnement, la définition des typologies des places et des espaces et la description des relations des espaces entre eux.
L’approche quantitative des besoins, le dimensionnement et la définition des typologies d’espaces et de places de consultation peuvent toujours reposer sur les méthodes d’analyse préconisées dans nos deux ouvrages de référence. Les surfaces rapportées à la place de consultation et le dimensionnement des emplacements des documents et des espaces de travail sont justes car généreux. Les programmes qui reposent sur des surfaces moindres (comme à la ville de Paris, par exemple) sont sources de conflits d’usage entre visiteurs, entre visiteurs et personnels, et d’usure prématurée des installations dans les médiathèques.
On peut cependant aujourd’hui s’étonner que la place du visiteur « non consultant » (et/ou non emprunteur et/ou non inscrit) ne soit pas abordée explicitement. Les méthodes de calcul des surfaces reposent sur des statistiques d’inscriptions, de consultations et d’emprunts. Or, à l’exception peut-être de la BnF et de la Bpi qui n’ont pas vocation à s’intéresser prioritairement à ce type de problématique, toutes les bibliothèques sont concernées. L’appropriation des médiathèques par un public « qui ne veut pas être fiché » est un phénomène social important, pas nécessairement nouveau, qui implique une réflexion sur les usages au sein de la bibliothèque. Comment la définition de l’espace peut-elle favoriser la découverte de pratiques de consultation et l’échange entre des personnes dont les objectifs en venant à la bibliothèque sont différents ? Comment satisfaire sans ségrégation les multiples pratiques et créer des passerelles entre elles ?
La connaissance subtile des publics et de leurs attentes doit aider à définir les qualités de ces espaces et les nouveaux liens entre eux.
À Troyes, par exemple, les lecteurs de l’espace presse, près de l’entrée de la médiathèque, peuvent être vus comme autant de gardiens du fonds patrimonial (de leur fonds patrimonial), à peine en retrait de la façade et très proche du secteur des enfants, tandis que les lecteurs de bandes dessinées franchissent les marches du grand escalier rose pour s’installer au cœur des salles de lecture… ce que sans doute, bien qu’aujourd’hui évident, aucun organigramme n’aurait représenté.
Pour répondre à de nouvelles pratiques qui peuvent donner l’impression d’échapper à la vocation de la bibliothèque (et à ses métiers), la diversité, l’ampleur et la flexibilité des espaces sont trois caractéristiques essentielles.
– La diversité : on vient à la bibliothèque pour choisir des livres, des périodiques, des disques, consulter Internet… et on y vient aussi pour choisir sa place, sa table, son siège. Le principe assumé de la bibliothèque est celui de l’appropriation. Une personne à l’accueil de la bibliothèque de Paris VIII me disait : « Le choix des étudiants pour s’installer quelque part relève autant de la proximité des collections que de l’ambiance de l’espace. Preuve en est la circulation des ouvrages et les mouvements qu’elle induit malheureusement lorsqu’il s’agit de les ranger d’un bout à l’autre ! Les communautés et les identités transgressent largement les regroupements documentaires et évoluent plutôt en fonction de l’architecture. »
Le même constat peut être fait à Troyes. L’organisation en plan des espaces de consultation à l’étage de la médiathèque est beaucoup plus simple qu’à Saint-Denis, mais par la « disparité » des façades et du vélum, chaque lieu ne ressemble à aucun autre. Le repérage est facile et on ressent que chaque lecteur ou groupe de lecteurs a choisi son lieu et sa posture autant qu’une collection.
– L’ampleur : beaucoup de surface et beaucoup de volume donnent du champ entre deux groupes, deux personnes, un groupe et une personne, deux rayonnages, deux ordinateurs. Le calme intérieur que cherche instinctivement toute personne pénétrant dans une bibliothèque est accessible. Le travail du personnel et le rangement des ouvrages dans les rayons sont facilités.
– La flexibilité : si, il y a quelques années, le support documentaire caractérisait l’espace (salle informatique, salle de référence, salle audiovisuelle, salle des périodiques…), ce n’est plus (toujours) vrai. Il en résulte la nécessité que tous les espaces puissent disposer des mêmes conditions d’accès à tous les types de supports par une banalisation des connexions informatiques et multimédias et des alimentations électriques (branchement moniteurs ou écouteurs…) pour permettre au sein d’un même espace le métissage des supports. Cependant, le poids respectif des différents supports évolue d’une bibliothèque à l’autre, surtout dans les bibliothèques universitaires.
Les besoins d’espaces propres à chaque support sont bien décrits dans ces deux ouvrages, même si la généralisation des écrans plats a réduit l’impact physique de l’informatique dans la bibliothèque. « La part d’ombre » des espaces que requiert l’usage élargi des écrans dans les médiathèques doit s’exprimer dans les programmes pour qu’elle puisse apparaître dans les projets architecturaux. L’intervention du personnel pour le fonctionnement des « nouveaux supports » n’est pas non plus comparable à celle du personnel en charge des livres et autres documents papier et devrait être précisée.
L’analyse des flux, illustrée de multiples organigrammes, qui caractérise les programmes de bibliothèque est utile. Mais elle peut, lorsqu’elle est l’unique élément de description des pratiques des espaces, aboutir au sordide et faire ressembler la bibliothèque à un supermarché 7. Les usagers entrent, montent, prennent des livres, s’assoient, se lèvent, descendent. Le personnel pousse des chariots de livres. Ce sont des flux et toujours des flux. On ne pense pas assez aux visiteurs et au personnel lisant, travaillant, parlant, riant, voyant, regardant… La qualité intrinsèque de chaque espace et de chaque instant (demander ou donner un renseignement et entendre la réponse, lire le titre et prendre un livre sur un rayon, s’asseoir à un endroit choisi, faire une photocopie dans un lieu insonorisé, attendre au prêt sans être bousculé…) apporte le confort aux visiteurs et au personnel, autant que la fluidité.
Pour les professionnels des bibliothèques, il est sans doute plus difficile de formaliser cette demande et aussi d’en juger lors des analyses des concours d’architecture.
Programmation détaillée :
la définition du confort des espaces
Dans un programme, le confort attendu des espaces peut être décrit dans un texte intégré au programme général, mais c’est finalement la précision et l’exhaustivité des exigences techniques qui permettent d’atteindre les conditions de confort requises. Il y a un lien fort entre programme général et programme détaillé ou technique. Les fiches techniques ne doivent pas donner des informations banalisées ou normatives, mais s’attacher à la spécificité de chaque projet par une approche très concrète des objectifs. Le caractère quelquefois rébarbatif des fiches techniques ne doit pas repousser les chefs de projet. Ils doivent au contraire s’approprier leur contenu au fur et à mesure de leur élaboration pour pouvoir revendiquer à tous les moments de la réalisation les prestations espérées.
Cela pose la question de la dissociation ou non de la rédaction du programme général et du programme détaillé (ou programme technique) dans le temps. On a longtemps préconisé un décrochement dans le temps entre ces deux programmes. Le premier permettait aux équipes d’architectes de faire une esquisse, voir un avant-projet sommaire (APS). Le second, établi en connaissance de l’esquisse ou de l’APS, pouvait développer tel ou tel aspect technique pour la suite des études (avant-projet détaillé, projet, dossier de consultation des entreprises) selon la particularité du projet.
Le principal avantage de cette organisation est l’interactivité entre programme et projet architectural ; dans le cas d’opérations de réhabilitation, il est quasiment obligatoire d’y avoir recours.
Le principal inconvénient est que les maîtres d’œuvre s’engagent difficilement financièrement sur leur projet avec un programme limité au programme général. L’absence de précision peut être source de conflit (sur le prix et les prestations) entre le maître d’œuvre, le maître d’ouvrage et les usagers.
La solution la plus intéressante est un panachage des deux. Le programme détaillé est rédigé simultanément au programme général et définit dans tous les domaines un niveau de prestation et de confort. Les fiches techniques rédigées à cette occasion sont des documents « vivants » adaptés au fur et à mesure de l’avancement du projet par le programmiste ou le maître d’ouvrage en concertation avec le maître d’œuvre, dans une logique d’équilibre économique et fonctionnel.
Plusieurs années s’écoulent souvent entre les prémices du préprogramme et l’aboutissement d’un programme de consultation, surtout quand le choix du terrain est intégré à la réflexion programmatique. Il ne faut jamais lâcher prise, surtout pas dans la dernière ligne droite. La programmation de la bibliothèque de Paris VIII a pour cela été exemplaire. Chacun dans son champ de compétences a fait preuve de l’opiniâtreté sans laquelle aucun projet de qualité ne peut émerger. Le projet a été longuement et collectivement mûri. La forte volonté politique reposait sur un schéma fort : « La bibliothèque cœur de l’université est aussi son entrée ; elle enjambera la route nationale entre les deux sites 8. » Les enjeux urbains du bâtiment formant la liaison entre la première génération de l’université et son extension, le prolongement de la ligne de métro no 13 réalisé simultanément à la bibliothèque, sont venus enrichir le fonctionnement spécifique de celle-ci. De même la définition technique a pu évoluer.
Revenons à nos deux ouvrages de référence au sujet des informations techniques qui y sont contenues. Leur actualité est discutable sur certains aspects :
- Le confort acoustique concerne trop exclusivement les espaces de consultation, or le confort de tous les instants est souhaitable.
- L’évolution des techniques informatiques et de mise en place de réseaux a rendu désuètes les informations contenues à ce propos.
- Les prescriptions concernant le chauffage et le contrôle climatique sont fondamentalement justes, mais elles sont antérieures aux réglementations en vigueur (Réglementation thermique 2000 et maintenant 2005) qui ont impliqué un renouvellement complet de l’ingénierie climatique, des modes d’éclairage et de la conception des façades des bâtiments. La RT 2005 est plus exigeante que tous les bibliothécaires réunis !
La médiathèque de Troyes et la bibliothèque de Paris VIII n’appartiennent pas à la même génération à ce propos et, au-delà des différences dues aux écoles conceptuelles de leurs auteurs, on peut aussi constater de l’une à l’autre les énormes progrès de la conception des façades et du traitement de l’air en quelques années.
De plus, les démarches de développement durable et de haute qualité environnementale ne sont pas abordées, or elles constituent aujourd’hui une préoccupation essentielle des collectivités, en prise directe sur le processus de programmation. La hiérarchisation des cibles HQE concerne directement les bibliothèques, notamment la deuxième préoccupation, « créer un environnement intérieur satisfaisant » qui porte sur le confort hygrométrique, visuel, acoustique, olfactif et sur la santé.
La démarche HQE
Pourquoi bâtir le projet avec l’environnement ?
La préoccupation environnementale devient de plus en plus prégnante dans notre société. Elle se traduit par des réglementations environnementales et par une prise de conscience des citoyens, des acteurs économiques et des élus.
Le secteur du bâtiment participe pour une large part à la dégradation de notre environnement et à l’épuisement des ressources de la planète ; il doit contrer cette évolution en tenant compte de ses spécificités : c’est la raison d’être de la démarche de qualité environnementale du bâtiment.
Comment bâtir avec l’environnement ?
La réalisation d’un bâtiment à haute qualité environnementale (HQE) est l’application et le prolongement logique du développement durable à l’acte de construire. C’est une opération technologique, écologique et humaine, dont la réussite est liée à la continuité entre la programmation, la conception, la réalisation et la maintenance ultérieure de l’ouvrage. Il est important de générer cette synergie qui donne une force à la réalisation finale. La recherche des solutions pour satisfaire les exigences énoncées repose sur la mise en commun d’idées, dans un processus itératif associant utilisateurs, gestionnaires du patrimoine et programmistes, architectes, ingénieurs puis entrepreneurs.
La plupart des décisions sur la qualité environnementale d’un bâtiment se prennent au début du projet : en tout premier lieu, lors du choix du site, puis au cours de la définition du programme détaillant les exigences ou les performances attendues, et enfin au cours des étapes de conception, de réalisation puis d’exploitation.
Le chantier constitue un moment privilégié pour montrer les efforts réalisés en vue de réduire les nuisances sur l’environnement et sur l’homme.
La qualité environnementale s’optimise par un raisonnement en coût global investissement-maintenance-exploitation. Dans une logique de développement durable, un maître d’ouvrage aura pour objectif de maintenir dans le temps le niveau initial de performance du bâtiment et des équipements, voire d’intégrer de nouvelles technologies ou matériaux qui réduiront progressivement les impacts environnementaux du bâtiment. En accompagnement des actions menées par les professionnels de la maintenance, un effort soutenu de pédagogie et de sensibilisation du personnel devra être entrepris.
De quoi s’agit-il ?
Il s’agit de construire des bâtiments dans la perspective du développement durable, en améliorant le bilan environnemental énergétique global et en produisant des aménagements et bâtiments respectueux de l’environnement, performants dans leur fonction, sains et confortables pour leurs utilisateurs. Pour cela, la démarche HQE se décline sous la forme de 14 objectifs ou cibles. Pour chaque cible, il y a trois niveaux de performance possibles :
B : basique ou bonnes pratiques. Les cibles retenues devront satisfaire au minimum les exigences réglementaires et normatives, ou les règles de l’art en la matière.
P : performant. Les cibles retenues devront répondre à des exigences supérieures aux exigences réglementaires, et apporter des solutions environnementales reconnues.
TP : très performant. Les cibles retenues devront répondre à des exigences HQE très performantes et novatrices. Elles devront faire l’objet de recherches approfondies qui devront être justifiées.
Il n’est pas possible de traiter à un niveau très approfondi tous les objectifs de qualité environnementale. Le maître d’ouvrage doit afficher ses priorités en définissant ce que l’on appelle un « profil environnemental cible » du projet. Il est défini à partir des réflexions menées au cours des travaux et réunions préparatoires à l’élaboration du programme, de la politique environnementale d’une ville, des spécificités du site et du programme et des enjeux environnementaux locaux.
La consultation d’un large panel de personnes intéressées permet de préciser le profil d’une opération donnée.
Ces 14 cibles sont en interaction et ne peuvent être traitées séparément. La démarche HQE vise donc une approche globale (systémique) dans la conception et la réalisation du bâtiment, afin de prendre en compte et gérer ces interactions de façon optimale.
Cette démarche s’applique à toutes les phases de la vie du bâtiment : conception, construction, exploitation, adaptations, démolition, et concerne tous les acteurs de l’acte de construire. Pour mettre en œuvre cette démarche, on s’attachera, par exemple, à utiliser des produits inoffensifs pour l’homme, recyclables et/ou recyclés, peu consommateurs de matières premières et peu destructeurs de l’environnement ; des techniques « écologiques » qui ne risquent pas de générer d’effets secondaires indésirables pour l’homme ou la planète.
On cherchera à limiter les consommations d’énergie fossile et les émissions nocives associées ainsi que les consommations d’eau potable. On prendra les mesures adéquates pour suivre et maintenir la qualité environnementale de la construction pendant sa durée de vie. Le cas échéant, on procédera à la « déconstruction » sélective permettant de réintroduire les produits issus de la démolition dans des filières de recyclage. Enfin, le chantier sera « propre », à faibles nuisances pour le voisinage et pour l’environnement (tri des déchets de chantier, diminution des pollutions…).
Démarche coût global
Une démarche en coût global est nécessaire pour aborder la haute qualité environnementale sur un projet en toute sérénité. Il n’est pas inutile de rappeler qu’un bâtiment en fin de vie a coûté beaucoup plus cher en maintenance et exploitation qu’en investissement initial. Un surcoût de travaux à l’investissement peut être observé, mais il s’ensuit de réelles économies d’exploitation, de maintenance et d’entretien pendant toute la durée de vie du bâtiment.
La difficulté est souvent de définir la période à prendre en compte dans le calcul (horizon économique) pour obtenir le résultat le plus pertinent. Dans le cadre des études du projet, en phase APD (avant-projet détaillé), une telle étude en coût global devra être menée par la maîtrise d’œuvre sur la base notamment d’estimations prévisionnelles de consommations énergétiques basées sur des simulations fiables et des hypothèses validées avec le maître d’ouvrage.
La plupart des décisions sur la qualité environnementale d’un bâtiment se prennent au début du projet de construction : en tout premier lieu, lors du choix du site, puis au cours de la définition du programme détaillant les exigences ou les performances attendues, et enfin au cours des étapes de conception, de réalisation puis d’exploitation.
Le chantier constitue un moment privilégié pour montrer les efforts réalisés en vue de réduire les nuisances sur l’environnement et sur l’homme.
I. C.
Derniers points abordés, le cadre institutionnel des opérations et le déroulement opérationnel des projets. L’évolution des procédures administratives a rendu obsolètes les chapitres qui concernent le déroulement opérationnel. L’instabilité du code des marchés publics depuis quelques années rend vaine une tentative de mise à jour de ces informations.
Les deux mines d’informations Construire une bibliothèque universitaire et Bibliothèques dans la cité se manient toujours avec intérêt. Ce sont des ressources copieuses qui montrent cependant par leurs manques la rapidité de l’évolution des préoccupations pour la construction d’une bibliothèque ou d’une médiathèque.
Nous n’avons pas parlé des réhabilitations et extensions qui constituent une part importante des opérations à venir (notamment pour la réhabilitation des bâtiments fonctionnalistes des années 1970 et des villes nouvelles) nécessitant une analyse des fonds documentaires.
Elles demandent une approche spécifique et une compétence qui ne peuvent s’acquérir sans un certain plaisir, une affinité élective avec les collections et les bibliothécaires, l’ordre et le classement, le temps et la conservation. Par exemple, la programmation des mois durant de la réorganisation des départements spécialisés de la BnF avec la venue des bibliothèques de l’INHA et de l’École des Chartes a nécessité une réelle opiniâtreté. À cet égard, on se réjouit que le projet de réhabilitation du quadrilatère Richelieu voit enfin le jour 9…