L'avenir du document sonore en bibliothèque

Jacques Delon

La Fête de la musique 2006 en Midi-Pyrénées a été marquée par une journée d’étude sur l’avenir du document sonore en bibliothèque, le 22 juin 2006 à Auch. Organisée par le Centre régional des lettres et le groupe régional de l’Association des bibliothécaires français, cette journée est un jalon dans la réflexion et la collaboration des bibliothécaires musicaux de la région 1. Au programme : deux exposés et une table ronde.

Yves Alix tout d’abord, résolument optimiste, se refuse à tout lamento sur l’avenir du disque et préfère voir dans la date de la Fête de la musique le symbole d’une évolution : développement de l’équipement des ménages, de l’éducation musicale, des pratiques amateurs, de la consommation musicale, du disque avant que celui-ci ne connaisse la crise. D’où une situation actuelle étrange, et où le marché potentiel est croissant mais où les transferts technologiques et la restructuration de l’industrie provoquent une crise.

L’analyse des modes de consommation (Gilles Pierret, « Les publics naturels de la documentation musicale ») montre paradoxalement une place croissante et une diversification des documents et une difficulté à satisfaire des publics multiformes, où l’offre et la demande ne sont plus en adéquation.

En bibliothèque, lorsque l’on regarde la situation des documents sonores avant les années 1950, seuls quelques établissements spécialisés ont une collection patrimoniale de disques. Avec l’apparition du microsillon va se développer chez certains bibliothécaires un souci d’accessibilité, de mise à disposition de ce nouveau support notamment à Saint-Dié, avec la mise en place par Albert Ronsin de la première collection en prêt. Ce développement lent – 170 établissements prêteurs en 1980 – va s’accélérer sous l’action volontariste et grâce aux moyens du ministère Lang. La discothèque de prêt est présente dans 500 médiathèques à la fin des années 1980 et dans 1000 à la fin des années 1990.

Mais le modèle reste figé ; focalisée sur le disque, la pratique se fonde sur le prêt à domicile. Les salles d’animation et autres auditoriums, souvent présents dans les projets, ont disparu alors que l’offre devrait s’orienter vers l’animation et la diversification des collections.

L’usage du support disque connaît quant à lui une évolution qui peut inquiéter.  Au fil de l’évolution technologique et de l’installation massive d’Internet haut débit, la copie s’est amplifiée et est devenue parfaite. D’où aggravation de la crise, fragilisation, marginalisation de l’objet éditorial alors même que le disque reste un support standardisé, peu cher à fabriquer et que le public aime à collectionner.

À l’avenir les bibliothèques-discothèques traverseront cette crise par un rôle de conservation et de découverte ; une offre culturelle plus riche et différenciée que l’offre courante sera présentée grâce à la numérisation des différents supports. Les expériences de Dastum en Bretagne et de la Bibliothèque municipale à vocation régionale (BMVR) de Troyes témoignent de l’importance de leur rôle de diffusion. Enfin, les bibliothèques « lieux du lien » chères à Michel Melot sont appelées à redevenir des lieux culturels alliant espaces, collections et animations. Elles sortent donc du modèle discothèque publique pour un nouveau modèle fondé, non plus sur le support mais sur le contenu.

Jean Larrieu, professeur de droit à l’université de Toulouse I, a su rendre proche la matière juridique du droit d’auteur. Dans un contexte de plus en plus dense, droits patrimoniaux comme droits moraux s’affirment avec force. On ne peut reproduire une œuvre, fut-elle numérique, sans entrer dans le cadre du droit patrimonial. Modifier une œuvre même si l’on en est propriétaire reste limité par le droit moral. La loi Dadvsi (loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information) 2 doit confirmer certaines exceptions au droit d’auteur, comme la reproduction en bibliothèque, mais pas la représentation : cela exclut toute possibilité de diffusion de l’œuvre sur Internet. Pour les œuvres dites libres, s’il n’y a pas d’écrit d’appartenance, à Creative Commons par exemple, les bibliothèques n’ont pas la preuve de la volonté des auteurs ou des interprètes à céder leur droit. En droit, tout ce qui n’est pas expressément cédé reste à l’auteur.

Outre les exposés, une table ronde a rassemblé des intervenants très complémentaires. Dominique Lahary a imprégné son auditoire d’une vision résolument progressiste par des touches tour à tour historiques, économiques ou philosophiques. André Nicolas a évoqué les analyses des mutations de la filière musicale – production, diffusion, consommation – réalisées par l’Observatoire de la musique 3.

Louis Burle, conservateur à la BMVR de Troyes, a présenté une expérience tout à fait novatrice de diffusion musicale dans le cadre d’une plateforme multimédia 4 liée aux services en ligne de la BMVR 5.

Nicolas Bordes, de la médiathèque associative Les Musicophages 6 de Toulouse a présenté le rôle de médiation musicale assuré par sa structure tout à la fois (mais sans confusion) : discothèque, fanzinothèque, centre culturel rock, ECM (espace culture multimédia), organisateur de soirées thématiques et tremplin pour les musiciens locaux.

Au final une journée extrêmement riche dont le titre est apparu faible au regard des thématiques abordées.