Droit du e-learning
Marianne Follet
Si le e-learning ne se réduit pas à une simple mise en ligne de supports de cours papier mais consiste réellement à explorer de nouvelles possibilités d’apprentissage, alors ce défi technique et pédagogique devient aussi un défi… juridique, où les questions liées au droit se posent de manière nouvelle et inédite. C’est ce que Yann Tanguy s’est appliqué à montrer lors du discours d’ouverture du colloque « Droit du e-learning 1 » qui s’est tenu à Lyon le 23 juin 2006 sous l’égide du Centre droit et nouvelles technologies, en partenariat avec le pôle universitaire de Lyon.
Fort de sa double expérience de professeur de droit et de directeur de l’université numérique juridique francophone, il a tenté de recenser les principales questions que se posent toutes les universités qui développent un enseignement numérique : comment appliquer le droit d’auteur à une œuvre dématérialisée, reposant sur les interventions étroitement imbriquées d’un créateur intellectuel et d’un « facilitateur » ou « scénariseur » ? Le droit d’auteur est-il équivalent pour tous les acteurs quel que soit leur statut, fonctionnaires ou non, enseignants-chercheurs ou personnel Iatos (ingénieurs, administratifs, techniciens, ouvriers et de service), intervenants extérieurs ou prestataires ? Comment résoudre le conflit latent entre l’auteur, qui en tant que tel jouit de ses prérogatives, et son employeur qu’est l’État, qui n’entend pas rémunérer deux fois une même prestation ? Quels sont les modèles économiques qui peuvent régir l’enseignement à distance ? Comment tarifer les services ? Enfin, comment concilier la collecte de données personnelles nécessaires à ces formes d’enseignement et les exigences de la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés) ?
L’enseignant, entre droit d’auteur et service statutaire
Les différents intervenants se sont appliqués à répondre à ces questions, à commencer par Christian Le Stanc, qui a introduit la notion de droit d’auteur : son contenu, ses limites, ses effets, les modalités de cession, les sanctions…
Michel Dupuis a replacé la notion dans le contexte spécifique de l’enseignement supérieur. Il a d’abord souligné que le doute avait longtemps plané sur la légitimité d’un enseignant fonctionnaire à revendiquer ses prérogatives d’auteur dans le contexte du e-learning, puisque les textes stipulent, d’une part que le service statutaire doit s’accomplir « en présence d’étudiants 2 », et d’autre part que les créations pédagogiques réalisées dans le cadre statutaire de la mission de l’enseignant ne peuvent ouvrir aucun droit au profit de son auteur 3. Resituant ensuite son propos dans l’actualité brûlante du projet de loi Dadvsi 4, en cours de discussion au moment de ce colloque, il a montré que ce texte semblait finalement assurer la consécration de la qualité d’auteur de l’enseignant-chercheur, dont les prérogatives sont donc désormais de deux ordres : la rémunération de la prestation et la cession de droit, qui doivent être prises en compte séparément, même si l’on peut envisager une cession à titre gratuit.
Jean-Pascal Bonhotal, sous-directeur des affaires juridiques de l’enseignement supérieur et de la recherche, a présenté quant à lui le point de vue de l’administration centrale. Tout en soulignant, lui aussi, l’inadéquation de la réglementation actuelle vis-à-vis de l’enseignement à distance, il a défendu l’idée d’une intégration du e-learning dans les obligations de services des enseignants : puisque la préparation des cours et l’élaboration des supports entrent dans ce cadre, la production des cours en ligne utilisés pour l’enseignement à distance n’en constitue-t-elle pas le prolongement ? Dans le cas contraire, comment tracer une ligne de partage entre la formation ouverte et à distance et les supports de cours qui viennent en appui de l’enseignement présentiel ?
Après ce rappel des « missions de service public » dévolues aux enseignants, il a tenté de dresser un panorama des solutions empiriques adoptées par les établissements qui entendent néanmoins rémunérer les activités de e-learning : décharge de services ou paiement d’heures complémentaires (pratiques irrégulières puisque le service de l’enseignant doit s’effectuer en « face-à-face »), prime de responsabilité pédagogique, contrat de cession de droit d’auteur, heures supplémentaires dans le cadre de la formation continue… Tout ceci en attendant que l’État clarifie sa position, ce que le pacte pour la recherche permet peut-être d’envisager, puisqu’il vise à promouvoir une diversification des activités enseignantes, notamment en lien avec les nouvelles technologies.
Le droit de l’Internet
Quittant le champ du droit d’auteur, Yann Bergheaud s’est attaché à dévoiler les arcanes du droit de l’Internet, en commençant par tous les aspects liés à la responsabilité éditoriale : celle du fournisseur d’information comme celle de l’hébergeur. À l’exception de la messagerie électronique – qui relève de la correspondance privée – tout support de publication est concerné par cette responsabilité éditoriale. Il a ensuite insisté sur la protection des données personnelles dans le cadre des environnements numériques de travail, rappelant la nécessité de faire des déclarations auprès de la Cnil et de limiter la durée de conservation des données personnelles.
Édition électronique et e-learning
Guillaume Deroubaix de LexisNexis, a défendu l’idée d’un rapprochement entre e-learning et édition numérique. Il a donc invité les universités développant des projets d’enseignement à distance à s’appuyer sur les contenus éditoriaux, qui sont, selon lui, les seuls contenus de qualité dont les sources et la validité sont vérifiées. S’érigeant contre les tenants de l’exception pédagogique, il a prôné au contraire des partenariats négociés entre l’édition et l’enseignement supérieur, afin de préserver les intérêts de tous les acteurs de la communauté scientifique. Pour conclure que les universités ne sauraient s’improviser éditeurs de ressources pédagogiques numériques, même si les éditeurs n’excluent pas, en revanche, d’investir le champ de la formation continue à distance…
Loin de se cantonner à un débat entre spécialistes, cette journée a donc permis de confronter différents points de vue sur des questions primordiales auxquelles les enseignants et les acteurs des Tice (technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement) sont confrontés au quotidien dans toutes les universités où l’on pratique des formes d’enseignement innovantes, peu ou prou à distance. Même si la journée n’a pas apporté de réponse univoque, comme Hervé Croze l’a souligné dans sa synthèse finale, elle a permis de dégager des pistes de réflexion… Car si l’enseignement à distance ne suscite pas, pour l’instant, énormément de vocations au sein du corps enseignant, les différentes réponses apportées à ces questions juridiques et statutaires constituent sans aucun doute des leviers importants !