Le développement des bibliothèques publiques en Colombie

Martine Poulain

À la fin du mois d’avril dernier se tenait à Bogota le 7e congrès national de la lecture, en même temps que le 4e congrès colombo-français des bibliothèques.

Ce développement de relations colombo-françaises autour du livre et des bibliothèques a donné lieu à plusieurs voyages de bibliothécaires français à la découverte des bibliothèques publiques colombiennes 1 et, très récemment, à la présence d’une délégation colombienne au congrès du centenaire de l’Association des bibliothécaires français. Cette coopération renforcée est due à Marc Sagaert, attaché culturel à l’ambassade de France en Colombie 2. L’occasion, pour le BBF, d’évoquer le travail remarquable fait depuis quelques années en Colombie pour le développement des bibliothèques publiques.

Une bibliothèque par commune

Le ministère de la Culture colombien a fait du développement de la lecture l’une de ses trois priorités, avec celui de la musique et plus globalement, du partage de la culture. Deux femmes, depuis quatre ans, sont les inlassables et admirables porteuses de ce développement : Carmen Bravo, directrice de l’association Fundo Lectura, et Mary Gilardo, directrice de la Bibliothèque nationale colombienne. Ce plan de développement est simple, tout au moins sur le papier : créer dans les 1 098 communes colombiennes une bibliothèque dotée de 2 500 livres.

2 500 livres, c’est bien peu, diront certains ! Mais pas en Colombie, où le livre, bien qu’abondant, dans la mesure où toute l’édition en langue espagnole est peu ou prou disponible, reste un produit cher et inaccessible aux bourses de la majorité de la population. L’attribution de 2 500 livres est, comme l’ont fait tous les pays qui ont développé les bibliothèques, assortie de conditions : la municipalité doit affecter un lieu à la bibliothèque et recruter un bibliothécaire. À ce jour, 53 % des communes, soit 583, se sont dotées d’une bibliothèque ; d’autres encore devraient rejoindre le mouvement d’ici la fin 2006.

Si une loi de 1993 décrétait obligatoire la présence d’une bibliothèque publique dans chaque commune, si une autre loi de 1997 encourageait à la coopération entre les différents échelons de responsabilité publique (commune, département, État) pour le développement de la culture, ce n’est qu’en 2001 que le ministère de la Culture colombien met au point un « Plan national pour la culture 2001-2010 », avec un important volet sur la lecture intitulé « Plan national lecture et bibliothèques ». Ce plan, outre l’affectation de cette collection de base aux villes qui font de la lecture une priorité de leur politique et recrutent un bibliothécaire, propose un soutien qui prend diverses formes : formation, contribution à l’organisation de réseaux départementaux, aide au développement d’un système de gestion informatique, par exemple. Le tout soutenu aussi par une campagne de communication valorisant la lecture : « Leer Libera 2006 », et avec l’appui de quelques firmes du secteur privé. Établissement de normes, renforcement institutionnel des bibliothèques, financement pluriannuel, participation sociale élargie sont les idées directrices qui veulent faire de cette mise en place de bibliothèques non un soutien ponctuel, mais un point de non-retour, comme le rappelle Mary Gilardo.

1 000 manières de lire

De son côté, le ministère de l’Éducation a lancé, avec le soutien du Cerdal, association dédiée au développement de la lecture en Amérique latine, le plan « 1 000 manières de lire », complémentaire du plan du ministère de la Culture. Il s’agit d’accueillir dans ces nouvelles bibliothèques les enfants des écoles et leurs professeurs, pour leur apprendre à se servir de toutes les ressources d’une bibliothèque.

C’est ainsi que 850 bibliothécaires enthousiastes, venus de toutes les régions de Colombie, se sont retrouvés pendant quatre jours pour débattre avec passion, parfois avec angoisse, dans un pays en proie depuis vingt ans à une guerre civile qui n’épargne évidemment ni les bibliothèques, ni les bibliothécaires ! Des oreilles françaises ne se sentent en aucune façon en terre étrangère à l’écoute de ces échanges, comme l’a montré l’assistance venue écouter nos collègues colombiennes au congrès de l’ABF 3. Les questions touchant au développement de la lecture publique sont en effet les mêmes sur tous les continents : comment intéresser le public le plus large à la lecture, comment stabiliser et rendre pérenne la fréquentation de la bibliothèque, quelles animations y proposer, comment faire « sortir de ses murs » la bibliothèque, comment la faire réellement reconnaître par les élus, quelle formation, mais aussi quelle stabilité de l’emploi pour les bibliothécaires, ces deux derniers points restant encore très problématiques en Colombie ?

Funda Lectura, association à laquelle le ministère de la Culture a confié, avec la Bibliothèque nationale, la mise en place de ces 1 000 bibliothèques, assume cette immense tâche avec une énergie, une subtilité et un sens stratégique remarquables. Cet accompagnement passe aussi par la publication d’une revue, Nuevas hojas de lectura, excellent ensemble d’analyses bibliographiques et de réflexions pratiques, ainsi que de plusieurs ouvrages professionnels ou sociologiques, eux aussi d’excellente qualité : Las bibliotecas cuentas, Sur la place de l’oral et du conte en bibliothèque, ou encore Leer en familia en Colombia ou Leamos con nuestros hijos. Guia para padres con ninos de 0 a 6 años, l’une des convictions de tous ces programmes étant que la lecture ne peut se développer que soutenue par un contexte familial et social favorable.

Et les résultats sont là. À côté de ces bibliothèques en émergence, aux collections et à l’offre encore à renforcer, existent en Colombie des réalisations majeures de grandes bibliothèques publiques à l’architecture audacieuse, massivement fréquentées à Bogota – la bibliothèque Luis Angel Arango, la bibliothèque El Tintal, la bibliothèque Virgilio Berco Vergas – mais aussi à Cali, à Medellin ou ailleurs. On ne peut que souhaiter la poursuite de ce développement, indispensable à la population colombienne, encore trop souvent démunie économiquement et symboliquement.

  1. (retour)↑  Voir Gilles Éboli, « Voyage en Colombie », BIBLIOthèque(s), revue de l’Association des bibliothécaires français, no 22, octobre 2005.
  2. (retour)↑  De ce compagnonnage franco-colombien est issu un livre : Emoción, risa y convicción. Émotion, rire et conviction. Quatre ans de coopération franco-colombienne en bibliothèque, publié par le ministère de la Culture colombien et l’ambassade France, 2006 (consultable à la Bibliothèque de l’Enssib).
  3. (retour)↑  Voir les actes du congrès sur le site de l’Abf : http://www.abf.asso.fr/article.php3?id_article=674