Lutte contre l'illettrisme à la médiathèque d'Albertville

Joëlle Guidez

La médiathèque d’Albertville a, depuis son origine en 1993, coordonné sur son territoire un réseau, Lever l’encre, afin de mettre en synergie des initiatives isolées d’approche du public illettré.

Histoire d’un réseau

Ce réseau est constitué de partenaires institutionnels comme le Territoire de développement social (conseil général de Savoie), le Centre communal d’action sociale de la Ville, la Direction du travail et de la formation professionnelle, le Greta (Groupement d’établissements pour la formation continue), de partenaires locaux comme le centre social AQS (Association Quartiers Sud), et d’associations caritatives. Il s’était donné pour mission de repérer les publics, de les orienter vers des solutions adaptées à leurs besoins et de les accompagner dans une démarche d’apprentissage ou même de réapprentissage de la langue et des pratiques de lecture et d’écriture. Des personnes volontaires ont bénéficié de formations spécifiques dispensées par le Centre ressources illettrisme de Savoie (CRI 73) et accompagné des apprenants dans leur démarche. Les « cours » se passaient dans les locaux de la médiathèque, au milieu des livres, avec des actions particulières, pendant le Printemps des poètes, par exemple.

Le réseau a peu à peu perdu de son importance et de son efficacité, pour des raisons liées à des changements de personnes impliquées. Un appel à projets a redéfini ses axes et ses orientations en lui donnant une approche plus culturelle. Le réseau, piloté alors par le centre social, s’est doté d’une chargée de mission, rattachée au conseil général de Savoie.

Parallèlement, depuis 2003, dans son projet de développement de la lecture, la médiathèque a repris l’initiative de sortir de ses murs : travail dans des quartiers éloignés avec des enseignants de groupes scolaires organisés en REP (réseau d’éducation prioritaire), des associations, des centres de la petite enfance ; lecture, l’été, au pied des immeubles et dans les parcs publics. Il faut dire qu’Albertville étant bâtie tout en longueur, la médiathèque se trouve au nord, dans le centre ville, et assez éloignée des quartiers sud où vivent les populations les plus en difficulté.

Depuis le 1er janvier 2006, la médiathèque est intercommunale et le réseau a été repris dans ses orientations par la communauté de communes (Co.RAL). Le réseau est devenu, pour une période d’essai de deux ans, un service de la médiathèque. Une chargée de mission est en poste pour 60 % de temps plein. Cette solution a été choisie pour être en cohérence avec la politique de développement de la lecture mise en place, et le travail sur un territoire élargi. Un soutien du Fonds social européen a permis ce montage financier ainsi qu’une aide de la région et du conseil général. La voie culturelle est délibérément privilégiée.

Le territoire d’intervention dépasse même le territoire de Co.RAL puisqu’il inclut aussi les communes d’Arlysère (contrat de pays), soit 39 communes ou encore 53 800 habitants. Dix pour cent de cette population sont en situation d’illettrisme (données de l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme) ou en difficulté d’accès aux savoirs de base : lire, écrire, compter, appréhender de façon efficace une situation liée à la vie quotidienne.

Un nouveau service dans le quotidien de la médiathèque

La lutte contre l’illettrisme entre dans le projet de service de la médiathèque et devient l’un des axes de travail au même titre que le travail avec la petite enfance ou la lecture des personnes âgées. Quatre agents de la médiathèque ont suivi une session de formation sur deux journées : repérage, accueil des publics et connaissance du réseau. Une assistante de conservation est référente au sein de l’équipe. Elle travaille en étroite collaboration avec la chargée de mission.

Une politique d’acquisition adaptée est mise en œuvre : méthodes de langues FLE (français langue étrangère) et français langue d’origine, livres bilingues pour les étrangers primo-arrivants et alphabétisés dans leur langue, livres de grammaire et de vocabulaire en français, mais aussi livres de l’édition jeunesse particulièrement pertinents pour une première approche de la lecture. L’assistante de conservation est en relation avec les formateurs et est chargée d’adapter les acquisitions aux besoins exprimés. Une bibliothèque de livres professionnels abordant ces questions complète la collection.

Une politique tarifaire pour les inscriptions contribue au projet. Les bénévoles s’inscrivent gratuitement à la médiathèque avec une possibilité d’emprunt de quinze documents pour un mois, l’idée étant d’introduire des livres dans les actions de formation. Ils peuvent ainsi également emprunter des documents pour les apprenants dont ils ont la charge. Des tarifs individuels attractifs ont été votés pour tous les habitants de la communauté de communes, avec la gratuité pour tous les jeunes jusqu’à 18 ans.

Les demandeurs de formation sont accueillis dans un bureau dédié à cet effet au sein de la médiathèque. Leurs besoins sont évalués et ils peuvent être soit dirigés vers des structures existantes, soit vers des personnes-relais formatrices bénévoles.

Des rendez-vous sont pris entre formateurs et petits groupes, pour des actions spécifiques : projection de films documentaires avec débats et présentation de livres sur un thème (pour la pratique de l’oralité), écoute de contes, animation d’ateliers dans l’espace multimédia. Un poste est réservé à l’utilisation des logiciels de traitement de texte. Des logiciels sont à la disposition des formateurs et des apprenants pour une aide à l’apprentissage.

Régulièrement, au minimum une fois l’an, des visites avec découvertes des ressources documentaires seront organisées pour les travailleurs sociaux et les formateurs afin d’enrichir leur pratique et de positionner la médiathèque au cœur de leur programme

Des actions culturelles sont également programmées. En lien avec le théâtre des Asphodèles à Lyon, des ateliers de la Caravane des 10 mots (mots de la langue française sélectionnés par la Délégation à la langue française du ministère de la Culture) sont initiés avec des artistes professionnels : écriture, conte et arts plastiques, percussions corporelles. En 2006, la Caravane a débuté par une mise en situation des médiateurs (assistants sociaux, éducateurs, bibliothécaires) avec un atelier conte et une réflexion conduite par un chercheur de l’Observatoire des politiques culturelles sur l’apport des pratiques culturelles dans une situation d’apprentissage. Six ateliers d’expression artistiques se sont soldés par une production de nouvelles policières, de contes accompagnés de théâtre d’ombres montrés et dits lors d’une fête de restitution à la médiathèque. Les ateliers étaient décentralisés sur le territoire de la communauté de communes, et métissés quant à la composition des participants (habitués de la médiathèque et adultes en situation d’illettrisme). La richesse de cette mixité a été très vite « palpable » et la création s’en est trouvée enrichie.

Une image d’ouverture

Ces premières dispositions donnent à la médiathèque une image d’ouverture. L’enjeu est d’importance, car il faudra, au-delà des deux années probatoires, démontrer tout l’intérêt de la démarche, avec à la clé une prise en charge financière par la communauté de communes. Le réseau a pour but essentiel de fédérer les actions de lutte contre l’illettrisme. La médiathèque est devenue le centre ressources et l’animateur de ce réseau.

Il est beaucoup trop tôt pour évaluer le dispositif. Certains apprenants viennent déjà, de leur propre gré, lire, feuilleter les revues disponibles au kiosque de la médiathèque : premier pas d’appropriation d’un équipement culturel. Pour mémoire, la médiathèque étant très récente dans le paysage albertvillois, cet équipement, de par son architecture même, peut faire peur. Si les enfants l’ont adopté, beaucoup d’adultes n’en connaissent pas le fonctionnement ni ne soupçonnent la richesse et la diversité des fonds. Le principal frein à la fréquentation est sans nul doute l’attrait indéniable de la montagne si proche !