La bibliothèque entre physique et virtuel

Objet complexe de sens et objet d'usages complexes

Lise Herzhaft

Cécile Cassafières

La troisième journée d’étude organisée le 11 mai dernier par le groupe de recherche Document numérique et usages 1 de l’université Paris VIII a abordé la bibliothèque comme un « objet porteur de sens » (selon Joëlle Le Marec) ou un « espace plurivoque » (selon  Anne-Marie Bertrand).

L’expérience du Visual Catalog

En équilibrant les approches concrètes et théoriques, Fabrice Papy, enseignant-chercheur à Paris VIII et organisateur de la journée, a ouvert la séance en présentant le travail de Sophie Chauvin, docteur en sciences de l’information : le Visual Catalog 2 de la bibliothèque, qui offre une connaissance opérationnelle et visuelle d’un catalogue.

Il permet aux lecteurs d’interroger l’Opac, d’explorer les fonds et de visualiser la localisation des ouvrages. L’usager peut par exemple rechercher des documents par des mots du titre, des noms d’auteur, ou des vedettes-matières, et suivre simultanément les indices de la classification décimale universelle (CDU), les vedettes-matières associées aux documents donnés en réponse à une requête, avec des possibilités de rebond ; il localise les documents dans les salles de la bibliothèque, sur des schémas dynamiques.

Fabrice Papy a ensuite présenté sa réflexion sur l’objet conceptuel bibliothèque pour en améliorer les usages afin de « proposer des ouvrages pour des gens qui ne savent pas ce qu’ils cherchent » (Richard Roy). « Lieu de recherche d’informations, dédié au travail intellectuel, à la lecture », son organisation est souvent incomprise ou inconnue. S’appuyant sur la constatation que chaque « lecteur » a sa propre compréhension de la bibliothèque, le Visual Catalog a été réalisé et mis à la disposition des étudiants depuis octobre 2004, mais reste avant tout un objet d’expérimentation.

L’intervention de Viviane Folcher, maître de conférences en ergonomie et psychologie dans l’équipe C3U à Paris VIII, présentait les résultats d’une enquête menée sur un échantillon expérimental composé d’étudiants de master première année en sciences humaines et sociales, observant les différences de perception des utilisateurs entre le catalogue Absys du service commun de la documentation (SCD) et le Visual Catalog. Des formulaires d’évaluation ont été remplis par les utilisateurs puis analysés par des enseignants psychologues et ergonomistes. L’importance de la subjectivité dans la perception d’un catalogue et le faible niveau de compréhension de son fonctionnement – et, par conséquent, de son utilité – ressortent nettement des résultats.

Certaines questions permettaient la verbalisation de leur ressenti par les étudiants interrogés. Elles ont montré l’incompréhension générale des fonctions d’aide à la recherche : listes Rameau ou CDU, graphiques de localisation, etc. Le catalogue Absys, plus familier, est perçu comme moins complet mais moins complexe que le Visual Catalog. De manière générale, peu d’utilisateurs comprennent les possibilités offertes par chacun des deux catalogues, mais ils en décèlent les lacunes.

L’étude devra être étendue et diversifiée, mais ces premières observations vont déjà faire évoluer le Visual Catalog, outil de recherche complémentaire du catalogue traditionnel.

L’intervention de Laure Léger, doctorante en psychologie cognitive au LIP6, laboratoire informatique de Paris VI, intitulée « Étude de la recherche d’informations par l’analyse des mouvements oculaires », a montré comment la discrimination visuelle entre les mots, polices et couleurs optimise la recherche d’informations. À partir d’expériences chronométrées d’observation des mouvements oculaires pour découvrir un mot dans une liste, les difficultés de recherche sont décelées. Le repérage d’une couleur ou d’une catégorie sémantique est plus rapide et fiable que celui d’une mise en forme. De nombreuses pistes s’ouvrent pour améliorer l’ergonomie des interfaces.

Faciliter l’accès aux ressources de la bibliothèque

L’après-midi a regroupé les interventions de professionnels des bibliothèques.

Créée en 1992, l’université d’Artois, multidisciplinaire, est implantée sur sept sites. Le SCD a eu dès cette date pour objectif de regrouper dans ses locaux toute la documentation de l’université. La réflexion sur la réalisation d’un portail documentaire a débuté en 1998, visant la création d’un guichet unique avec annuaire LDAP (Light-weight Directory Access Protocol) pour l’accès à toutes les ressources documentaires, leur valorisation et l’intégration de la documentation dans l’université. Un écran d’accueil unique offre l’accès au catalogue et aux périodiques électroniques avec un moteur de recherche multibases et permet de conserver des fichiers personnels.

Ce portail documentaire (basé sur Incipio d’Archimed) pourra être alimenté par les autres services de l’université, ou leur être proposé comme infrastructure à personnaliser. À l’heure actuelle, il permet des suggestions d’achat, le prêt entre bibliothèques, des réservations ou des demandes d’information aux bibliothécaires en ligne.

Michel Mingam (Bibliothèque nationale de France) a rappelé l’historique du Répertoire d’autorité matière encyclopédique et alphabétique unifié Rameau 3, langage précoordonné complexe, issu d’une traduction, par la bibliothèque de l’université Laval, de la liste de la Bibliothèque du Congrès, ce qui a nécessité de nombreuses adaptations qui conditionnent encore actuellement sa structure et son évolution. Cette liste de plus de 150 000 termes est utilisée en France par la BnF, toutes les bibliothèques universitaires, de nombreuses bibliothèques municipales, ainsi qu’à l’étranger.

Ce répertoire n’est pas entièrement satisfaisant et doit évoluer ; l’accent est mis sur la terminologie, la révision systématique du vocabulaire, domaine par domaine, car les logiciels d’interrogation, de plus en plus performants, s’affranchiront plus facilement de la syntaxe.

L’Opac du SCD Paris XII, présenté par Ewa Nieszkowska, a pour objectif d’accroître la visibilité du contenu du catalogue pour des utilisateurs distants. La bibliothèque est sous-utilisée, de nombreuses recherches échouent à tort. L’originalité de la solution adoptée par le SCD est d’utiliser des listes de vocabulaires spécialisés (Urbamet, MeSH, Rameau…). Les lecteurs naviguent de terme général en terme spécifique dans un univers organisé par un choix hiérarchisé. La difficulté a été de trouver le terme de départ pour la navigation. Un soin particulier a été apporté au choix d’un vocabulaire trivial. Malgré la persistance de difficultés techniques, les utilisateurs inexpérimentés sont satisfaits de cette aide.

Enfin, Frédéric Martin (BnF, département de la bibliothèque numérique) a lancé de façon plaisante le mouvement de libération des données en plaidant pour leurs possibles réutilisation et échange, la création d’un format pivot XML, une ouverture des catalogues vers des interfaces et des alertes personnalisées, la collecte des métadonnées.

Une table ronde des intervenants a fait le bilan de la journée.