Archives ouvertes, archives institutionnelles, revues en ligne
Vers le libre accès aux résultats de la recherche ?
Alia Benharrat
Pour cette deuxième journée d’étude 1 organisée par l’Urfist de Toulouse et le SCD de Toulouse I sur les archives ouvertes et les revues gratuites, les participants inscrits (environ 150) provenaient des métiers de la documentation et des bibliothèques pour 60 % d’entre eux tandis que les 40 % restants étaient des enseignants, chercheurs, doctorants et professionnels du monde de l’édition universitaire. Le séminaire « Communication scientifique et valorisation de la recherche à l’heure d’Internet » leur était tout particulièrement dédié.
La journée du 13 avril 2006 était organisée autour de trois axes : le contexte du mouvement des archives ouvertes, la présentation de quatre réalisations françaises et, au cours d’une table ronde, la question de l’accès universel à l’information scientifique et technique d’un point de vue philosophique, économique et éditorial.
Zoom sur quatre réalisations françaises
Le serveur HAL 2 (Hyperarticle en ligne, CNRS) obéit aux règles suivantes : le dépôt est ouvert à tous les chercheurs rattachés à une institution, française ou non ; il n’y a pas de validation scientifique mais le niveau attendu est celui d’un document soumis à un comité de lecture ; plusieurs versions peuvent être déposées mais aucune ne peut être retirée et seule la dernière version est visible ; le dépôt concerne les documents publiés ou non ; l’inter-opérabilité permet le moissonnage et des présentations personnalisées (par institution en particulier).
L’objectif d’ArchivSic 3 (Archive ouverte en sciences de l’information et de la communication, CNRS) est de rendre visibles tous les travaux en SIC. Cette archive, qui existe depuis 2002, est hébergée sur la plate-forme HAL depuis mars 2006. Elle propose au déposant des statistiques de consultation.
Le projet Cyberthèses 4 s’est développé au départ avec le soutien des instances intergouvernementales de la francophonie mais il a depuis essaimé en Amérique latine. L’intérêt de cette archive des thèses soutenues dans les universités est qu’elle ne souffre d’aucune contestation sur la validité scientifique du document enregistré. Le format XML permet de garantir la pérennité de l’archivage et la possibilité de constituer à terme des corpus réutilisables. Ce n’est pas une archive ouverte car le travail de publication est assuré par une institution et non par l’individu. À terme, il serait intéressant d’accéder librement aux sources, à la preuve, actuellement détenue par le seul chercheur.
Le portail Revel@Nice 5 propose dix revues en sciences humaines et sociales publiées par l’université de Nice. Son avenir serait d’intégrer une plate-forme nationale de revues scientifiques gratuites en ligne et d’essaimer son expertise pour accompagner les revues d’autres institutions.
Les interventions se sont articulées autour d’une idée-force : comment développer l’auto-archivage et quels sont les freins à son développement ? Jean-Claude Guédon (université de Montréal) a présenté un historique des publications scientifiques à travers ses trois révolutions. Au XVIe siècle, le développement de la poste a favorisé celui de la correspondance scientifique en Europe, puis le développement de l’imprimerie a permis celui des échanges de revues entre sociétés savantes. À partir de 1945, les grands éditeurs internationaux ont pris la place qui est désormais la leur grâce à la mise en place du « comité scientifique » qui devenait un système objectif d’évaluation et ne dépendait pas du réseau relationnel. Dans le même temps, les prix des publications ont augmenté. Depuis ces dernières années, le développement de la numérisation simplifie la production de la revue scientifique et sa diffusion. La numérisation permet également de créer de vastes corpus scientifiques qui pourraient être exploités par des algorithmes ou donner lieu à de nouvelles encyclopédies, sur le modèle de Wikipédia par exemple.
Les freins au développement de l’auto-archivage
Les avantages de l’auto-archivage, selon Hélène Bosc (Institut national de la recherche agronomique), sont nombreux, ce qui devrait inciter les institutions à l’adopter. Le document archivé, conçu comme post-print, a déjà été contrôlé. L’auto-archivage permet donc d’améliorer la diffusion et la visibilité d’un chercheur et d’une institution rapidement et sans risque. Les freins à son développement ont été évoqués lors des différentes interventions et durant la table ronde. Ils tournent autour de cinq interrogations.
La question du droit de l’éditeur reste pour Hélène Bosc relativement marginale. Elle a cité la base Romeo 6 qui recense 85 éditeurs et 7 500 titres de périodiques scientifiques : seuls 7 % des éditeurs recensés n’autorisent pas l’auto-archivage et 95 % des publications sont faites sans contrat avec les éditeurs. Beaucoup de chercheurs ignorent s’ils sont autorisés à auto-archiver des articles déjà publiés.
La question du financement et du modèle économique a été traitée par Annaïg Mahé (Urfist, Paris) qui a proposé un panorama des modèles économiques existant pour les revues commerciales : financement par l’auteur et son institution et/ou par le lecteur, cas des bouquets, développement de services associés, revues en libre accès subventionnées par les institutions via l’auteur ou non. Annaïg Mahé suggère pour les revues un modèle qui distingue les frais de soumission et ceux de publication afin de faire baisser les coûts de publication puisque les comités scientifiques évaluent en moyenne huit articles pour en publier un seul.
Au cours de la table ronde, la question du paiement a également été soulevée : l’auto-archivage remet en question le modèle de vente des productions de l’État et permet à celui-ci de ne pas subventionner deux fois les éditeurs commerciaux (lors de la publication et lors de la vente). Il offre également une opportunité pour valoriser la recherche des pays pauvres actuellement désavantagés, ce qui prive la communauté scientifique d’une partie des ressources intellectuelles de la planète. Pour évoluer, il faudrait que les institutions comparent les coûts de l’auto-archivage avec ceux des abonnements aux revues commerciales.
La question du dépôt institutionnel obligatoire lorsque l’institution a financé le travail de recherche a été abordée par Hélène Bosc. Pour J.-C. Guédon, il n’y a actuellement aucune organisation au niveau des universités. Bien souvent, les chercheurs mettent en ligne leurs articles et leurs recherches sur leur propre site Internet. Lors de la table ronde, on a évoqué l’absence de vision stratégique au niveau national (contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays comme en Chine ou au Brésil), les coûts à court terme pour l’État, la notion d’indépendance des chercheurs, l’attitude très différente selon les disciplines face à la pré-publication.
La question du contenu des dépôts en archive libre se pose également. Faut-il tout mettre au risque d’entraîner une « pollution » et une perte de temps pour les lecteurs ou demander aux auteurs, selon des chercheurs interrogés par Muriel Lefebvre (Urfist, Toulouse), d’archiver uniquement les deux ou trois articles qu’ils considèrent être les meilleurs ? Si l’on choisit de numériser le rétrospectif, comment accélérer la procédure de mise en ligne ? Enfin, faut-il garder la forme traditionnelle de la revue ou recourir à de nouvelles présentations ?
Enfin la question de la validation scientifique est perçue comme centrale pour l’avenir du mouvement de l’auto-archivage. Présentant les premiers résultats d’une enquête effectuée auprès de chercheurs de toutes disciplines pour découvrir leur motivation par rapport à l’auto-archivage, Muriel Lefebvre a rappelé les deux systèmes d’évaluation en cours pour les revues commerciales : le système des rapporteurs chargés d’évaluer un contenu avant publication et celui des bases de données de citations qui consiste en une évaluation quantitative après publication. Pour les archives ouvertes, le système d’évaluation n’est pas clairement mis en place. Tant que les revues en ligne et les systèmes d’auto-archivage n’offrent pas cette validation scientifique dont les chercheurs ont fondamentalement besoin, le système ne pourra concurrencer l’édition commerciale. Ce fut l’idée-force de la journée.
La prochaine journée, prévue en novembre 2006, aura pour thème le droit d’auteur et les licences.