Droit d'auteur, loi Dadvsi
Les conséquences pour les bibliothèques
Philippe Bérato
Le 22 juin 2006 se tenait une commission mixte parlementaire chargée d’harmoniser les versions du projet de loi sur le droit d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information (Dadvsi) adoptées en première lecture par l’Assemblée nationale et le Sénat. Deux jours avant, le 20 juin, une journée d’étude organisée par l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (Enssib) réunissait étudiants en formation et professionnels des bibliothèques autour de ce projet de loi.
Dans son introduction de la journée, Anne-Marie Bertrand insiste sur le double aspect du débat parlementaire autour de cette transposition dans le droit français d’une directive européenne : décevant parce que centré sur le téléchargement, rassurant car la question de fond sur l’équilibre entre la sphère publique et la sphère privée a été abordée.
Michèle Battisti (Association des professionnels de l’information et de la documentation – ADBS) remonte à la source de la -Dadvsi, la directive européenne adoptée le 22 mai 2001, destinée à harmoniser le droit d’auteur dans les États membres et à l’adapter à l’environnement numérique pour protéger les titulaires de droit, stimuler le marché et créer des emplois.
Influencée par une intense activité de lobbying, la directive est le résultat de nombreux compromis et tient compte des législations des États membres. Elle permet 21 exceptions au droit d’auteur dont une obligatoire, les copies techniques éphémères. Les 20 exceptions facultatives ne doivent s’appliquer que dans des cas spéciaux, ne doivent pas porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre et ne pas causer un préjudice injustifié aux titulaires de droits.
Du triangle au pentagone ou les avatars de la propriété intellectuelle
Une fois posée la genèse de la Dadvsi, Emmanuel Pierrat, avocat, détaille les enjeux économiques et politiques de la propriété intellectuelle dans l’univers numérique. Pour lui, on est passé d’un triangle de départ où coexistaient depuis deux siècles auteur, éditeur et intérêt général, à un pentagone : auteur, ayant droit, intérêt général, droit du consommateur, industriel.
Les véritables auteurs ont disparu au profit du pôle éditeur. L’auteur est en train de s’anonymiser alors que ce devrait être une personne physique identifiable : qui est l’auteur d’un film dit de Walt Disney ?
De nouveaux acteurs ont un droit équivalent à celui des auteurs : les ayants droit (financier, éditeur ou producteur). Avec la photocopie en bibliothèque considérée comme un vol, l’intérêt général est souvent malmené. Les nombreuses interventions de Que choisir ? et les revendications sur le téléchargement traduisent la place prise par la défense de l’intérêt du consommateur. Quant à l’intérêt des industriels, il se traduit par des droits contradictoires entre ceux des fabricants de graveurs et ceux des producteurs de disques qui souvent dépendent de la même maison mère, Sony par exemple.
Par ailleurs, des poches de résistance bousculent ce modèle avec Linux ou Wikipédia : un contrat y est passé avec une communauté proche de l’intérêt général.
Bibliothécaires et droit d’auteur
Présidente de l’ADBU (Association des directeurs et des personnels de direction des bibliothèques universitaires et de la documentation), Marie-Dominique Heusse estime que le débat sur la Dadvsi a reflété l’opposition entre une loi de défense de l’industrie culturelle et les internautes et a laissé peu de place à la nécessité publique de l’accès à la connaissance.
Les débats sur la Dadvsi ont parfois ressemblé à un combat bibliothécaires/éditeurs. Les premiers soupçonnent les seconds de parachever le droit de taxation : le droit d’auteur serait l’équivalent du droit de photocopie pour les documents numériques.
Sous la pression des phénomènes économiques, un mouvement en faveur de l’open access aux résultats de la recherche se dessine. Les possibilités d’édition en ligne vont bouleverser le paysage de l’édition d’autant plus que le système des publications universitaires repose sur un système de reconnaissance et de validation scientifique ou académique, et non pas sur un système de droit d’auteurs.
Le point de vue des éditeurs
Juriste travaillant au Groupement des éditeurs de service en ligne (Geste) et chez Éditis, Arnaud Valette s’inquiète des dérives entachant les exceptions proposées, par rapport à la directive européenne :
- Handicapés : la Dadvsi propose une exception obligatoire au droit d’auteur bénéficiant à tous les handicapés sans incitation à favoriser l’utilisation de formats accessibles, en dépit de la directive.
- Bibliothèques : la Dadvsi propose une exception obligatoire au droit d’auteur à des fins de conservation et de préservation des conditions de consultation. Il y a un risque de substitution aux achats d’ouvrage par les bibliothèques. La directive parlait d’exception aux seules fins patrimoniales.
- Pédagogie : la Dadvsi propose une exception au droit d’auteur, aux droits voisins et aux droits sui generis des banques de données à des fins d’illustration ou d’analyse dans l’enseignement ou dans la recherche. La loi permettrait des reproductions d’extraits ou de courtes œuvres. La protection de la création est abaissée et apparaît un risque de judiciarisation accrue dont les acteurs de l’éducation seront les premières victimes.
Directeur des éditions La Découverte, François Gèze rappelle que l’offre de ressources numériques, entre les mains de grands éditeurs, est principalement anglo-saxonne. À son sens, la loi Dadvsi est un coup de massue pour l’édition. Avec l’exception Enseignement et recherche, il n’y a pas d’exception pour les œuvres numériques telles que le Robert ou l’Encyclopædia universalis : ces ressources peuvent être copiées sans rémunération. Cette mesure risque d’en empêcher la production. Comparant les budgets anglais à leurs équivalents français, François Gèze déplore la faiblesse des aides publiques à l’édition. Il craint que le développement de l’offre en anglais ne provoque à terme une tiers-mondisation de la France. En conclusion, il appelle à un partenariat entre les éditeurs et les professionnels de la documentation pour développer l’offre de ressources numériques en ligne.
Lobbying et démocratie
Ultime intervenant, Dominique Lahary, coordinateur de l’Interassociation archives, bibliothèques, documentation, rafraîchit la mémoire de l’assistance en présentant, telle une saga, les grandes étapes du débat parlementaire et le rôle qu’y a joué l’Interassociation pour défendre les exceptions déjà évoquées *.
Il conclut par un satisfecit concernant le travail de lobbying accompli, un avertissement à ne pas s’endormir sur des acquis susceptibles d’être remis en cause et un remerciement à la démocratie parlementaire qui, lors de l’élaboration du projet de loi Dadvsi, a su dépasser les clivages partisans.