Les artistes de la bibliothèque municipale, Toulouse 1935

centenaire de la Société des artistes méridionaux

par Nicolas Galaud

Louis Peyrusse

Luce Barlangue

Toulouse : Mairie de Toulouse, 2005. – 84 p. ; 24 cm.
ISBN 2-85322-060-5 : 8 €

Inauguré en 1935, le bâtiment de la bibliothèque municipale de Toulouse situé rue de Périgord est l’un des très rares témoins de l’architecture des bibliothèques municipales françaises de l’entre-deux-guerres, avec ceux de Reims et de Pau. Il a fait l’objet d’une remarquable rénovation en 2003 dans le cadre du projet toulousain de bibliothèque municipale à vocation régionale, parallèlement à la construction de la médiathèque Marengo. Cette rénovation a permis de restituer au bâtiment sa fonction initiale de bibliothèque d’étude et de conservation du patrimoine, et de mettre en valeur son architecture des années 1930, dont la qualité lui a valu d’être inscrit à l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques.

Le présent ouvrage constitue le catalogue d’une exposition qui s’est tenue de novembre 2005 à janvier 2006 dans le but de commémorer le centenaire de la Société des artistes méridionaux, dont plusieurs membres ont réalisé le programme ornemental de la bibliothèque municipale, et de célébrer le soixante-dixième anniversaire de son inauguration.

Construire une bibliothèque moderne en 1935

Dans la première partie de ce catalogue, intitulée « Construire une bibliothèque moderne en 1935 », Louis Peyrusse explore les circonstances de la construction de ce bâtiment, le plus spectaculaire du programme d’équipements publics mis en œuvre par la municipalité socialiste de l’époque, conduite par Étienne Billières. Espérée depuis près d’un siècle, la nouvelle bibliothèque répondait à une situation de crise, l’ancien collège des jésuites qui abritait alors les collections municipales étant « le plus détestable des locaux des bibliothèques françaises » selon son bibliothécaire en chef François Galabert (ce qui reste à prouver, les bibliothèques étant à l’époque en France dans un dénuement assez généralisé).

L’auteur évoque les principaux protagonistes du projet : aux côtés de François Galabert et de Jules Julien, adjoint au maire chargé de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, Pol Neveux, inspecteur général des bibliothèques et académicien Goncourt, qui avait accompagné les trésors de la Bibliothèque nationale mis en sécurité à Toulouse durant la Première Guerre mondiale, joua un rôle de premier plan. Il avait suivi quelques années auparavant la construction de la bibliothèque Carnegie de Reims, sa ville natale, et entendait faire prévaloir à Toulouse ses idées sur la conception fonctionnelle des bibliothèques et ses penchants architecturaux, qui le portaient vers l’avant-garde. Il s’opposa assez rapidement à Jean Montariol, architecte de la ville, chargé de la construction de la bibliothèque, adepte lui d’un « modernisme tempéré » (que Louis Peyrusse rapproche d’Auguste Perret ou de Roux-Spitz).

La première difficulté résidait dans l’établissement d’un programme pour le futur bâtiment, en l’absence de normes ou de références clairement établies. C’est sans doute sur ce point que l’intervention de Pol Neveux s’est avérée décisive, celui-ci entraînant ses interlocuteurs dans des voyages d’étude à Reims ou Paris ou étudiant avec eux sur plans des exemples étrangers. Au final, le bâtiment conçu par Montariol, composé de trois parties (accueil et administration, salle de lecture, magasins), répond bien « aux trois impératifs d’une bibliothèque : la conservation des œuvres, la commodité et la rapidité de la recherche des volumes, le confort de la consultation ». Soixante-dix ans après, il continue à fonctionner de manière satisfaisante, sans grande modification dans l’affectation des espaces d’origine.

Un décor enraciné dans la tradition régionale

C’est surtout sur le très abondant programme décoratif, confié pour l’essentiel à des créateurs toulousains membres de la Société des artistes méridionaux, que portèrent les échanges les plus vifs. Luce Barlangue en fait l’analyse dans la deuxième partie du catalogue. L’architecte Montariol, « fidèle au credo rationaliste du XIXe siècle », reste attaché à l’importance de l’ornementation. La municipalité souhaite une architecture signifiante, qui exalte la vocation éducative et culturelle de ce bâtiment public majeur et souligne ses ambitions politiques. Ainsi, les bas-reliefs de Sylvestre Clerc, qui se déploient sur près de 60 mètres, retracent l’aventure des sciences, arts et lettres et l’histoire de l’émancipation de l’esprit humain. Le vitrail d’André Rapp a pour thème L’éducation de l’enfance (une mère apprend à lire à son enfant, sur fond de paysage toulousain où l’on distingue le clocher de Saint-Sernin) ; le panneau décoratif de Bouillère s’intitule La joie dans la lecture.

François Galabert et Pol Neveux sont quant à eux partisans d’une architecture sobre et fonctionnelle. Jugeant sévèrement les premiers projets de Montariol (« Ce n’est pas une bibliothèque qu’il ambitionne d’édifier, mais un casino… »), Pol Neveux craint surtout que le développement du programme ornemental ne se fasse au détriment des autres aménagements et du confort des lecteurs. Jouant au fur et à mesure de l’avancement du chantier un rôle plutôt inattendu de conseiller artistique, il fera pourtant preuve de bienveillance à l’égard de certaines réalisations. Il vante ainsi les qualités des sculptures de Parayre, d’inspiration néo-classique, qu’il compare à Maillol. Après une sérieuse mise en garde sur la salle de lecture (qui « ne se décore pas comme une salle des mariages »), il se montre séduit par les fresques de Marc Saint-Saëns. Ultime paradoxe, il sera même représenté par l’artiste dans le panneau central de son triptyque évoquant le Parnasse occitan !

Faisant amende honorable, Pol Neveux reconnaît dans son discours d’inauguration : « Vos collègues et vous ne m’avez pas suivi, mon cher maire, et je ne vous en tiens pas rancune de ce désaveu. Vous n’avez pas voulu qu’un gratte-ciel, qu’une usine américaine voisinât avec le clocher octogonal de Saint-Sernin, et qu’en cette ville, mère de tant d’artistes, la maison de l’étude et du rêve fût dépouillée comme une page janséniste. »

Si l’on peut regretter avec Pierre Jullien que le point de vue initial de Pol Neveux ne l’ait pas emporté, pour donner au projet un aspect plus radical, à l’instar des réalisations contemporaines d’Alvar Aalto, on doit reconnaître cependant l’originalité et la qualité de l’architecture de la bibliothèque de Toulouse qui, évitant l’écueil du régionalisme, est un exemple plutôt réussi d’équilibre entre une réelle modernité et le respect d’une tradition artistique locale.

Cet ouvrage, abondamment illustré, séduira non seulement les amateurs d’architecture et les historiens des bibliothèques, mais aussi tous les bibliothécaires que préoccupent les questions d’aménagement et de construction. Ils se rassureront en pensant que les querelles entre professionnels du livre, élus et architectes ne datent pas de la décentralisation, et que de la confrontation des idées naissent parfois des réalisations majeures.