Désherber

Enjeux et limites

Pascal Leroy

La journée du 10 février 2006 sur le thème du désherbage en bibliothèque inaugurait un cycle de formations, intitulé « Formidam », organisé par le département Archives et médiathèques * de l’université de Toulouse II à Montauban.

Histoire et méthodologie du désherbage

Cristel Guillerme (Direction départementale du livre et de la lecture de l’Hérault) a rappelé que la pratique du désherbage est une préoccupation déjà ancienne. Eugène Morel en parlait dans son manuel du début du XXe siècle. Un congrès de l’Association des bibliothécaires français lui a été consacré en 1978. La Bibliothèque publique d’information (Bpi) a été une des premières bibliothèques à mettre en place une charte consacrée au désherbage, en raison de l’absence de magasins. Dans les années 1980-1990, le désherbage est abondamment pratiqué, lié à la grande vague d’informatisation. Depuis le début des années 1990, on est revenu à plus de prudence.

Cristel Guillerme évoqua ensuite les différentes formes que peut prendre le désherbage : dons, élimination, voire vente. Les raisons du désherbage peuvent être bibliothéconomiques (liées à une étude des publics) ou pragmatiques (manque de place, coût d’entretien des réserves, informatisation, usure du document). Une bibliothèque doit procéder à un examen régulier de ses collections, afin de mieux les gérer, de mieux maîtriser les acquisitions et d’améliorer l’image de l’établissement.

Comment et que faut-il désherber ? Les critères peuvent être matériels (document en mauvais état physique, doublons), intellectuels (informations datées et peu fiables ou trop spécialisées pour le public de l’établissement). Les documents peuvent également ne pas correspondre aux attentes des lecteurs. Toutefois, à la BDP (bibliothèque départementale de prêt) de l’Hérault, le choix a été fait de ne pas éliminer les ouvrages qui relèvent du fonds local, ainsi que des livres d’artistes, des thèses et mémoires ou des éditions rares et précieuses.

Un cadre juridique est nécessaire : tout document du domaine public ne peut être éliminé sans une autorisation préalable de la collectivité, qui peut être globale et qui prévoit les différentes formes d’élimination.

Une politique de désherbage doit être clairement affichée et écrite. La méthode Youpi créée par la Bpi en est un exemple. Un planning doit être dressé, des équipes mises en place (2 ou 3 personnes) pour éviter les erreurs au maximum. Enfin, il faut supprimer l’ouvrage de l’inventaire et prévoir des listes de rachat en conséquence.

Le contexte du marché du livre

Martine Blanc-Montmayeur (Direction des affaires -culturelle de Provence-Alpes-Côte d’Azur) présenta d’abord un tableau de l’édition française en 2004. Au cours de cette année, 53 214 titres nouveaux et rééditions ont été publiés. C’est une évolution continue. En revanche, les tirages sont en baisse constante : 8 800 en moyenne en 1998, 7 934 en 2003. Ce chiffre moyen regroupe de fortes différences selon les branches éditoriales entre les 2 318 exemplaires en sciences sociales et humaines et les 41 877 exemplaires pour les encyclopédies et dictionnaires. En librairie, un ouvrage reste sur les rayons environ 60 à 80 jours. Passé ce délai, il est retourné. Un éditeur conservera l’ouvrage en moyenne 18 mois : il disparaît ensuite de ses stocks, en raison des coûts du stockage.

Martine Blanc-Montmayeur donna quelques conseils. Pour les bibliothèques possédant moins de 10 000 ouvrages, il n’est pas utile de conserver : mieux vaut mettre l’accent sur les nouveautés. Il n’est pas souhaitable de conserver parce qu’on n’a pas les moyens d’acheter. Une politique de désherbage ne se conçoit que dans le cadre d’une politique de conservation partagée et d’une charte d’acquisition.

Il faut prendre en considération les risques du désherbage : ainsi, les documents en sciences sociales sont vite périmés et obsolètes. Mais ils sont aussi le reflet d’une époque (par exemple, Le bonheur est dans le pré de Pierre Bonte, prélude à la naissance du mouvement écologique). En littérature, la question est très complexe : ainsi, dans les années 1950, une floraison de premiers romans a vu le jour ; bon nombre de leurs auteurs n’ont jamais fait de carrière par la suite. Le « juste milieu » est donc très difficile à atteindre.

Le bibliothécaire doit redevenir prescripteur vis-à-vis de ses lecteurs. Martine Blanc-Montmayeur renvoya en particulier à l’ouvrage de Jean-Luc Gautier-Gentès, Une république documentaire (Bpi, 2004).

L’après-midi fut consacré à des comptes rendus d’expériences. Danielle Quérol (bibliothèque municipale de Bagnères-de-Bigorre) s’interrogea : le désherbage est-il un travail de mémoire, d’éducation civique ou en direction des lecteurs ?

Jocelyne Leroy retraça la démarche de la BDP de la Dordogne. En 1996, le conseil général a adopté une délibération sur le désherbage. En 1998, une première carte documentaire a été validée, suivie en 2003 d’un plan départemental de la lecture publique et en 2004 d’une nouvelle carte documentaire. Dans cette dernière, toutes les communes sont concernées. Une charte de désherbage a été parallèlement mise en place, comprenant un recensement des fonds particuliers des bibliothèques municipales, une politique d’acquisition partagée et une rationalisation de la politique d’achats. L’idée qui sous-tend ces initiatives est que les fonds appartiennent à toutes les bibliothèques et que l’usager doit pouvoir accéder à celles-ci avec une carte départementale du lecteur.

Deux autres journées ont eu lieu dans le cadre du cycle Formidam. La première, le 17 mars, était consacrée au livre et à la lecture en prison, et la seconde, le 3 avril, à la place du multimédia ludoéducatif en médiathèques et ludothèques. Un compte rendu global de ces formations sera disponible sur le site du département Archives et médiathèque.