La médiation en question
Réflexions d'archivistes, bibliothécaires et documentalistes
Marie-Danièle Milandri
Si le savoir du monde passe par l’écrit, avec ses codes, sa rigueur, son ordre, le médiateur est alors celui qui va réintroduire du relationnel, ramener le direct entre les producteurs et les récepteurs : qu’il le fasse sur un mode directif (du maître à l’élève), incitatif (animation culturelle) ou appropriatif (communautés virtuelles sur Internet, esprit civique). C’est ainsi que Jean-Marie Privat, professeur à l’université de Metz, définit la médiation, thème de la journée interassociative * qui a réuni archivistes, bibliothécaires et documentalistes, le 6 avril dernier à l’École nationale des ingénieurs de Metz.
Accompagner l’usager
Claude Morizio, formatrice à l’Institut universitaire de formation des maîtres de Poitiers, a montré que les documentalistes sont interpellés aujourd’hui par la concurrence d’Internet et par ses stratégies de communication. Ce qui entraîne nécessairement une remise en question de la formation à la recherche documentaire et un travail en amont de l’information pour en organiser les flux, avoir une connaissance fine des outils de l’information, accompagner mais surtout préparer l’usager à être efficace et autonome dans ses recherches. Documentaliste : un nouveau métier ?
Pour Abdelwahed Allouche (bibliothèque municipale d’Arcueil), la médiation en bibliothèque doit adopter le mode participatif et relationnel. Elle est l’essence même de tout acte bibliothéconomique : « La médiation n’est pas une tâche mais une mission, un tout, une conception transcendantale, un postulat de départ et d’arrivée. » La médiation va nécessairement de pair avec une politique des publics, affirma aussi Ségolène Garçon (archives départementales de Moselle).
La médiation est au cœur même des archives qui favorisent et facilitent l’accès de tous les publics à l’information : outils mis à disposition, conseils à la recherche, animations dans lesquelles le public devient partenaire, rôle éducatif en direction du jeune public.
Des exemples de médiation culturelle, présentés par Catherine Baschet (documentaliste à Bar-le-Duc) et Michel Colnot (médiathèque de Nilvange), ont illustré le rôle de « passeur » tenu par le médiateur. Expériences simples ou projets plus coûteux, ils ont démontré que le lien social pouvait être restauré à travers le livre et la lecture.
Un nouvel environnement numérique
Jean-Noël Gérard (bibliothèque universitaire Lettres de Nancy) et Pierre-Frédéric Brau (archives départementales de Meurthe-et-Moselle) ont démontré que la médiation, aujourd’hui, s’inscrivait dans un environnement numérique.
Dans les bibliothèques universitaires, la documentation doit être parfaitement intégrée à l’environnement numérique de travail (ENT) qui permet d’offrir à l’étudiant, via une connexion authentifiée, un accès à distance aux ressources numériques de son université, créant ainsi une sorte de bureau virtuel. Ce qui amène, de fait, une réflexion sur le nouveau rôle du médiateur, sur sa formation et sur la politique documentaire.
Aux archives de Meurthe-et-Moselle a été créé un site qui était à la fois une demande du public et une opportunité à saisir pour le service : développer une politique d’ouverture et d’accessibilité, répondre à des objectifs de mise en valeur des collections, des actions, du service envers tous les publics. Une réussite !
Le conseil en entreprise
Deux interventions sont venues élargir le champ de réflexion de cette journée. Denys Levassort (consultant, société Covalor) nous a présenté le rôle du médiateur pour l’aide à la décision dans l’entreprise : comment celui-ci, à la demande d’un dirigeant, lui offre ses compétences pour faire progresser l’organisation : étude du terrain, des moyens, des objectifs, des obstacles… Nous sommes dans un type de médiation basée sur le relationnel qui va redonner du sens et renouveler les énergies au service d’une finalité : c’est l’art de manager !
Éric Goettmann, chargé de communication à l’Institut de l’information scientifique et technique (Inist – CNRS), s’est inscrit dans le cadre de la « médiation pédagogique ». La « médiation scientifique », c’est de cela qu’il s’agit ici, instaure un véritable échange entre sciences et public : les interrogations se posent, les doutes s’installent. Le médiateur va guider le public vers une documentation qui lui permettra de débattre et de se forger une opinion. À différencier de la « vulgarisation scientifique ».
La journée fut riche de toutes ces interventions, des réflexions menées, des questions fondamentales posées, des réalisations proposées. Elle fut exemplaire par l’interassociation qui a su se mettre en place et les professionnels ne s’y sont pas trompés qui sont venus très nombreux et très motivés. Cette rencontre a permis de poser les bases d’autres journées qui viendront élargir le débat et surtout permettront à des gens d’horizons si proches et pourtant si souvent méconnus de se rencontrer.