La bibliothèque à l'heure de l'intercommunalité
Françoise Peyre
Le 10 mars dernier, à la Cité du livre d’Aix-en-Provence, le groupe Provence-Alpes-Côte-d’Azur de l’Association des bibliothécaires français avait invité Emmanuel Négrier *, chercheur au CNRS, et Jean-Paul Roux-Fouillet, enseignant à l’Enssib, pour une rencontre avec les professionnels du livre de la région. Deux responsables de la lecture publique dans des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), Dominique Deschamps (Plaine commune, Seine-Saint-Denis) et Anne Giujjuzza (communauté de communes des Coteaux d’Azur, Alpes-Maritimes), ont apporté leur témoignage.
De la communauté cosmétique à la supermunicipalité
E. Négrier s’est attaché à présenter les conséquences que pouvait avoir le fait intercommunal dans les bibliothèques, dressant tout d’abord un bilan de la loi : son succès numérique et celui de la diffusion du modèle. Si les communes hors communauté font aujourd’hui figure d’exception, les modèles d’intercommunalité sont divers, depuis la communauté « cosmétique », qui ressemble à une structure communautaire mais n’a aucun projet et dans laquelle aucun transfert de compétence n’a été décidé, jusqu’à la « supermunicipalité » en gestation, modèle très minoritaire, où le leadership a basculé du côté intercommunal. C’est elle qui donne la capacité d’invention de la ville de demain. Les périmètres des communautés sont cependant encore trop petits pour permettre de se placer dans une vraie logique de solidarité urbaine.
Les communautés qui se sont dotées de la compétence culturelle sont les plus nombreuses. Beaucoup l’ont fait par défaut. Il existe parfois un véritable projet culturel qui servira d’élément identificateur de la structure. E. Négrier relève quatre types de prise de compétence :
- compétence définie sur le rayonnement de l’équipement ;
- compétence mise en œuvre sur un domaine qui servira de pilote pour d’autres transferts à venir ;
- tous les équipements, et rien que les équipements, sont transférés, ce qui vaut des bonifications fiscales mais laisse posée la question du lien entre les équipes et le projet culturel, de même que celle du financement des associations implantées dans les communes ;
- tout bascule à l’échelle intercommunale pour multiplier les bonifications fiscales. Des enveloppes de la communauté peuvent alors être municipalisées et permettre le développement de projets expérimentaux dans des communes.
Les tendances varient avec la date d’option. E. Négrier oppose une logique de coup politique à une démarche de diagnostic préalable. Il faut aux communautés un leadership politique stable et coopératif et surtout que soient présents des porteurs de projet. C’est la responsabilité des acteurs culturels dans les affaires institutionnelles.
Le succès de la lecture publique
La lecture publique est en tête des compétences transférées. E. Négrier analyse trois raisons de ce succès. Les équipements ne sont pas seulement dans la ville centre. Pour les élus, la médiathèque est avec l’école de musique le service public culturel par excellence. La troisième raison tient à la mobilisation des acteurs et aux expériences antérieures dans ce domaine.
Les transferts sont très différents : de Troyes, où la BMVR (bibliothèque municipale à vocation régionale) et deux annexes sont intercommunales mais pas les bibliothèques des autres communes ; à Montpellier, qui s’est dotée d’un schéma directeur et verse à la communauté la BMVR et des « médiathèques d’équilibre ». Parfois c’est la centrale seule qui est transférée, comme à Béziers, ou bien l’ensemble, comme à Clermont-Ferrand avec la BMIU (bibliothèque municipale interuniversitaire).
L’intercommunalité est un moyen. Les énoncés des objectifs peuvent être d’une grande banalité et leur mise en œuvre très difficile. Pour les bibliothèques, ils sont les suivants :
- Professionnalisation. En cas de grande disparité des équipements et des équipes, un schéma de développement peut chercher à équilibrer la présence de professionnels sur un territoire.
- Mutualisation. Celle-ci concerne le schéma informatique, les politiques documentaires ou l’animation.
- Nouveaux publics, nouveaux services. On met en commun les moyens pour appréhender les besoins d’un territoire et mettre en œuvre des politiques concertées sur les publics.
Du côté des bibliothécaires, le contenu des formations reste en décalage face aux objectifs vécus au quotidien : encore trop de bibliothéconomie quand il faudrait former aux questions territoriales et politiques.
En conclusion, E. Négrier interroge les autres échelles de territoire. Les départements vont-ils suivre ce déplacement des enjeux comme le font déjà les bibliothèques départementales de prêt dans l’Hérault et le Bas-Rhin ? C’est bien ce point de vue, pour l’instant minoritaire, qui est en germe dans les plans départementaux de développement de la lecture publique. La région pourrait-elle passer d’une politique du livre à une politique de la lecture publique ? Leurs compétences en termes d’aménagement du territoire et de formation sont applicables à ce secteur.
Les conditions d’un bon transfert
Jean-Paul Roux-Fouillet avait été chargé de nous préparer à ce passage à l’intercommunalité, ce qu’il fit de manière très efficace.
La prise de compétence se fait selon le principe de « subsidiarité ». Elle peut être complète ou partielle : maîtrise d’ouvrage de la construction d’une médiathèque, réseau de lecture publique, animation… Avant le transfert, il faut définir l’intérêt communautaire. En effet, cette notion n’est pas définie explicitement par la loi.
Le transfert est un transfert de gestion (toujours global) ou de maîtrise d’ouvrage. Intégré dans un projet de développement et précédé d’un diagnostic territorial, il est basé sur la mise en œuvre d’un réseau de lecture publique avec un réseau de services. Il faut en prévoir les conséquences, notamment en matière de gestion du personnel. Certains sont restés sans suite, ou ont été annulés (Moulins, Chartres).
Financement, personnels, constructions, impact sur le public : les questions des participants ont été nombreuses au long de la journée. D’autres rencontres sont certainement à prévoir dans le cadre régional. Il reste encore des communes orphelines dans les Bouches-du-Rhône, comme l’a rappelé Françoise Danset, directrice de la BDP, et si des communautés se sont dotées de la compétence culturelle, elles ont plus rarement bénéficié de réels transferts.