Les bibliothèques, actrices du développement local
Yves Alix
Les élèves conservateurs territoriaux des bibliothèques, promotion Georges Perec (2005-2006), organisaient le 21 avril dernier à Villeurbanne, avec le concours de l’Inet (Institut national des études territoriales), une journée d’étude consacrée à la place des bibliothèques aujourd’hui dans le développement local. Pour accueillir ces échanges, l’amphithéâtre flambant neuf de l’Enssib symbolisait assez bien le dynamisme actuel du recrutement des cadres territoriaux de la filière culturelle, qui profite de l’effet d’aubaine de l’intercommunalité, en dépit de la crise des finances locales.
Le rôle social des bibliothèques
Dans son introduction à la journée, Anne-Marie Bertrand, directrice de l’Enssib, a rappelé l’histoire de la territorialisation des bibliothèques, au fil des deux décennies 1970 et 1980, et le succès inattendu des bibliothèques publiques, qui a largement légitimé les investissements politiques et financiers consentis par les collectivités. La bibliothèque et la médiathèque sont devenues un atout majeur dans la politique de valorisation des villes, un marqueur de l’espace urbain.
Une première table ronde, animée par deux élèves conservateurs, rapprochait ensuite un bibliothécaire en poste, un élève et un directeur territorial autour du « rôle social des bibliothèques et [de] la prise en compte des publics spécifiques ». Pour Didier Guilbaud, directeur départemental des bibliothèques et de la lecture d’Indre-et-Loire et président de l’Association des directeurs de bibliothèques départementales de prêt (ADBDP), la bibliothèque, « lieu du lien » (Michel Melot), est un enjeu de politique locale fort : elle peut aider à la mise en œuvre des solidarités de proximité et contribuer au lien social, avoir un rôle majeur dans la lutte contre l’illettrisme, la fracture numérique et l’exclusion.
Xavier Galaup, élève-conservateur, a ensuite donné un témoignage de cette action sociale de proximité, à travers son expérience d’avant concours à la médiathèque départementale du Haut-Rhin. Ce département, faisant le constat de l’absence croissante des personnes âgées dans les médiathèques, espaces trop vastes, souvent bruyants et d’accès malaisé, a en effet mis en place, dans le cadre du schéma gérontologique prévu par la loi du 2 janvier 2002, des actions en direction des établissements de repos et de soin, pour rapprocher la culture des personnes âgées. Enfin, Dominique Mans, directeur de la lecture publique de Clermont Communauté, EPCC (établissement public de coopération culturelle) desservant un bassin de 290 000 habitants, a présenté le réseau clermontois et ses objectifs de développement, dans lesquels l’axe social entre pleinement.
Le débat qui suivit permit de souligner que les interventions portaient autant sur la desserte du territoire et l’accessibilité (comme composante essentielle du service public), que sur une fonction sociale encore largement à définir.
Bibliothèque et image de la ville
On retrouva d’ailleurs le territoire lors de la seconde table ronde, « La contribution des bibliothèques à l’attractivité du territoire », animée par le conseiller livre et lecture de la direction régionale des affaires culturelles (Drac) Rhône-Alpes, Gilles Lacroix. Tout d’abord, André Markiewicz, directeur de la bibliothèque municipale de Nancy, a mis en parallèle les critères respectifs qui font l’attractivité d’une bibliothèque (collections, services) et d’une ville (emploi, vitalité, place de la jeunesse… et culture). À Nancy, ville à forte identité, très attractive, la municipalité manifeste la volonté de structurer le territoire avec la politique culturelle. La bibliothèque s’inscrit naturellement dans ce mouvement.
Pour Thierry Delcourt, directeur de la médiathèque de l’agglomération troyenne, c’est au contraire l’absence d’image de la ville et de l’agglomération qui créaient le premier handicap au développement culturel… et la première mission de la nouvelle médiathèque : participer au changement d’image. Au-delà, la politique municipale d’incitation économique et de développement de nouveaux services, facteurs d’attractivité, engage aussi la médiathèque, équipement à forte notoriété et générateur de valeur ajoutée, en particulier pour les nouveaux arrivants et les jeunes. Mais la politique culturelle, aujourd’hui, doit se construire à partir d’événements fédérateurs, susceptibles d’intéresser des publics distincts.
Responsable de l’action culturelle de la médiathèque de Vénissieux, qu’il présente comme une agora, au cœur d’une ville de banlieue au riche passé ouvrier, mais confrontée plus que d’autres au chômage des jeunes, à la sous-qualification et au syndrome d’exclusion, Stéphane Martinez a posé la question de l’équilibre entre les pôles d’action d’une bibliothèque dans la ville : faut-il privilégier le culturel ou le social, jouer l’institutionnel ? Pour lui, l’action culturelle peut être le ciment d’une politique de développement en réseau. Partenariat, écoute et ouverture sur l’extérieur en sont les maîtres mots.
Pour conclure la journée devant ces futurs cadres culturels territoriaux, motivés mais perplexes devant la largeur du spectre de leur activité et l’incertitude où sont les politiques publiques de la culture aujourd’hui, Jacques Charlot, directeur général du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), s’est montré confiant et optimiste. Qui aurait dit il y a vingt ans que la lecture publique connaîtrait un tel développement, toujours en cours d’ailleurs ? Les politiques territoriales ne sont pas concevables sans transversalité. Ce qui fait la spécificité de la Fonction publique territoriale, la distinction essentielle de la qualification et du recrutement, reste la clé de voûte d’un fonctionnement efficace, maîtrisant le marché de l’emploi et rendant aux élus leurs responsabilités de recruteurs.
Dans ce paysage plus inconfortable que celui de la Fonction publique d’État, les conservateurs territoriaux n’ont pas seulement des atouts en matière de savoir-faire et de compétences techniques et managériales. Ils peuvent être aussi concepteurs et porteurs de projets.