Un constat à partager, un plan d'action à engager
Pierre Carbone
C’est une première ! La Cour des comptes consacre 23 pages aux BU dans le rapport public 2005. Les BU y sont perçues comme « un exemple du décalage entre la situation des universités françaises et celle de pays comparables », et un enjeu pour les étudiants mais aussi pour la recherche universitaire « qui est une part essentielle du potentiel de la France dans le domaine de la recherche publique ».
Un constat dans l’ensemble exact
Le constat que dresse ce rapport est exact dans l’ensemble. L’accroissement des moyens de 1990 à 2000 a amélioré l’offre documentaire et les services rendus. Mais, les effectifs étudiants ayant augmenté, les objectifs du rapport Miquel seront atteints au mieux en 2015 ou 2020, et le retard par rapport aux pays européens comparables persiste, ce qui est un handicap pour la France au sein de l’espace européen de l’enseignement supérieur.
Malgré ces progrès, la fonction documentaire n’est pas encore reconnue comme une mission essentielle au sein des universités, elle a une place accessoire dans la politique contractuelle, et la dispersion de la documentation entre BU et bibliothèques d’UFR ou de recherche, même un peu atténuée, reste un mal chronique.
De plus, les écarts entre universités de la même catégorie provoquent une inégalité des usagers devant le service public ; ces différences « tiennent essentiellement à l’histoire ou aux choix stratégiques des établissements qui n’ont pas tous accordé la même importance à la fonction documentaire ». Ces inégalités sont toutefois partiellement compensées par l’essor du réseau documentaire national (à travers les Cadist, le Sudoc, le CTLes, l’accès à la documentation électronique dans le cadre de Couperin) qui a accru l’efficience globale des BU.
Une vision réductrice
Partant de ce constat, la Cour des comptes y voit les limites de la politique menée depuis 1990, en la qualifiant de politique de l’offre, marquée uniquement par le souci du quantitatif. Cette vision est quelque peu réductrice.
Lors du lancement des contrats d’établissement en 1990, les moyens supplémentaires n’ont pas été affectés uniquement sur des critères quantitatifs, mais ont accompagné les priorités formulées par les universités. Les établissements étaient incités à définir des politiques claires de développement des collections (en particulier pour les étudiants), à coopérer avec les autres partenaires, à moderniser les services et à élargir les horaires d’ouverture.
En même temps, la mission Lecture étudiante a mené des enquêtes nationales sur les comportements de lecture des étudiants, sur leurs besoins documentaires, sur leur degré de satisfaction… avant de connaître un coup d’arrêt en 1993. La voie était pourtant tracée pour mener régulièrement les enquêtes nationales de satisfaction préconisées par la Cour.
Les actions engagées au début des années 1990 menaient de pair développement des ressources documentaires, rénovation des méthodes pédagogiques, formation des étudiants à la méthodologie documentaire, sensibilisation des étudiants à la lecture, y compris dans sa dimension culturelle, et soutien à l’édition de niveau universitaire. L’objectif était la réussite des étudiants, et donc leur capacité d’insertion professionnelle.
Mais il est vrai que, malgré cet élan, les enjeux documentaires n’ont pas été pleinement pris en compte par les équipes pédagogiques, et que cela n’a pas toujours conduit à une collaboration renforcée entre enseignants et bibliothécaires.
La place toujours incertaine de la fonction documentaire
Cela montre en effet que la place de la fonction documentaire au sein de l’université est encore incertaine. Les BU ont-elles pour mission la documentation étudiante, la documentation recherche, ou les deux ?
Les critères de financement reposent presque exclusivement sur les étudiants, alors que les deux tiers des dépenses documentaires sont de niveau recherche, et ce depuis longtemps. Il en résulte une valse-hésitation dans la politique nationale, qui met tantôt l’accent sur le développement de l’information scientifique et technique pour la recherche et tantôt sur l’offre de documents en nombre pour les étudiants.
Le rôle des BU dans la documentation recherche est pourtant de plus en plus incontestable, avec les Cadist, mais aussi avec l’implication de tous les SCD dans la documentation électronique. Il faut donc que les modes de financement reconnaissent ce double rôle. Ce serait une vision simpliste que de réduire les BU au rôle de salles de lecture pour étudiants, à côté des bibliothèques d’institut ou de laboratoire pour des publics restreints.
C’est pourquoi la dichotomie proposée par la Cour des comptes entre services de proximité et services nationaux pour la recherche est trop réductrice. Construire une carte documentaire nationale, c’est tenir compte des points forts en formation et en recherche de chaque université en équilibrant l’ensemble du territoire, et non centraliser à l’excès.
Si la Cour des comptes a raison de s’interroger sur le statut des bibliothèques associées et sur la lenteur des intégrations de BUFR, cette dispersion documentaire ne sera pas abolie par une hypercentralisation. En tout cas, chaque « service de proximité » desservant des étudiants de master et de doctorat est contraint d’offrir un socle de documentation de niveau recherche.
Il convient d’équilibrer le soutien aux réseaux de documentation de recherche (qui ont certes à leur tête les Cadist) et la politique de site documentaire, en encourageant d’abord le regroupement des moyens à l’échelle du site. Dans cette politique de site, il est pertinent, comme le préconise le rapport, de « mieux coordonner politique de documentation universitaire et politique de lecture », de renforcer la coopération entre BU et BM, et de faire appel au financement des collectivités locales pour le fonctionnement des bibliothèques d’antennes.
Analyse de la demande et concept de demande documentaire
On note aussi une approximation dans l’idée d’approfondir en priorité le « concept de demande documentaire » pour mieux analyser la demande. S’il est pleinement justifié de substituer une politique de la demande à une politique de l’offre (qui a été formulée dès les années 1980 dans le secteur des BU), il n’est pas sûr que la « demande documentaire » soit un concept valide. Nous devons nous intéresser aux non-lecteurs comme aux lecteurs, aux demandeurs comme à ceux qui ne fréquentent pas les BU, car tous ont des besoins documentaires dans le cadre de leurs études et de leurs recherches.
Par ailleurs, la demande d’étudiants qui souhaitent des ouvrages permettant des révisions rapides avant les contrôles est souvent combattue par les prescriptions des enseignants plus vigilants sur la qualité du contenu. La voie est certes de mener des enquêtes nationales mais aussi locales, de mieux connaître les demandes des publics mais aussi d’analyser leurs besoins, d’associer plus les étudiants mais aussi les enseignants.
Surtout, cette analyse doit conduire à élaborer et mettre en œuvre des plans de développement des ressources documentaires. Et il est vrai que la communauté des BU ne s’y engage pas suffisamment.
Des recommandations à suivre
Si l’on peut donc regretter des approximations et des simplifications dans l’analyse et dans certaines orientations, l’on ne peut en revanche qu’approuver les conclusions et recommandations :
- mieux évaluer la performance des BU à partir d’indicateurs d’efficacité et d’efficience. Les BU sont un des secteurs les plus engagés dans l’évaluation au sein de l’université. Elles ont introduit des tableaux de bord dès 1986 sous l’impulsion de la DBMIST (Direction des bibliothèques, des musées et de l’information scientifique et technique), et disposent de la norme internationale ISO 11620 « Indicateurs de performance des bibliothèques » ;
- faire du contrat le levier du développement et d’une meilleure organisation des réseaux documentaires locaux et nationaux, préserver la spécificité du financement documentaire en s’appuyant sur une identification plus fine de la demande et sur une mesure plus précise de la qualité des services rendus, renforcer dans le cadre de la LOLF (Loi d’orientation relative aux lois de finances) les dotations contractuelles. C’est en fait reprendre la politique menée de 1990 à 1993, où tous les moyens nouveaux étaient inscrits dans les contrats ;
- ne pas relâcher l’effort sur l’offre documentaire des universités françaises pour les rapprocher du niveau des grandes universités européennes.
Ce rapport plaide donc pour une intensification du développement des BU, pour une contractualisation plus importante de moyens accrus et mieux utilisés, et fait de cet effort un enjeu pour la place de la France au sein de l’Europe. Espérons que ces recommandations seront largement partagées par la communauté universitaire comme par la représentation nationale, et qu’elles conduiront à un plan d’action qui engage le moyen et le long terme * !