La cour et les BU

Yves Alix

La Cour des comptes consacre aux bibliothèques universitaires un long chapitre de son rapport 2005, dans lequel elle dresse un constat nuancé et cependant alarmiste de leur situation. Le rapporteur affirme par exemple que le retard des bibliothèques universitaires françaises sur leurs homologues étrangères, en dépit des efforts significatifs consentis depuis la fin des années 1980, est une situation acquise et irrémédiable, et que, « quels que soient les critères retenus, les objectifs du rapport Miquel ne pourraient être atteints, selon le cas, avant plus de dix ou quinze ans ».

Pour lire le texte complet du rapport, avec les réponses du ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, et du ministère des Finances : http://www.ccomptes.fr/Cour-des-comptes/publications/rapports/rp2005/bibliotheques.pdf

L’ADBU, Association des directeurs et des personnels de direction des bibliothèques universitaires et de la documentation, a publié le 13 mars 2006 une réponse détaillée au rapport, dans laquelle elle commente à la fois le constat et les propositions des magistrats de la Cour.

L’association reconnaît que le « constat et les analyses qui [y] sont faits reposent sur des bases solides et documentées ; les données chiffrées qui permettent de comparer la situation française avec celle des autres pays développés sont extrêmement éclairantes, et démontrent sans équivoque la situation d’infériorité des BU françaises par rapport à leurs homologues étrangères, situation que l’ADBU ne cesse de dénoncer. Des observations du rapport, telles que la critique de la dispersion résultant de la multiplicité des implantations universitaires, qui induit une quasi-impossibilité de créer et faire fonctionner des bibliothèques pouvant atteindre une taille critique, rejoignent les remarques que nous faisons depuis le début de la politique des délocalisations. »

Cependant, l’ADBU s’inquiète de certaines des conclusions du rapport. « Admettre que la France n’atteindra jamais le niveau européen en la matière, c’est fragiliser sérieusement l’ensemble du système universitaire de notre pays. Dans sa réponse publiée en annexe, le ministre de l’Éducation nationale indique que l’une des trois recommandations du rapport est de “poursuivre dans la durée le rattrapage qui a été entrepris”. L’ADBU ne peut que s’associer à cet objectif, qui lui paraît la condition de survie du dispositif documentaire des universités françaises, mais regrette que cette affirmation soit beaucoup moins perceptible dans le rapport lui-même. »

L’ADBU regrette par ailleurs certaines lacunes : « S’agissant de la croissance des coûts, il serait juste de relever le rôle des politiques publiques : la loi sur le droit de prêt a eu pour conséquence de faire baisser de 20/25 % à 9 % seulement les remises pour les achats de livres dont bénéficiaient les BU, et ceci sans parler du coût du droit de copie, et bientôt peut-être du droit d’auteur à payer par les universités. En matière de gaspillage d’argent public, comment passer sous silence le phénomène de doublons dans les achats de ressources documentaires électroniques extrêmement coûteuses par les universités d’une part, qui les acquièrent pour l’ensemble de leurs étudiants et enseignants-chercheurs et par les organismes de recherche d’autre part (CNRS notamment) qui les achètent pour leurs personnels des unités mixtes ? »

Sur les propositions du rapporteur de la Cour, qui invite à « changer de logique », l’ADBU est encore plus critique. Ainsi, selon elle : « La nécessité de prévoir une bibliothèque de référence unique dans sa discipline à vocation d’exhaustivité correspond à une situation de véritable sous-développement documentaire qui appartient heureusement au passé. »

Quant à la proposition du rapport de remplacer la politique de l’offre, qui aurait démontré ses limites, par le développement d’une approche par la demande, l’association estime que « les deux approches doivent s’équilibrer et non s’opposer. On sait en effet qu’en matière d’information, et plus largement d’usage de biens culturels, la logique exclusive de la demande produit des effets biaisés qui conduisent à un appauvrissement de l’offre. […] Les évolutions récentes encore fragiles risquent d’être très sérieusement compromises par un primat donné à la logique de la demande ».

Pour obtenir le texte complet de la réponse, contacter l’ADBU :

adbu@agence.cpu.fr

Pour sa part, le BBF a demandé à deux responsables de SCD de s’exercer à un commentaire personnel et libre du bilan fait par les hauts magistrats financiers, en s’appuyant sur leur position de praticiens directement confrontés aux réalités décrites dans le rapport. Nous remercions vivement Jean-Claude Annezer et Pierre Carbone d’avoir relevé ce défi et nous sommes heureux de faire partager aux lecteurs, dans les pages qui suivent, leurs réflexions.