Fin(s) de la politique culturelle ?
Arles : Actes Sud. – 156 p. ; 24 cm.
ISBN 2-7427-5933-6 : 15
€ ISSN 1621-5338
La revue La Pensée de midi, publiée par Actes Sud, offre dans son numéro d’octobre 2005, qui inaugure une maquette renouvelée, un dossier consacré à cette question qui agite décidément fortement les esprits 1 dans un contexte morose de baisse des dépenses culturelles 2 : l’État est-il en train de renoncer à l’exception culturelle française pour laisser le champ libre à la seule loi du marché et de la politique locale ?
Des points de vue contrastés
Dans ce dossier, treize contributions ou entretiens menés par le rédacteur en chef de la revue, Thierry Fabre, permettent de confronter les analyses de différentes personnalités : Philippe Urfalino, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, auteur de L’invention de la politique culturelle (Hachette, 2004), Michel Guérin, universitaire, écrivain et philosophe, Dominique Wallon, qui fut directeur de la musique, de la danse, du théâtre et des spectacles (DMDTS) au temps où Catherine Trautmann était ministre de la Culture et de la Communication, Jacques Vistel, qui fut directeur de cabinet de Catherine Tasca au même ministère…
Retraçant pour la plupart les grandes étapes de la politique culturelle depuis Malraux, les auteurs apportent des points de vue évidemment contrastés : André Malraux ne fut-il qu’incantatoire ou avons-nous tort d’avoir renoncé à ses ambitions ? Jack Lang ne fut-il que « la marionnette en chef de la troupe des créateurs » ou n’est-ce pas grâce à lui que les artistes ont conquis droit de présence dans la ville ?
En revanche, un consensus semble s’établir autour de la prudence nécessaire dans l’analyse des résultats de la dernière enquête sur les pratiques culturelles des Français 3, dont on sait qu’elle a donné le départ de discours récurrents sur l’échec d’une politique de l’offre et de la démocratisation culturelle. Et s’il était vain de prêter à la politique culturelle la tâche de contrer les effets de la stratification sociale ? Et si lui donner un tel objectif, c’était déjà dire par position de principe qu’elle a échoué avant de commencer ? Et si les données agrégées par l’enquête masquaient une réalité bien constatée par les villes : oui, une politique culturelle a du sens et peut connaître le succès auprès de tous les publics ?
L’État tiroir-caisse
Le dossier met en avant certains faits positifs : le réseau des institutions et lieux culturels existe grâce à l’État, le divorce entre culture et communication connaît des contre-exemples comme le succès de France 5 ou l’existence de Radio France… Mais globalement, le constat reste celui d’un manque d’ambition culturelle (l’État comme tiroir-caisse), que d’aucuns voient comme une évolution presque naturelle. « Le ministère constitué pour André Malraux a connu depuis le départ de Jack Lang des conversions qui ont achevé sa normalisation. Il est passé d’une organisation de mission, lançant des mots d’ordre, élaborant des projets et montant des opérations, à une structure de gestion produisant des circulaires, arbitrant des conflits, négociant des partenariats… La réduction des marges de manœuvre de l’action publique résulte certes d’impératifs économiques et monétaires, elle découle aussi du partage de la souveraineté avec les organisations internationales, l’Union européenne et les collectivités territoriales », écrit Emmanuel Wallon, maître de conférences en science politique à Paris X – Nanterre.
Si l’on ajoute deux contributions portant l’une sur « Les impasses de l’action culturelle en Algérie » et l’autre sur « L’Europe et la culture : combien de politiques ? », on comprendra que, sans épuiser une question complexe, ce dossier aux accents parfois iconoclastes (s’il n’y avait pas de ministre de la Culture à l’heure actuelle, qui s’en apercevrait ?) est d’une lecture stimulante.