Document et numérisation
enjeux techniques, économiques, culturels et sociaux
Jacques Chaumier
ISBN 2-84365-080-1 : 22 €
« La simplicité est le fruit d’un long travail », disait le sage. C’est bien le sentiment que l’on a à la lecture du (court) dernier opus de Jacques Chaumier, Document et numérisation : enjeux techniques, économiques, culturels et sociaux. Car, en moins de cent pages, l’auteur parvient à faire le tour d’un sujet aussi complexe, foisonnant et contradictoire que celui du document numérique, dans toutes ses composantes, dans tous ses développements, sous tous ses aspects.
Un vade-mecum pour lecteur pressé
Pour autant, il ne s’agit ni d’un survol, comme on en lit trop, ni d’une recension documentée mais fastidieuse. Il s’agit bien d’une synthèse, d’une sorte de vade-mecum pour lecteur pressé, qui n’aura pas, comme Jacques Chaumier, pris la peine de lire les quelque huit pages de bibliographie citées en annexe, dont on devine qu’elles forment le soubassement du travail de l’auteur qui, lui, nous en propose, avec le style clair, alerte et précis qu’on lui connaît, l’essence.
Document et numérisation est divisé en six parties, d’inégale importance : à un rappel des principes de la numérisation et des principaux supports disponibles succèdent un exposé technique, puis (judicieusement placée au mitan du livre) une analyse de ce qu’on pourrait appeler la numérisation mondialisée, l’étude des principaux outils de diffusion numérique, et enfin un (double) chapitre intitulé « Économie et écologie du document numérique ».
Après avoir rappelé dans son introduction que « la banalisation du document numérique est un fait », Jacques Chaumier présente les principes de base applicables à ce type de document, « ensemble cohérent d’objets numériques » (définition empruntée à Gérard Dupoirier). Les schémas consacrés à la typologie des documents numériques, à leurs modes de production, sont des modèles de simplicité et d’efficacité, à tel point qu’il est parfois à peine nécessaire de les compléter par la lecture des pages consacrées aux « nouveaux objets numériques » (hyperdocuments, multimédias).
« Les nouveaux supports de diffusion » fait le point sur les disques optiques numériques, supports principaux du document numérique (avec leurs variations magnéto-optiques), avec le même souci de concision et de précision. Tout au plus regrettera-t-on que ne figure pas, là encore sous forme de schéma, un rappel rapide des bases physiques et techniques de la lecture laser, et que certains supports, dont le mode de stockage reste pour part mystérieux (les clés USB par exemple), ne soient pas inclus dans cette recension. Au passage, l’auteur fait un sort au livre électronique, l’un des supports d’avenir étant pour lui… le papier électronique (ou plutôt l’electronic ink).
Espéranto ou tour de Babel
La partie consacrée aux « problèmes techniques » permet paradoxalement de faire le point sur les solutions mises en œuvre pour faire du document électronique un espéranto plutôt qu’une tour de Babel : Unicode pour le codage des caractères, CCITT (Comité consultatif international du télégraphe et du téléphone), MPEG (Moving Picture and associated audio information codings Experts Group) pour la compression des données, HTML (Hyper Text Markup Language) et XML (eXtended Markup Language) pour la structuration des documents, Dublin Core et ses avatars pour les métadonnées sont autant d’ensembles structurants du domaine. Jacques Chaumier note à propos que c’est pour l’une des fonctions fondamentales de la gestion du document numérique, la recherche, que manque le plus un ensemble normalisé de règles et de protocoles, à l’image des pratiques des moteurs de recherche, « logiciels propriétaires d’une opacité quasi totale ».
À mi-chemin de l’ouvrage, l’auteur rappelle « les enjeux de la numérisation des documents » : le problème des langues (et des écritures) et ses conséquences culturelles, la délocalisation des traitements et ses conséquences sociales, les problèmes juridiques, le mouvement du libre accès, les risques de sécurité et de confidentialité des données, leur authentification, etc. Tous éléments déjà largement débattus mais qui, rapportés par un fin connaisseur du domaine, judicieux, modeste et pertinent, prennent une autre saveur que dans tant d’autres discours convenus d’auteurs qui n’ont ni le recul ni la vision de Jacques Chaumier. Aussi, quand il s’interroge sur la « pérennité du document numérique » – non tant celle des supports que celle des systèmes de lecture – on est d’autant plus porté à le croire que, avec les cédéroms, nous avons déjà l’exemple de supports relativement récents – et désormais largement inexploitables.
C’est à l’aune de cette mise en garde qu’on mesure les avantages indéniables, en termes d’usages et de diffusion, du document numérique, tels qu’ils sont présentés dans les chapitres conclusifs. Après avoir rappelé que le mode de lecture de ces documents, s’il tend à devenir « conventionnel », n’est pas encore normalisé, l’auteur rappelle les principaux médias impliqués : revues électroniques, livres électroniques à propos desquels il ne cache pas un certain scepticisme. L’édition numérique a complètement bouleversé la chaîne éditoriale traditionnelle, y compris pour sa face sombre, piratage et désinformation.
Le chapitre final s’intéresse à l’économie et à l’écologie du document numérique. La première approche est attendue, la seconde plus originale : les modèles économiques et leurs nouveaux partenaires sont encore en devenir, le paysage est des plus changeant, et la dimension politique (bonne ou mauvaise chose ?) de plus en plus affirmée. On regrette que la partie « écologie » du propos, plus excitante, soit aussi beaucoup plus succincte : il faut « produire moins mais produire mieux », y compris des documents numériques. Et l’auteur d’appeler de ses vœux l’introduction de « systèmes qualité » pour la production de documents, voire la mise en place… d’un Label rouge !
Dernière touche humoristique qui résume d’un trait l’esprit et la lettre de Document et numérisation : le sérieux de la collecte, de la mise en forme et de l’exposé n’exclue pas la dimension spirituelle du propos, à tous les sens du terme. Et c’est priser l’ouvrage et non le dénigrer que de le recommander vivement à tous ceux qui, pour des besoins ponctuels ou divers (concours, exposés, dîners en société), veulent appréhender l’essence et l’essentiel du document numérique.