L’Ibero-Amerikanische Institut de Berlin fête son 75e anniversaire

Gernot U. Gabel

L’Ibero-Amerikanische Institut (IAI) de Berlin est le plus grand centre européen ayant pour vocation de promouvoir les échanges interdisciplinaires scientifiques et culturels entre l’Allemagne et les pays hispanophones de la péninsule Ibérique et d’Amérique latine. En octobre 2005, il a célébré avec faste son 75e anniversaire.

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L’Ibero-Amerikanische Institut (IAI) de Berlin. © DR

Aux origines de l’IAI

La fascination des Allemands pour l’Amérique du Sud remonte au début du XIXe siècle, avec les voyages sur ce continent d’Alexander von Humboldt, dont les découvertes scientifiques furent publiées en une série de volumes somptueux. À partir du milieu du XIXe siècle, les Allemands se mirent à émigrer en nombre impressionnant dans divers pays d’Amérique latine, et les relations commerciales entre le nouvel Empire germanique et le sud du continent américain augmentèrent en conséquence.

Maints contacts culturels et scientifiques se nouèrent à la faveur de ces développements. Leur coordination sur un plan institutionnel apparaissait déjà comme souhaitable avant la Première Guerre mondiale, bien qu’aucune initiative officielle n’ait été prise dans ce sens. Puis la guerre rompit les échanges entre l’Allemagne et les pays hispanophones. Quand les accords commerciaux purent être rétablis, au cours des années 1920, des voix s’élevèrent en Europe comme en Amérique latine pour qu’on leur adjoigne des programmes d’échange culturel. Étant donné toutefois les sérieuses difficultés économiques et sociales dans lesquelles se débattait l’Allemagne vaincue, l’élan devait venir de l’étranger.

L’homme de lettres Ernesto Quesada apporta la première pierre à ce projet en 1927, en proposant de remettre à l’État prussien sa magnifique bibliothèque de 82 000 volumes à la condition qu’elle forme le noyau d’une institution qui s’attacherait à développer les relations culturelles et intellectuelles entre l’Allemagne et l’Amérique latine. Le gouvernement prussien accepta de relever le défi et commanda les plans d’un institut de recherche et de documentation ayant pour mission de faciliter ces échanges. Deux autres dons importants, une collection de 25 000 volumes constituée au Mexique et un fonds brésilien de 12 000 volumes, permirent de poser les bases d’une imposante bibliothèque de documents sur l’Amérique latine. Officiellement fondé en janvier 1930, l’IAI fut inauguré en grande pompe le 12 octobre suivant, date du CITATIONDia de la Raza/CITATION qui commémore la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb. Logé dans une aile des anciennes écuries royales, au centre de Berlin, l’institut eut pour premier directeur un ancien ministre de la culture prussien, Otto Boelitz. Il conclut des accords de coopération avec d’autres institutions d’Espagne, du Portugal et d’Amérique du Sud, et mit en route un programme d’échange et d’acquisition de livres.

Un instrument de propagande idéal

En 1933, quand les nazis arrivèrent au pouvoir, les liens internationaux noués par l’IAI apparurent comme des instruments idéals pour véhiculer la nouvelle idéologie hors des frontières allemandes. Au lieu de s’en tenir aux activités littéraires ou artistiques qui constituaient sa mission, l’IAI devint un des rouages de l’appareil de propagande national-socialiste. Wilhelm Faupel, général à la retraite et fervent partisan du parti nazi, fut placé à sa tête en 1934. En 1936, Faupel obtint le poste d’ambassadeur d’Allemagne auprès du général Franco, qui dirigeait alors l’offensive contre le gouvernement républicain espagnol. Il n’occupa toutefois pas longtemps ces fonctions diplomatiques (jusqu’à l’automne 1938); revenu à Berlin, il intensifia le rôle de propagande de l’IAI, transformé en antenne des services secrets nazis. Bureau de liaison de ces derniers pendant la guerre, l’institut, qui était aussi le principal repaire des dignitaires espagnols de passage en Allemagne, produisait à tour de bras des brochures destinées aux organismes étrangers avec qui il avait conclu des accords dans l’entre-deux-guerres. En 1941, il fut transféré aux environs de Berlin dans une superbe villa confisquée à la famille Siemens. Ce déménagement lui a sans doute permis de ne pas disparaître, quatre ans plus tard, sous les bombardements alliés, mais ses nouveaux locaux furent cependant sérieusement endommagés et l’IAI perdit une grande partie de ses collections et de ses équipements.

La défaite puis l’occupation de Berlin par les puissances alliées en mai 1945 allaient obliger la direction de l’établissement à s’expliquer sur ses activités de propagande. Elle réussit de justesse à éviter la fermeture en rejetant toute la responsabilité sur Faupel (qui s’était suicidé peu avant la fin des hostilités) et en soulignant le rôle scientifique et culturel joué par l’institut sous le régime hitlérien. Le commandement militaire américain accepta qu’une « Bibliothèque latino-américaine » soit reconstituée en 1946, avec les vestiges des collections, et ordonna d’en expurger tous les écrits nationaux-socialistes et militaires. La vie pouvait donc continuer, mais sur un pied beaucoup plus modeste car la villa endommagée par les bombes n’était utilisable qu’en partie. En 1948 et 1949, lors du blocus de Berlin par les Soviétiques, les salles n’étaient chauffées que par intermittence, et les accords passés avec d’autres institutions – y compris d’Allemagne de l’Ouest – durent être suspendus.

Au fil des ans, cependant, la situation s’améliora peu à peu. La « Bibliothèque latino-américaine » put élargir le réseau de ses relations avec des organismes publics ou des institutions littéraires, culturelles et scientifiques, et développer de façon conséquente les acquisitions d’ouvrages et de périodiques. Rebaptisée « Bibliothèque ibéro-américaine » en 1955, elle était devenue la plus grande bibliothèque de Berlin avec des collections totalisant quelque 250 000 volumes.

La plus grande bibliothèque ibéro-américaine de recherche d’Europe

Placée en 1962 sous la tutelle de la toute nouvelle Fondation du patrimoine culturel prussien, qui regroupait dix-sept musées, centres d’archives et bibliothèques ayant appartenu à l’État prussien, elle retrouva alors son ancien nom. À partir de cette date, l’Ibero-Amerikanische Institut entreprit d’élargir la gamme de ses activités cultu-relles en organisant des expositions et des concerts, des colloques et des manifestations littéraires. L’augmentation de son budget lui permit en outre de développer sa politique d’acquisitions. Des écrivains d’Espagne ou d’Amérique latine commencèrent à le fréquenter lorsqu’ils voyageaient en Europe, ses richesses considérables attirèrent les universitaires et ses publications jouirent bientôt d’une solide réputation dans les milieux de la recherche.

En 1977, l’institut emménagea dans un bâtiment construit sur mesure pour lui au centre-ville, juste à côté de la prestigieuse Bibliothèque nationale prussienne. La chute du mur, en 1989, et le transfert du gouvernement fédéral de Bonn à Berlin contribuèrent à resserrer les liens avec les ambassades étrangères; les organisations culturelles allemandes sollicitaient activement des accords de coopération avec leurs homologues à l’étranger, et l’IAI s’ouvrit plus résolument au grand public en lançant des campagnes pour faire connaître ses ressources et ses services.

Aujourd’hui, ses collections rassemblent 850 000 monographies, 75 000 microfiches, 70 000 cartes et plans, 38 000 photographies, 23 000 documents audiovisuels, et par ailleurs l’institut est abonné à plus de 4 800 titres de périodiques. Devenu la plus grande des bibliothèques de recherche européennes spécialisées dans l’Amérique latine, il surpasse même celles de Madrid et de Lisbonne. Depuis quelques années, son catalogue est accessible en ligne *. Une association des amis étrangers de l’institut s’est créée en 2000 (des écrivains de premier plan, tels Carlos Fuentes, Ernesto Cardenal et Antonio Skarmeta siègent à son conseil d’administration), dans le but de soutenir les démarches de l’IAI en direction des institutions de recherche et des ministères de leurs pays respectifs. Ainsi que Barbara Göbel – première femme nommée, en 2005, à la tête de l’institut – l’a souligné dans son discours pour le jubilé, l’IAI est désormais un des principaux foyers du dialogue ibéro-américano-allemand. Parmi les éminents personnages qui l’ont visité ces vingt dernières années, figurent de nombreux chefs d’État, notamment les présidents Mario Soares (Portugal), Carlos Salinas (Mexique), Fernando Cardoso (Brésil), Fernando de la Rua (Argentine), et le roi Juan Carlos d’Espagne.