Publics handicapés en bibliothèque
Accueil spécifique et politique générale d’accueil
Aline Le Seven
La Bibliothèque publique d’information et la ville de Chambéry, en partenariat avec l’Agence Rhône-Alpes pour le livre et la documentation, ont proposé, le 15 décembre 2005, une journée d’étude sur l’accessibilité des bibliothèques aux personnes handicapées. L’objectif était d’aborder, à travers la présentation d’expériences précises, la question de la définition de politiques d’accueil intégrant ces publics. Cette rencontre, traduite en langue des signes, a fait suite aux journées d’étude organisées à la bibliothèque municipale de Montpellier en 2001 1, à la médiathèque de l’agglomé-ration troyenne en 2003, et à la bibliothèque de l’Alcazar à Marseille en 2004 2.
Si Chambéry a été choisie pour cette journée d’étude, c’est parce que la ville se présente comme l’un des pôles d’excellence sur la question : la prise en compte de l’accueil des personnes en situation de handicap a été une volonté municipale, à l’occasion de la construction de la nouvelle médiathèque ouverte en 1992. Une commission extra-municipale a contribué à la réflexion, formalisée dans le cadre d’une charte signée avec l’État en septembre 1991.
Une politique globale d’accueil
Catherine Exertier, ergothérapeute, a introduit la problématique de l’accessibilité par une boutade provocatrice : faut-il toujours organiser des journées spécifiques ? À trop vouloir spécifier les publics, on risque de renforcer leur exclusion, et de perdre la cohérence des actions de la bibliothèque. Il convient d’être vigilant sur un certain nombre de points : éviter une accessibilité qui restreint l’usage à d’autres usagers ; favoriser une collection mixte, qui fonde les documents adaptés dans un ensemble ; étendre la fonction d’accueil spécifique à l’ensemble de l’équipe sur le critère de la compétence, sans la réserver au seul personnel en situation de handicap. L’accessibilité à un public spécifique ne peut donc pas être une réponse spécifique, mais le résultat de facteurs multiples proposant des pistes favorisant l’accueil de tous les publics dans une démarche globale d’accueil.
Éric Ferron a ensuite présenté la politique inclusive du service éducatif des musées de Strasbourg : celle-ci s’inscrit dans une volonté d’intégrer dès le départ différents types de publics. Il s’agit en premier lieu, pour déclencher l’envie d’apprendre chez l’enfant, de susciter une étincelle. Ensuite, l’ensemble des animations est transposable aux enfants en situation de handicap, mais demande une plus grande exigence. Cette politique inclusive a ainsi permis de repenser la médiation culturelle dans toutes ses exigences.
Partenariat et mutualisation des connaissances en préalable
Maryse Oudjaoudi a présenté ses observations à la suite des expériences d’accueil des jeunes et des adultes handicapés mentaux dans les bibliothèques de Grenoble.
En préalable, rien ne peut être entrepris sans un travail de préparation important avec les éducateurs : il est nécessaire de connaître la composition du groupe d’enfants (en général cinq ou six) dont la majorité ne lit pas, et ne lira pas. Il faut travailler le vocabulaire pour le rendre simple et lisible. Si le thème est choisi avec l’éducateur, l’accueil à la bibliothèque est effectué par le bibliothécaire que connaissent les enfants. Le prêt de documents est pris en charge par une autre personne, afin de faire participer l’ensemble de l’équipe.
La séance dure généralement une heure et demie : ce qui intéressera les enfants n’est jamais connu à l’avance, et il faut être prêt à rebondir sur le mot qui a accroché leur attention. La séance est accompagnée d’une production, qui permet aux enfants de se situer dans le temps.
La dernière demi-heure est un temps commun avec le tout public. C’est un moment difficile mais primordial : pour les enfants, qui doivent adopter le comportement nécessaire à un lieu public, pour l’ensemble des publics, qui doit faire preuve de tolérance. Ainsi la bibliothèque joue à plein son rôle de lieu de sociabilité. Une fois dans l’année, sont organisées des rencontres avec d’autres groupes : classe de CM2, personnes en alphabétisation.
Les bénéfices de l’accueil en bibliothèque pour les enfants sont notables : progrès dans la pratique langagière (en particulier grâce aux contes), meilleur repérage dans l’espace (connaissance de la bibliothèque comme lieu) et le temps (régularité des venues), apprentissage des règles de sociabilité (nécessité de respecter un règlement, de ranger les livres…).
Ils ne sont pas moindres pour les bibliothécaires eux-mêmes : l’obligation de s’adapter à un rythme différent rejaillit sur la qualité de l’accueil d’autres groupes d’enfants. Ils appréhendent d’autres usages du livre, grâce au travail sur l’image. En bref, une professionnalisation accrue, grâce à une exigence plus grande.
L’accessibilité à la lecture est à inventer
La visite de la médiathèque Jean-Jacques Rousseau de Chambéry a été conduite à travers le prisme de l’accessibilité aux publics handicapés : bandes podotactiles, fonds d’ouvrages accessibles localisés dans l’ensemble des étages (imprimés, en braille, en gros caractères, livres enregistrés), exposition Artesens.
Alain Caraco, directeur des bibliothèques de Chambéry, souligna que si, dès sa création, la bibliothèque offrait des ateliers pour déficients visuels, elle propose maintenant un site web qui leur est accessible. Elle a élargi son offre de service aux déficients auditifs : bande magnétique de guidage leur permettant de suivre les expositions dans les appareils d’écoute, guide du lecteur.
L’espace Médiavue, ouvert en mai 1993, propose aux personnes déficientes visuelles ou en difficulté de lecture un équipement technique spécialisé permettant l’accès à la lecture. Yasmina Crabières, qui en est la responsable, coordonne également des personnes-relais à l’intérieur de la médiathèque. Pour elle, le handicap est à considérer comme une source de différence qui oblige à inventer des moyens d’accès plus exigeants, sans jamais devenir un argument pour outrepasser les règles communes.
Françoise Leclerc a fait partager son expérience de formatrice en langue de signes. S’il y a en France 4 millions de sourds et de malentendants, 110 000 personnes utilisent la langue des signes, qui est une langue à part entière. Les sourds sont étrangers à leur propre pays, puisque leur langue principale n’est pas le français, et sont atteints par un fort taux d’illettrisme. Il est nécessaire de leur redonner goût pour la langue française. Dans la nouvelle version du guide du lecteur préparée à leur intention, de nombreux termes ont été reformulés, ce qui le rend accessible au plus grand nombre.
Matthieu Faure (société Open-S) a rappelé que l’accessibilité d’un site web est une obligation de la loi sur le handicap pour tous les établissements. Solide structu-ration de contenu, présentation codée en sont les -critères essentiels.
La nécessité de créer un corpus commun de formation pour les bibliothécaires, de mutualiser les compétences avec d’autres professionnels ont été les préoccupations majeures qui ont jailli des débats. En conclusion, Maryse Oudjaoudi souligna que la réalisation du seul volet technique préconisé (locaux, web) réduirait la bibliothèque à un lieu, sans proposer un ensemble de services. Or, l’amélioration d’un service pour un public induit son amélioration pour l’ensemble des publics. Le projet d’accueil des personnes confrontées à un handicap doit être inclus dans la politique globale d’accueil de la bibliothèque, et il ré-interroge l’ensemble de l’établissement. La nécessaire cohérence de ce projet sera au prix d’un travail en partenariat et d’une extrême exigence quant au travail à fournir.