Sommet mondial sur la société de l’information
L’apport aux bibliothèques
Danielle Mincio
Pour les bibliothèques, l’essentiel de l’acquis du Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI) s’est fait lors de la première phase et de la conférence préparatoire de l’Ifla au siège de l’ONU, à Genève, en novembre et décembre 2003 1. La seconde phase du SMSI, qui a eu lieu à Tunis du 16 au 18 novembre 2005, concernait la mise en œuvre de la Déclaration de principes et du Plan d’action décidés à Genève. Il était important de s’assurer que les bibliothèques figureraient dans l’Agenda de Tunis 2 qui fait la liste des objectifs à réaliser pour 2015. Ainsi le point 90 prévoit le soutien des bibliothèques et institutions similaires :
« 90 Nous réaffirmons notre engagement à fournir à tous un accès équitable à l’information et au savoir, en reconnaissant le rôle joué par les TIC dans la croissance économique et le développement. Nous sommes résolus à collaborer pour que soient atteintes, d’ici à 2015, les cibles indicatives énoncées dans le Plan d’action de Genève […], en :
k) appuyant les institutions à but éducatif, scientifique et culturel, notamment les bibliothèques, les archives et les musées, dans leur mission, qui consiste à élaborer et préserver des contenus variés et à offrir un accès équitable, ouvert et peu coûteux à ces contenus, y compris les contenus numériques, pour faciliter l’enseignement formel et informel, la recherche et l’innovation ; en particulier, en aidant les bibliothèques à s’acquitter de leur mission de service public consistant à offrir un accès gratuit et équitable à l’information et à améliorer la connaissance des TIC et la connectivité au niveau communautaire, en particulier dans les communautés mal desservies. »
Tunis : un bilan en demi-teinte
Les résultats obtenus à Tunis pour des sujets cruciaux tels que la gouvernance d’Internet 3 peuvent laisser dubitatifs. Il y a peu de changement. C’est l’Icann (Internet Corporation For Assigned Names and Numbers) qui gère les adresses IP et les noms de domaines. Le principe d’un forum international pouvant faire des suggestions a toutefois été accepté 4. Ce sont donc les États-Unis qui gardent la mainmise sur la communication à l’échelle globale.
En ce qui concerne le développement et les ressources financières, l’option choisie à Tunis reste très vague. La collaboration entre secteur public et secteur privé est privilégiée.
C’est ainsi que les enfants de la savane auront un ordinateur à moins de 100 dollars, fonctionnant avec une manivelle conçue en Californie, mais ni livres ni cahiers pour apprendre à lire et à écrire ! Si une telle initiative est louable, il faudrait, pour qu’elle soit vraiment utile, que ces petites merveilles de simplicité technologique donnent accès à des contenus utiles à ses utilisateurs, et dans leur langue et avec leur logique. Rien bien évidemment n’est dit sur les moyens mis à disposition pour développer de tels contenus même si ce type de développement est prévu dans les différents documents du SMSI.
Un forum regroupant l’Union internationale des télécommunications (pour l’aspect technique), l’Unesco (pour l’aspect contenu) et le Programme des Nations Unies pour le développement (pour les pays en développement), avec appel chaque fois que nécessaire à un forum de la société civile (groupe Congo) 5, est chargé de suivre la mise en place de la société de l’information.
L’action de l’Ifla à Alexandrie et à Tunis
En août 2004, l’Ifla avait décidé d’organiser début novembre 2005 une pré-conférence au sommet de Tunis à la Bibliothèque d’Alexandrie, lieu symbolique pour les bibliothèques, dans l’espoir d’y attirer des politiciens et des représentants des délégations nationales au SMSI. Hélas, à part Mirja Ryynänen (ancien député finlandais au Parlement européen) et Madame Moubarak, venue pour inaugurer la conférence, il n’y avait que des professionnels des bibliothèques à Alexandrie.
Pour donner plus de poids à l’action des bibliothèques et de l’Ifla, les bibliothécaires suisses réunis au sein du Slir (Swiss Libraries for International Relations) 6 ont proposé de réaliser une base de données des actions faites par les bibliothèques pour mettre la société de l’information à la portée de tous, tant en matière d’accès que de contenu. Cette base, installée sur le serveur de l’université de Lausanne 7, est accessible depuis le site de l’Ifla 8. Un cédérom, reprenant les projets inscrits à la mi-septembre (plus de 80) en format PDF et base de données, a été réalisé et distribué à la pré-conférence ainsi qu’au sommet de Tunis.
La conférence s’est clôturée par l’adoption par l’Ifla du manifeste d’Alexandrie 9, sa contribution officielle à la seconde phase du SMSI, qui demande aux gouvernements de considérer les bibliothèques comme les éléments centraux de leurs plans de développement de la société de l’information et de soutenir un accès illimité à l’information et à la liberté d’expression.
Grâce à ce manifeste, la conférence préparatoire d’Alexandrie a été reconnue comme un événement parallèle au sommet lui-même et a permis au président de l’Ifla, Alex Byrne, le 18 novembre à Tunis, de présenter la position des bibliothèques et leur rôle central 10.
Le même jour, par un communiqué de presse, Paul Struges, président du Comité Ifla pour l’accès libre à l’information et la liberté d’expression (Faife), a demandé au gouvernement tunisien de respecter les droits de l’homme et de supprimer les entraves à la liberté d’accès à l’information, à la liberté d’expression et la liberté d’association, dans le sens entendu par le SMSI.
Une série de panels de discussion sur tous les sujets en liaison avec le sommet ont eu pour les bibliothèques, plusieurs tables rondes ont été intéressantes, notamment celle sur l’avenir de l’OMPI où Alex Byrne était un des intervenants. Grâce aux bibliothécaires bénévoles tunisiens, l’Ifla a établi le compte rendu d’un nombre important de ces manifestations.
L’Ifla fut présente à Tunis mais moins massivement qu’à Genève. Comme l’a relevé Mirja Ryynänen, cette attitude révèle la difficulté des bibliothécaires à se mêler de politique. Il ne suffit pas que l’utilité des bibliothèques et l’intérêt pour leur développement soient reconnus dans les textes, il faut aussi que cet intérêt se concrétise et il ne pourra l’être que si les bibliothécaires s’impliquent dans les délégations au niveau international et, dans leur pays, dans les groupes parlementaires.
Et la suite ?
Le sommet n’est pas une fin en soi mais le début d’un mécanisme à long terme. Si nous ne voulons pas que ce que l’Ifla a obtenu pour garantir la pérennité et le développement des bibliothèques dans la société de l’information finisse en eau de boudin, nous devons en assurer le suivi au niveau de l’Ifla, mais aussi au niveau national, régional, local et linguistique. Nous devons devenir des lobbyistes pour que ces beaux textes deviennent réalité.
Afin que les objectifs du SMSI se concrétisent pour les bibliothèques, l’association Swiss Librarians for International Relations (Slir) a proposé au comité directeur de l’Ifla les actions suivantes :
- créer pour chaque pays un dossier reprenant les interventions faites par sa délégation nationale, touchant de près ou de loin les bibliothèques, pendant les deux phases du SMSI ;
- relever les déclarations gouvernementales faites à Tunis pour voir quels pays s’appuient sur les biblio-thèques pour bâtir leur stratégie de construction de la société de l’information et quels pays ignorent complètement le rôle des bibliothèques reconnu dans les textes du SMSI ;
- présenter dans les conférences régionales de l’Ifla (2006-2007) les acquis du sommet, en général et pour la région concernée, au cours d’une journée de réflexion qui comprendrait trois étapes : pourquoi le suivi du SMSI est important pour les bibliothèques (acquis théoriques et réalisations concrètes) ; présentation des outils à disposition (textes, exemples de concrétisation) ; comment agir en tenant compte du contexte local ?
L’aspect linguistique et culturel étant un élément important de ce processus, il serait bien qu’au niveau de la francophonie, nous puissions mettre en place les structures permettant le développement des projets des bibliothèques en relation avec les objectifs du sommet. C’est souvent la connaissance des dossiers, ici en l’occurrence la connaissance des engagements pris par les gouvernements, qui manque aux associations locales et régionales pour défendre leurs intérêts.